Mise en œuvre de la « solution luxembourgeoise » ? Gesticulation politique ? Action concertée avec les partenaires européens et internationaux ? Le chef de la diplomatie, Xavier Bettel (DP), a organisé cette semaine deux rendez-vous, coup sur coup, dans la capitale avec des homologues étrangers puis avec la presse. Inédit depuis son arrivée au ministère des Affaires étrangères en novembre pour celui qui se détache de la diplomatie du mégaphone et dit agir sobrement dans l’ombre. Le ministre des Affaires étrangères, a reçu lundi Sven Koopmans, le représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient, et mardi son homologue jordanien, Ayman Safadi.
« Chaque jour des innocents sont tués. Nous voulons un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages détenus par le Hamas », a introduit Xavier Bettel à l’issue de sa rencontre avec le diplomate néerlandais Koopmans lors de la conférence de presse au siège du ministère. Ses propos font écho à la publication sur le blog de The Lancet, revue scientifique de référence, d’une extrapolation du décompte officiel de morts dans la bande de Gaza. Il ne serait plus question de 40 000 décès, chiffre officiel produit par le ministère de la Santé, mais de 186 000, de manière directe ou indirecte (par des surinfections après blessures, la faim, la maladie, le manque de soins, etc). Une « estimation prudente » établie sur base scientifique. « Documenting the true scale is crucial for ensuring historical accountability and acknowledging the full cost of the war », écrivent les auteurs en précisant qu’il s’agit aussi d’un impératif légal. On parle donc potentiellement de sept à neuf pour cent d’une population de 2,3 millions de Gazaouis bloqués sur cette bande de terre de 365 km2 où plus de la moitié des bâtiments ont été détruits, selon les Nations unies.
Lundi, le ministre Bettel a rappelé son activisme sur ce dossier dont il ne ferait pas toujours la publicité. Il s’est rendu deux fois à Jérusalem et Ramallah depuis sa prise de fonction en novembre : « C’est rare de se déplacer aussi souvent dans un pays non-communautaire », a-t-il relevé. Il s’y rendra à nouveau dans les prochaines semaines, a-t-il révélé ensuite. Le temps de l’action ? Pour l’heure, la coalition CSV-DP a choisi de ne pas suivre le chemin tracé par l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie, like-minded states européens qui ont récemment reconnu la Palestine. Une telle reconnaissance est, pour beaucoup, une manière de prendre concrètement la voie vers la solution à deux États prônée par l’UE, mais aussi de mettre sous pression le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu pour qu’il cesse ses bombardements. Et à l’inverse des sanctions, qui sont négociées au niveau européen, une telle manœuvre est opérée au seul niveau national. Xavier Bettel a pris le parti de ne pas s’allier avec ses pairs du Vieux Continent, mais parle d’une reconnaissance concertée avec la Corée du Sud ou le Japon (qui a officiellement ouvert cette voie cette semaine). Le ministre libéral prône une grande alliance internationale pour « avoir un impact ». Ce jeudi, le Parlement israélien a adopté une résolution rejetant la création d’un État palestinien.
Le ministre des Affaires étrangères a souligné le plan de paix « proposé par Monsieur Koopmans ». Mis sur pied l’an passé, il prévoit de sceller une alliance avec les pays arabes et de réunir une conférence de paix internationale. Mais les attaques terroristes menées par le Hamas le 7 octobre ont changé la donne et remis le projet sine die. Ce lundi, Sven Koopmans a remercié son hôte pour sa « créativité » et son abnégation pour « chercher et trouver des solutions ». Durant l’après-midi le représentant spécial a réaffirmé « the need for creative ideas » devant les députés intéressés à la Chambre. Rencontrée à l’issue de l’échange avec le diplomate européen, la députée écologiste Sam Tanson a noté que ce dernier ne voulait pas que l’on « traite un conflit différemment d’un autre en fonction de la religion ou de son origine », notamment au regard du droit international, une allusion à la guerre d’Ukraine et au soutien politique unanime de l’Occident en faveur du pays attaqué.
