À peine était-il choisi comme colistier de la candidate démocrate Kamala Harris que le gouverneur du Minnesota Tim Walz faisait la une de la presse luxembourgeoise. Il n’était pas question d’analyser pourquoi l’actuelle vice-présidente des États-Unis avait préféré cet ancien professeur issu d’une région rurale à Josh Shapiro, longtemps cité comme favori. Le sujet qui anime les articles concernant Tim Walz ne retracent pas tant son parcours ou ses atouts mais ses racines familiales au Luxembourg. Son arrière-arrière-grand-père était Nicolas Reiser, né à Kehlen en 1836. Son arrière-arrière-grand-mère était originaire de Septfontaines où elle est née en 1841.
La suite relève de la généalogie et reprend les recherches effectuées sur les sites spécialisés comme luxroots.org et ethnicelebs.com. En 1855, Nicolas Reiser et son frère ont émigré aux États-Unis. Il s’est installé dans l’Iowa, mais a refait le trajet inverse pour se marier avec Susanna Puetz au Luxembourg. Le couple retourne ensuite vivre dans l’Iowa. Parmi leurs onze enfants, John Francis « Frank » a fondé une famille dans le Nebraska. Il a eu treize enfants, dont la grand-mère de Tim Walz, Helen Mary. Celle-ci épouse un petit-fils d’immigrés allemands, Lawrence Fredrick Reiman. Parmi leurs enfants, Darlene Rose, a épousé James F. Walz, descendant d’ancêtres allemands et suédois, en août 1955 à Butte, toujours dans le Nebraska. Ce sont les parents de Tim, né le 6 avril 1964.
Et alors ? Est-ce si exceptionnel ? Entre 1845 et 1890, plus de 50 000 personnes ont émigré aux États-Unis. Le Luxembourg était rural, de plus en plus peuplé et pauvre. L’Amérique offrait des terres agricoles peu chères et des rêves à portée de paquebot. Un siècle plus tard, il en reste forcément quelque chose. Selon le recensement américain de 2000, il y aurait 45 000 Américains d’ascendance luxembourgeoise totale ou partielle. Ils sont majoritairement concentrés dans le Midwest, l’Illinois, le Wisconsin, le Minnesota ou l’Iowa. Comme le montre le film Luxembourg USA de Christophe Wagner (2007), il reste un fort sentiment identitaire dans ces communautés luxembourgeoises. La Luxembourg Brotherhood of America (Luxemburger Bruderbond fondée en 1887) vient par exemple d’organiser sa 87e Schobermesse – sponsorisée par Bofferding et Vinsmoselle – à Morton Grove, dans la banlieue de Chicago. La Luxembourg American Cultural Society située à Belgium dans le Wisconsin met aussi en avant l’héritage luxembourgeois par le biais d’expositions, d’événements et de recherches généalogiques.
Selon les calculs généalogiques, Tim Walz aurait donc 12,5 pour cent de racines luxembourgeoises. Cette information plus insolite que pertinente dans l’actualité politique ne va certainement pas changer le cours des élections américaines. (Quoique, les Américains d’origine luxembourgeoise sont réputés très conservateurs, peut-être auront-ils envie de voter pour ce presque compatriote, fût-il démocrate.) Ce traitement est symptomatique du folklore qui entoure l’histoire de l’émigration vers les États-Unis. Un narratif qui valorise les filles et fils du pays qui ont réussi partout dans le monde. Une manière de s’arroger une part de leurs succès et de considérer qu’il y a un peu de Luxembourg dans leurs réussites.
En 2021, le site de l’Ambassade du Luxembourg à Washington a consacré une rubrique aux « Luxembourgers in United States ». Pêle-Mêle on trouve dans cette liste des personnalités nées au Luxembourg et qui ont émigré aux États-Unis : le photographe Edward Steichen, l’écrivain et journaliste Nicolas Gonner, le peintre Jean Noerdinger ou Nicholas Muller, le premier luxo-Américain élu à la chambre des Représentants. La liste compte aussi des descendants de ces premières générations d’immigrés comme le joueur de baseball Red Faber (1888–1976), l’actrice Loretta Young (1913–2000) ou la joueuse de tennis Chris Evert (née en 1954). On pourrait ajouter, pour le clin d’œil, Vincent Kartheiser comédien, né en 1979, qui tenait un des rôles principaux dans la série Mad Men.
Manque à cette énumération celui qui a pourtant le plus manifesté son attachement au pays de ses arrière-grands-parents qui avaient émigré d’Osweiler vers 1860 : Dennis Hastert. Élu député en 1986, le républicain s’est imposé comme un pilier anti-avortement, pro-armes à feu et pro-peine de mort au sein du Congrès. Il a gravi les échelons de la direction de son parti. En 1998, il devient le président de la Chambre des représentants. À cette époque, les personnalités politiques du Luxembourg veulent tirer le meilleur parti des origines du troisième homme politique le plus haut placé des États-Unis.
Une sorte de Hastertmania s’empare du Luxembourg au tournant des années 2000. Il est invité à revenir dans le village de ses ancêtres, est accueilli par Jean Spautz (CSV), son homologue à la chambre luxembourgeoise et est fait citoyen d’honneur de Rosport. Lydie Polfer (DP), alors ministre des Affaires étrangères, et Jean-Claude Juncker (CSV), alors Premier ministre, lui rendent visite à Washington en 2002 et Dennis Hastert leur rend la pareille la même année. Il est de retour en 2005 pour commémorer le 60e anniversaire de l’offensive des Ardennes et inaugure, en compagnie de Jean-Claude Juncker, la caserne de pompiers d’Osweiler rebaptisée à son nom. En 2011, Hastert se rend à nouveau au Grand-Duché, cette fois-ci à titre privé, mais il est reçu chaleureusement par le président de la Chambre Laurent Mosar (CSV).
Mais ça c’était avant. En 2016, Dennis Hastert est condamné à quinze mois de prison pour avoir versé illégalement de l’argent à un homme qui l’accusait de l’avoir agressé sexuellement quand il était adolescent. Hastert a admis avoir abusé sexuellement d’au moins quatre jeunes à l’époque où il était professeur de lycée. Victime d’un accident vasculaire cérébral au cours de la procédure judiciaire, n’a finalement purgé que treize mois de sa peine.
Rosport a enlevé la plaque commémorative, le centre de secours d’Osweiler n’a plus de nom, mais les photos du Speaker républicain avec les politiciens luxembourgeois demeurent.