À la Chambre, le débat public sur la pétition n° 715 du Syfel pour le maintien et la modernisation des fabriques d’église rappelle l’enjeu politique de la réforme

Lacrimae rerum

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2017

Rusty boys Lundi 24 janvier vers 14 heures. Il fait toujours autour de zéro degré. Une foule bariolée et emmitouflée s’est amassée devant la porte arrière de la Chambre des députés, rue de l’eau. Arrivant du siège du CSV, à quelques pas de là, le député Marco Schank, président de la commission des Pétitions, passe saluer les gens venus pour assister au débat public sur la réforme des fabriques d’église, organisé suite aux plus de 11 000 signatures recueillies par le Syfel (Syndicat des fabriques d’église) avec sa pétition publique sur le sujet. Les pétitionnaires passeront par la grande porte, mais eux, la foule, sont des civils intéressés, peut-être membres d’une fabrique d’église ou autrement actifs dans une paroisse. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première visite au parlement, bien que la plupart aient déjà atteint un âge certain. « Tu as lu les statuts du Fonds présenté par l’archevêché la semaine dernière ? » demande l’un à son voisin. « Certainement pas – je sais que c’est du grand n’importe quoi », rétorque celui-ci. Dans cette foule de « rusty boys », on retrouvera plus tard l’avocat Fernand Entringer et l’ancien vicaire Mathias Schiltz, qui ont tous les deux déjà fait part de leur opposition au projet d’un fonds central pour la gestion des biens de l’Église à d’autres occasions (notamment dans les colonnes du Land). « Nous irons jusqu’à Strasbourg ! » lance encore un membre de l’assistance avant le début de la séance. « S’il le faut, nous irons jusqu’à Strasbourg, ah ça, je vous le garantis ! » Sur la tribune, ils seront plus nombreux que pour le débat sur le statut du luxembourgeois.

Deux commissions parlementaires ont été convoquées pour ce débat public : celle des Pétitions, qui l’organise, et celle des Affaires intérieures, en parallélisme avec le ministre en charge de la réforme, Dan Kersch (LSAP), ministre des Affaires intérieures. Plusieurs députés ne faisant partie d’aucune de ces deux commissions, mais simplement intéressés au sujet, ont également fait le déplacement. Dan Kersch est accompagné de Paul Schmit, haut fonctionnaire qu’il avait chargé de la rédaction du projet de loi n°7037 « portant sur la gestion des édifices religieux et autres biens relevant du culte catholique ». Contrairement au débat sur la langue luxembourgeoise, Xavier Bettel (DP), Premier ministre et (pourtant) aussi ministre des Cultes, et à ce titre signataire de la convention de janvier 2015 qui a lancé le processus de réforme au sein de l’église catholique, n’a pas fait le déplacement.

L’ambiance dans la salle plénière est électrique mais concentrée et respectueuse. Les pétitionnaires sont invités à présenter leurs doléances, sachant que, comme le souligne le président du parlement Mars Di Bartolomeo, « une pétition publique est un moyen de se faire entendre. Mais ce n’est pas un ‘coup de baguette magique’, vos revendications ne seront pas automatiquement réalisées… » Marc Linden, le viceprésident du Syfel et auteur de la pétition, acquiesce. Il est accompagné de Serge Eberhard, le président du syndicat, et de maître Jean-Marie Bauler, leur avocat. Rien que le fait d’être enfin entendus par, à la fois le ministre des Affaires intérieures – qui n’a jamais voulu négocier qu’avec l’archevêché et n’a pas reconnu la légitimité du syndicat réunissant 285 fabriques d’église historiques –, mais aussi les députés, représentants du peuple, et, par la publicité autour de l’événement, grâce aux comptes-rendus dans les médias, est une avancée considérable pour eux.

Brontosaure Pour les représentants du Syfel, qui se montrèrent extrêmement rationnels et raisonnables, si tout dans la réforme des fabriques d’église peut se discuter, il y a un sujet sur lequel ils sont intraitables : c’est l’autonomie des fabriques. Fondées sur base d’un décret de 1809, elles sont, aux yeux du ministre Kersch, des établissements publics. Et selon l’adage « Dieu donne – Dieu reprend », l’État pourrait abolir ce qu’il a fondé. Dans le modèle imaginé par le ministre et mis en musique dans une première ébauche de statuts du Fonds de gestion des édifices religieux du culte catholique (FGER), présenté la semaine dernière par l’archevêché, elles se dilueraient simplement dans ce futur grand fonds, dont le principal organe, le Conseil d’administration, est décrit comme un organe autoritaire par le Syfel. Le petit tout de magie de terminologie, avec lequel l’archevêché veut maquiller une structure centralisatrice en créant des « fabriques d’église » locales, sans aucune personnalité juridique propre, n’a pas réussi à les tromper.