Mardi, le ministre des Affaires étrangères de la Jordanie a lui aussi pointé du doigt le « double standard ». « International law is being applied selectively, which is dangerous for the future », a prévenu le ministre Safadi. Israël serait considérée comme « au-dessus des lois », a regretté le Jordanien. « Nous demandons à tous de reconnaître la Palestine. Nous avons demandé à l’UE d’imposer des sanctions. Mais cela n’a pas été fait », a-t-il résumé, espérant une résolution contraignante du Conseil de sécurité des Nations unies pour arrêter le massacre. Le deux poids deux mesures transparaît jusqu’au wording de l’ordre du jour de la réunion des ministres des Affaires étrangères européens lundi « Russian aggression against Ukraine » et « Situation in the Middle East ».
Interrogé mardi par un journaliste sur sa perception du Hamas, le ministre jordanien a présenté le mouvement islamiste comme une « idée » qu’on ne pouvait pas détruire par la violence. Au contraire, le Hamas s’en nourrirait. « Hamas did not create the conflict, the conflict created Hamas », a-t-il dit en référence aux décennies d’enlisement du conflit israélo-palestinien. Il faudrait s’attaquer à la racine, l’occupation illégale menée par Israël en Cisjordanie (ainsi que la mise sous cloche de Gaza) et revenir à la solution à deux États.
Cette semaine, Xavier Bettel a ressorti ses classiques : « We have to build bridges », a-t-il martelé. La stabilité de la région est en jeu. « Support for Israelis is shrinking in muslim countries », a souligné le Luxembourgeois. Xavier Bettel constate l’impuissance de l’Occident face aux tractations au sein de la coalition gouvernementale israélienne. Netanyahu débloque les revenus fiscaux palestiniens et, en « compensation » pour les « hardliners » coalisés, « encourage le grignotage » de la Cisjordanie par les colons. Lundi, le Conseil européen a rallongé la liste des colons israéliens « extrémistes » en Cisjordanie et des « activistes violents qui bloquent l’aide humanitaire » visés par les sanctions. Cinq personnes et trois entités sont ciblées dans le cadre de ce régime de droits de l’homme. Ce sont donc neuf personnes et cinq entités visées depuis le mois avril. L’UE a sanctionné 2 200 personnes et entités liées, de près ou de (très) loin, à l’invasion russe en Ukraine.
Contacté par le Land, Hugh Lovatt, expert du dossier israélo-palestinien au European Council on foreign relations remarque une « différence d’approche depuis (Jean) Asselborn » dans la politique étrangère du Luxembourg au Proche-Orient. Le gouvernement Frieden-Bettel a délaissé le camp des like-minded states européens en faveur d’une reconnaissance de la Palestine. « Peut-être justifie-t-il son inaction (en l’espèce) en faisant quelque chose d’autre. Peut-être Bettel veut-il montrer que le Luxembourg reste actif », interroge Hugh Lovatt. Le défi à relever pour le Luxembourg serait de prouver que l’UE peut « faire bouger les choses » au Proche-Orient. La période l’exige. Gaza est à feu et à sang. Le quintet arabe (Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte et Jordanie) a présenté sa « vision » pour un plan de paix lors d’un diner informel en marge d’un Conseil européen le 27 mai. Les États-Unis, leaders dans la région, entrent en campagne électorale et ne « soutiennent pas assez » l’initiative des pays arabes. Ces derniers cherchent dorénavant l’appui européen. D’autant plus que l’UE est un pourvoyeur de fonds et d’expertise technique pour la démocratisation de la région. Et le projet de Koopmans est compatible avec le plan du Arab quint.
« Il y a beaucoup d’initiatives à droite et à gauche, mais on veut des initiatives qui débouchent sur des résultats », a plaidé Xavier Bettel mardi. Interrogé après la conférence de presse sur la présentation éventuelle de sa « solution à la luxembourgeoise » devant ses collègues européens lundi, le ministère répond que « rien de concret n’est prévu ». Les réunions de lundi et mardi derniers témoigneraient simplement « du rôle actif joué par le Luxembourg dans les différentes discussions dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient ». Xavier Bettel poursuivrait ses efforts avec plusieurs pays européens et non-européens « dans l’objectif de rendre possible une action collective et coordonnée en vue d’une reconnaissance de l’État palestinien ». « Ces efforts demandent du temps », écrivent ses services. « La ‘solution’ envisagée s’appliquera au cas où ces efforts n’aboutiront pas », concluent-ils, sans bien sûr dévoiler de quoi il retourne exactement.