Le vêtement parle de ceux qui le portent et de leur époque. Des photographies témoignent d’une capitale vivante au Ratskeller

Il était une fois le commerce

d'Lëtzebuerger Land vom 23.08.2024

Tout le monde y trouvera son compte. C’est bien là le but des expositions d’été au Ratskeller du Cercle Cité. Put it on! présente une sélection des images dont regorge la Photothèque de la Ville de Luxembourg. Les photographies montrent plusieurs volets : les vêtements tels que les imaginent les créateurs de mode et les fabricants de tissus et par extension, les accessoires chapeaux, gants que vendent les magasins spécialisés dans les années 1950, 1960 et 1970 à Luxembourg.

Put it on! est destiné à tous les publics, autant les locaux que les touristes de passage, et les amateurs de photographie. On a ainsi découvert des auteurs que l’on ne connaissait pas comme Marie-Georgette Mousel, Antoine Davito, Jochen Herling, à côté des incontournables Pol Aschman, Tony Krier, Edouard Kutter Jr ou Lé Sibenaler.

L’exposition couvre essentiellement les années 1950 et 1960, soit l’après-guerre, où pour beaucoup, les métrages de tissu pour la confection des robes par exemple au style new look de Christian Dior compensaient un rationnement des années de guerre et l’avant Swinging London où la mini-jupe en fit un micro-usage. Put it on! a donc un parti-pris esthétique, avec les défilés de mode (section Catwalk), organisés par la maison de couture Nina Ricci, la maison de tissus Boussac pour un public « chic » dans des lieux ad hoc : l’hôtel Alfa, l’ambassade de France, le Foyer européen (aujourd’hui Casino Luxembourg). Les magasins de prêt-à-ôrter ne sont pas en reste, moins haut de gamme, pour une clientèle moins huppée.

Un visiteur avisé pourra s’amuser à mener sa petite enquête sociologique sur l’assistance : ébahie, sceptique, amusée, critique, ainsi que aussi, le côté improvisé du podium. On voit au fond du magasin À la Renommée, les rayonnages croulants sous les rouleaux de tissu. Cela donne aspect spontané et sympathique, quand bien même le personnel assiste au défilé depuis l’escalier (Hayum Sœurs, photo Pierre Bertogne, 1935). Ce n’est pas le célèbre escalier de la rue Cambon de Mademoiselle Chanel et on est très loin de la sophistication des défilés de la fashion week d’aujourd’hui avec la diffusion massive par les influenceuses sur les réseaux sociaux.

À l’époque, on sortait avec un couvre-chef, et cela correspond bien au titre qu’Edouard Kutter Jr donne à un de ses clichés du milieu des années 1960, Des passantes, Grand-Rue à Luxembourg-ville. L’image fait penser à Vivian Maier, must de la street photography américaine, photographe amateur découverte seulement au début des années 2000. On passera devant les jambes vues à ras le trottoir par Pol Aschman avenue de la gare depuis un soupirail, qui était une commande (1959). Cela n’enlève rien au fait que ces dames portaient des escarpins à talons et des bas, les hommes, des pantalons à revers.

Sans transition, on arrive au mur de Portraits, magnifiquement mis en espace par les commissaires Gaby Sonnabend et Christian Aschman. L’œil du visiteur saute du béret de la garçonne (un des deux autochromes en couleur de l’exposition) au grand chapeau de représentation de la Reine Elisabeth de Belgique, le petit chapeau de paille de l’inconnue rieuse devant le magasin Bastian, Grand’Rue. Plus que les tenues des jeunes femmes de la bonne société, on notera l’évolution de leur manière de poser, fidèles à leur rôle social (la dame en tenue de cocktail, celle en costume de chasse), et une jeune femme visiblement engagée dans la vie active, avec sa jupe à carreaux et son chemisier à fleurs, les cheveux attachés simplement en arrière. La Reine Elisabeth de Belgique, elle, pose bien droite avec tous les attributs de son rang, pour l’image.

Cette série de portraits est attribuée à Batty Fischer et couvre quarante années d’évolution de la société, de 1900 à 1940. À regarder les deux jeunes paysans endimanchés et le jeune dandy de la ville, il ne fait pas de doute que Batty Fischer connaissait l’indépassable et légendaire ouvrage Antlitz der Zeit – sechzig Aufnahmen deutscher Menschen des 20. Jahrhunderts du photographe August Sander (1929). On le suppose encore en voyant les enfants en cols marins dans les années 1920. C’est objectivement documenté. Pour certains, l’enfant de la rue photographié à Rumelange en 1947 avec ses deux pains par Tony Krier, serait à rapprocher de Le petit parisien, cet enfant qui court avec une baquette sous le bras par de Robert Doisneau. Il nous a plutôt semblé qu’il émanait du petit garçon luxembourgeois la tristesse d’après-guerre et du petit esseulé en costume du dimanche à la Schlussprocession en 1968, une photo de Lé Sibenaler, une réserve bien éloignée de la gaîté des titis parisiens (série Kids and teens).

De la partie At work, nous ne retiendrons qu’une image : une formidable photographie où tout coïncide, entre l’hôtesse à l’accueil d’une société de matériaux, son costume et le comptoir dans le bureau design (Edouard Kutter Jr, 1970). On dirait le Grand-Duché déjà sur la voie du « Let’s make it happen ». Cinquante ans plus tôt, une image parle d’un autre monde. Celui des immigrants venus construire le Luxembourg moderne en bras de chemises (La fête du bouquet du pont sur l’Alzette au Pfaffenthal, 1921, photographe inconnu).

Quatre enseignes de magasins en néon, présentées dans des cadres-boîtes rétro-éclairés, introduisent la partie la plus nostalgique de Put it on!. Suivent dans On display, des présentations soignées de vitrines d’accessoires (linge de maison, chapeaux, gants). Dans Stores, resurgissent des enseignes comme Bastian, New England, Samdam. Les architectures mythiques des « grands magasins » (À la Bourse, Meta-Brahms, Rosenstiel) sont toujours là, mais les commerces spécialisés ont disparu. À qui la faute ? Au Covid et aux achats en ligne, aux loyers exorbitants, à la piétonnisation du centre et aux centres commerciaux si facilement accessibles en voiture ? Derrière Put it on! il y a des chiffres que l’historien Robert Philippart cite dans le catalogue. Les commerces et l’emploi d’une filière florissante ont rétréci comme peau de chagrin nous laissant orphelins de la raison d’être d’une ville.

Put it on ! Le Luxembourg s’habille. La mode et le vêtement dans la photographie au Luxembourg est à voir jusqu’au 15 septembre au Cercle Cité. Catalogue : 15 euros

Marianne Brausch
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