Comme un symbole. Lviv, ville ukrainienne pourtant éloignée du front, a été bombardée par l’armée russe ce mercredi. Sept civils, dont trois enfants, ont été tués dans cette cité où ont étudié deux pères fondateurs de l’ordre juridique international, plaçant les individus (et non plus seulement les États) en son coeur : Hersch Lauterpacht et Raphael Lemkin. Comme l’a (brillamment) narré le juriste Philippe Sands dans East West Street, le premier a pensé le crime contre l’humanité, le deuxième le génocide, deux concepts utilisés lors du procès de Nuremberg pour juger, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, 24 hauts responsables nazis pour leur participation à l’Holocauste. Cinquante ans plus tard, ces concepts ont été repris dans le Statut de Rome, acte de naissance de la Cour pénale internationale (CPI).
L’instance basée à La Haye vit aujourd’hui une période critique. Son procureur a demandé le 20 mai que soient délivrés des mandats d’arrêt contre trois responsables du Hamas et deux membres du gouvernement israélien, notamment le Premier ministre Benjamin Nétanyahou, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, visant notamment les attentats du 7 octobre et les représailles de Tsahal dans la bande de Gaza. Mais les États-Unis et l’Allemagne mettent en doute la légitimité de l’action judiciaire. L’ancien gouvernement britannique l’a formellement contestée. Ce qui retarde la responsabilisation des personnes ciblées, laquelle pourrait mettre fin à la commission des actes condamnables, principalement les bombardements de la population civile gazaouie ou le fait de l’affamer.
Quel espoir côté politique ? La semaine dernière à Bruxelles, les ministres européens des Affaires étrangères ont entendu qu’avait été atteint à Gaza « un niveau de destruction et de souffrance humaine inédit au XXIème siècle », des mots (glaçants) de la coordinatrice des Nations unies pour l’action humanitaire sur place, Sigrid Kaag. À cette réunion, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, a sondé (de manière informelle) l’opportunité de sanctionner deux ministres d’Israël, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich. Le ministre de la Sécurité nationale estime qu’il peut être « justifié et moral » d’affamer la population de Gaza. Le ministre des Finances prône « l’émigration » des Palestiniens de Gaza et leur remplacement par des Juifs. Ni plus ni moins que la promotion d’un nettoyage ethnique.
Cette discussion est tue dans le communiqué du MAE luxembourgeois. Interrogé sur leur position à ce sujet, les services de Xavier Bettel (DP), répondent : « Le Luxembourg suivra attentivement les discussions dans les enceintes pertinentes, y participera avec ses experts et prendra une décision sur la base de l’analyse effectuée par les experts concernés ainsi que des discussions avec les autres États membres. » On tortille dangereusement du bassin. Le ministre irlandais a fait savoir à la sortie de la pièce que son pays était favorable à de telles sanctions.
Le Grand-Duché n’est plus like-minded, c’est-à-dire qu’il s’est distancé de pays comme l’Irlande, l’Espagne et la Slovénie qui ont reconnu l’État palestinien cette année pour donner plus de poids à la solution à deux États. Le Grand-Duché n’est même plus « minded », capable de penser et agir par lui-même. Son gouvernement ne souhaite pas saisir les maigres opportunités pour œuvrer pour des valeurs, les droits de l’Homme, qu’il dit soutenir. Ce mercredi, évoquant son déplacement à Dublin lundi, le Premier ministre Luc Frieden (CSV) a rappelé les priorités communes avec le gouvernement irlandais. Le business, mais aussi le droit international et les droits de l’Homme. Le chrétien-social a néanmoins balayé d’un revers de main tout soutien à l’initiative de son homologue pour demander une révision de l’accord d’association UE-Israël. On se met à genoux toutes les deux semaines devant les monuments aux morts ou en hommage à ceux qui ont eu le courage de défendre des causes justes, mais on n’est pas capables de geler les avoirs de personnes dont on sait pertinemment qu’elles commettent un massacre. Par cette couardise, on devient complice de crime contre l’humanité.