« Nous voulons une modernisation du Syfel et des fabriques d’église, souligna Serge Eberhard, le président du Syfel, lundi. Mais l’archevêque ne nous représente ni sur le plan légal, ni spirituel. » Comme l’archevêché, le Syfel propose une réduction du nombre de fabriques d’église à 104 (autant qu’il y a de communes), mais insiste à ce que ces organes locaux disposent de la personnalité juridique et puissent fonctionner de manière autonome. « Ne créons pas de brontosaure qui crève sous le poids de sa lourdeur », était la métaphore invoquée par Marc Linden, « créons plutôt quelque chose de meilleur que ce que nous avons aujourd’hui, et non un organe absolutiste avec des marionnettes à la base… »

Valeurs spirituelles, valeurs matérielles Lydie Polfer, députée-maire libérale de la capitale, n’avait qu’une seule question à poser ce jour-là, avant de partir au prochain rendez-vous : vous ne parlez que de gestion immobilière, mais qu’en est-il des valeurs spirituelles que devrait défendre l’Église catholique ? C’est, bien sûr, le point central du débat. L’archevêque n’avait-il pas dit dans une interview au Wort le 31 décembre 2016 que l’assignation en justice qu’il avait reçue peu avant Noël lui avait « fait mal » et l’avait déçu en tant que chrétien ? Ne voulant pas se plier à ce chantage émotionnel, Serge Eberhard rétorqua à la Chambre : « Si on ne trouve pas d’accord à l’amiable, s’il faut que cela ‘fasse mal’, et bien, ça fera mal ! » Car c’est bien de valeurs matérielles et uniquement matérielles que parle le Syfel. Eux veulent garder la propriété des biens locaux sur le plan local. Ces églises, chapelles, mais aussi terrains et autres biens immobiliers, qui sont devenus les leurs avec le décret de 1809 et après, par des dons et legs. Ils se battent contre leur expropriation par un Fonds centralisateur, qui dépend directement de l’archevêché. Tout le monde, aussi bien les politiques que les membres du Syfel, craint que le futur Fonds ne devienne une sorte de grande agence immobilière. Gilles Roth (CSV) a d’ailleurs cité ce passage du règlement d’ordre intérieur (dans lequel le terme immobilier apparaît une trentaine de fois) : « Les CGP développent et gèrent de manière active le patrimoine immobilier non-religieux. Ils s’occupent à identifier les opportunités locales de façon à valoriser le patrimoine existant, identifient des biens immobiliers cibles pouvant faire l’objet d’un achat afin de couvrir des besoins futurs et se chargent de trouver les meilleures solutions de vente pour les biens immobiliers à aliéner ». « A wou si mer dann ? » s’offusqua le Syfel face à cela.

Dans ce climat d’extrême tension, où l’Église catholique se livre une guerre intestine sur la place publique, Dan Kersch avait le jeu facile : « Merci pour ce débat intéressant. Il m’a surtout confirmé qu’il s’agit d’une querelle interne à l’Église… » Pour lui, réussir la séparation de l’Église et de l’État également sur le plan local est une pierre à l’édifice de ce grand projet de société avec lequel il voudrait entrer dans l’histoire politique du pays. À partir de ce climax de confrontation entre l’archevêché et le Syfel, il peut désormais se montrer magnanime en proposant une médiation entre les deux organes. C’est aussi la proposition conclusive de la commission des Pétitions de la Chambre : lors de la prochaine réunion de la commission des Affaires intérieures, aussi bien le Syfel que l’archevêché seront invités à participer au débat. Des amendements au texte ne sont plus exclus. Le Conseil d’État devrait rendre son avis la semaine prochaine, mais le calendrier initial – une entrée en vigueur pour le 1er avril de cette année – semble déjà compromis.

En attendant, il s’avère que beaucoup de communes voudraient aussi garder le patrimoine religieux dans leur giron, comme ils possèdent les infrastructures culturelles ou sportives. Sur les 110 conventions déposées à l’archevêché jusqu’à la semaine dernière, seulement une trentaine impliquaient un versement des églises dans le futur Fonds. Ce mardi, le Conseil d’État a eu à aviser une vingtaine de demandes de classement d’édifices religieux. Au moins, sur cela tout le monde était d’accord lundi : grâce à cette réforme, on aura enfin une connaissance exacte du patrimoine en question.

Le titre est une citation de Virgil, Ier siècle avant Jésus-Christ, et se traduirait par «  les larmes des choses ».

josée hansen
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