Omaha Beach, ce jeudi 6 juin. La plus haute représentation de l’État contemple l’Histoire. Le Grand-Duc Henri, le Premier ministre Luc Frieden (CSV), la ministre de la Défense Yuriko Backes (DP) saluent l’héroïsme des alliés qui, voilà 80 ans exactement, ont risqué leur vie pour briser le joug nazi, régime coupable de l’extermination de six millions de juifs. Une manière tout à fait légitime d’entretenir la mémoire. Mais le gouvernement luxembourgeois, au même titre que ses alliés occidentaux, n’a-t-il pas aussi un rôle à jouer dans l’Histoire en cours d’écriture ? Dans l’océan auquel ses représentants font face, où naviguaient autrefois les liberty ships, voguent aujourd’hui des navires chargés d’armes et de munitions à destination d’Israël dont l’armée est engagée dans une attaque meurtrière sur la bande de Gaza. L’on parle de plus de 36 000 morts Gazaouis dont 15 000 enfants dans des représailles aux atrocités commises par le Hamas le 7 octobre.
Le conflit israélo-palestinien s’enfonce dans une violence inédite. Le procureur de la Cour pénale internationale, héritière du Tribunal de Nuremberg, demande l’arrestation de trois responsables du Hamas, mais aussi du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant. La Cour internationale de justice, qui a admis en janvier le risque de génocide dans la bande de Gaza, exige du gouvernement israélien qu’il stoppe son offensive à Rafah. Ce dernier fait la sourde oreille.
En réponse, le Luxembourg balbutie un message inaudible. Son ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel (DP), s’est rendu la semaine passée à Jérusalem et à Ramallah. Après une commission des Affaires étrangères lundi censée éclairer sur les motivations du Vice-Premier ministre, Franz Fayot (LSAP) se demande « toujours ce qu’il est allé faire là-bas ». Une « tentative de jouer un rôle que personne ne lui a demandé de jouer », analyse Sam Tanson (Déi Gréng). L’ancienne ministre de la Justice du Premier Xavier Bettel comprend « qu’il essaie de gagner du temps pour ne froisser personne ». À un meeting électoral à Mamer, le chef de file libéral explique que des sanctions contre Israël au niveau européen requièrent une unanimité impossible à atteindre. L’UE serait, selon lui, un chien qui aboie, mais qui ne mord pas. Il aurait pu poursuivre : Le Luxembourg un chétif toutou aphone. Le gouvernement n’a pratiquement jamais condamné les massacres commis par Tsahal. Le Grand-Duché pourrait accomplir un acte politique de sa propre initiative, pas seulement symbolique comme son diplomate en chef le prétend : Reconnaitre l’État palestinien, comme la Slovénie ce mercredi (dans le sillon de l’Espagne et de l’Irlande). L’initiative consiste à offrir une perspective aux Palestiniens de Gaza, mais aussi de Cisjordanie en vue d’une solution à deux États. À l’image, en fait, du message envoyé aux Ukrainiens avec l’ouverture de discussions sur l’adhésion de leur pays à l’UE dans les semaines qui ont suivi l’agression russe.
« Soyez du bon côté de l’Histoire », répète-t-on dans les cortèges de (souvent jeunes) manifestants. Sur une vidéo qui cumule 347 000 vues cette semaine, l’instagrammeur luxembourgeois Almin Hrkic confronte les partis à leurs responsabilités au Proche-Orient, parfois à leur ignorance (jouant même avec le feu en confessionnalisant le débat). Pour l’influenceur aux 25 500 abonnés, « la paix ne peut être atteinte sans une Palestine libre et indépendante ». Dans cette vidéo, Almin Hrkic plaide pour plus de « justice et pour le respect du droit international ». Comme le supposent les très nombreux commentaires, il semble porter un message générationnel. Le jeune Luxembourgeois cite d’ailleurs le soutien de la candidate libérale, Amela Skenderovic, à la reconnaissance immédiate de la Palestine, au contraire de son parti qui joue la montre. Almin Hrkic dénonce, en somme, l’hypocrisie du gouvernement.
La députée libérale Corinne Cahen demande sur X pourquoi d’aucuns, ici, attachent plus d’importance à ces morts palestiniens qu’à d’autres massacres en cours ou passés. Rappelons qu’Israël a été créée en 1948 après une résolution onusienne pour expier, en quelque sorte, la responsabilité de l’Occident (à des degrés variés) dans la Shoah. Israël est peuplée de familles qui ont des attaches en Europe. Leurs membres sont parfois otages du Hamas ou militaires de Tsahal. Aujourd’hui, Benjamin Netanyahou et ses supporters embarquent l’Europe dans une bataille menée par une prétendue civilisation judéo-chrétienne au mépris du droit. Or, les organisations internationales alertent sur les crimes contre l’humanité commis dans la région. Cela doit heurter les consciences.