Dans son édition du 16 septembre 2016, le Land a publié un essai de deux grandes pages qui vise à objectiver – et sans doute à calmer – le débat né autour du projet de loi 7037 concernant les fabriques d’église. L’intention aussi bien que l’initiative sont sans doute louables, mais qu’en est-il du résultat ? Seule une analyse approfondie du texte et de l’argumentation ainsi qu’une discussion contradictoire pourront le dire. Tel est notre propos : Audiatur et alter pars.
Une des méthodes choisies généralement par les protagonistes de la réforme en cours pour lui donner ses lettres de noblesse et dédouaner ses instigateurs consiste à faire valoir un consensus quasi unanime entre l’Église catholique et les pouvoirs publics. Il est vrai que toutes les instances et personnes concernées, celles d’aujourd’hui et celles d’hier, les autorités ecclésiastiques, de larges majorités de la Chambre des députés, les gouvernements successifs, le groupe d’experts, voire les membres du Syfel sont d’accord pour procéder à une réforme d’une institution « vieille de plus de 200 ans ». Mais quelle réforme ? Le gouvernement et la majorité parlementaire actuels mis à part, aucune de ces instances n’a préconisé la réforme telle qu’elle est mise en œuvre présentement.
Ni le programme gouvernemental de 2009, ni la motion adoptée par la Chambre le 7 juin 2011 à la suite d’un débat d’orientation réclamé par les Verts1, documents qui sont parmi les références majeures de notre auteur, ne contiennent la moindre indication en ce sens.
Quant au rapport des experts internationaux d’octobre 2012 – jamais validé, mais cité abondamment, l’auteur omet de nous dire que pour régler la question des fabriques d’église, les experts ont envisagé deux solutions au choix, à savoir leur maintien moyennant réforme ou leur suppression. En cas de maintien ils ont opté pour un ancrage local.2
Une autre façon d’accréditer l’idée d’un consensus général ou d’essayer de consolider celui-ci consiste à majorer la responsabilité du CSV, actuellement opposé au projet 7037. Certains protagonistes vont jusqu’à affirmer que « les conservateurs ont été les premiers à mettre le feu aux poudres. Dans le rapport commandé en 2012 à un comité d’experts entre État et Église(s) par l’alors ministre des Cultes François Biltgen du CSV, le sort des fabriques d’église est déjà réglé »3. Sans être aussi assertif, notre auteur va dans le même sens quand il affirme que le gouvernement actuel « prit la relève des décisions qui avaient été préparées pendant la législature précédente ». C’est tout de même aller un peu vite en besogne. Car on rechercherait en vain dans les mesures et déclarations officielles antérieures à décembre 2013 un élément quelconque qui justifierait d’imputer au CSV, au gouvernement précédent et à son ministre des Cultes la moindre responsabilité relative à la réforme en cours, tant en ce qui concerne le fond que par rapport aux procédures choisies. Tout au plus peut-on regretter ou, selon la position, se réjouir que ceux que Monsieur Caregari appelle « les conservateurs » aient ouvert la boîte de Pandore, sans se douter qu’ils pourraient perdre le pouvoir de la refermer. Encore ne faut-il pas oublier que cela s’est produit sous l’effet des manœuvres éperonnées par les Verts4. Mais le great old party est sans doute capable de mettre lui-même les choses au point.
Mais venons-en aux arguments de fond qui justifient aux yeux de notre auteur la réforme des fabriques d’église telle que prévue dans le projet 7037. Il essaie de nous faire comprendre que le nombre de 284 fabriques d’église « n’est plus en phase avec les 57 communautés pastorales […] et [qu’]il le sera encore moins à l’horizon de la subdivision en projet en 35 paroisses […] ». N’est-ce pas enfoncer des portes ouvertes puisque tout le monde est d’accord sur ce point ? Mais il ne s’ensuit nullement qu’il faille supprimer les fabriques locales, alors qu’il suffirait d’en réduire le nombre de façon à en arriver à une fabrique par nouvelle paroisse ou par commune. L’argument ne porte pas.
Il en va de même des arguments sociologiques. La baisse de la pratique religieuse dominicale est, certes, regrettable. Mais depuis quand la réduction du nombre des membres actifs d’une société, d’une association ou d’un groupe constitué justifie-t-elle sa suppression ou la privation de la gestion de ses biens ? Et de quel droit autorise-t-elle l’interdiction de tout subventionnement au culte de la part des communes ? Nos collectivités locales ne soutiennent-elles pas – par des subsides ou par des infrastructures mises à leur disposition – des associations ou groupements dont l’activité, toute louable qu’elle soit, n’intéresse guère plus de citoyens que les treize pour cent indiqués pour le culte ? Vue sous cet angle, l’interdiction en question constitue une discrimination des cultes en général et du culte catholique en particulier puisqu’elle ne vaut que pour lui.
L’argument de la baisse des vocations n’est pas plus péremptoire. Il se réfère à la seule célébration de la messe dominicale. Or, il y a belle lurette qu’à défaut de la messe, d’autres offices, appelés célébrations de la Parole et animées par des laïcs (hommes et femmes) prennent la relève. Et la promotion du laïcat actuellement engagée et encouragée par le pape François ne manquera sans doute pas d’augmenter la fréquence de tels offices, même en semaine. La proximité d’un lieu de culte en revêtira une nouvelle importance.
Un autre argument d’ordre sociologique, particulièrement spécieux, mérite que nous nous y arrêtions brièvement : « La manière retenue pour gérer le patrimoine de la paroisse a certes eu ses avantages à un moment où d’éventuelles opérations immobilières se limitaient à des échanges de terrains agricoles ou a à la conclusion de baux ruraux avec les fermiers du village ». Que dire à ce propos ? Que ces petites transactions continuent de se faire et qu’elles ont leur lieu naturel dans le cadre local, notamment en vertu du principe de subsidiarité. Pour les affaires plus importantes il existait jusqu’ici une garantie de bonne fin en vertu de la double tutelle du ministre de l’Intérieur et de l’archevêque qui se double dans le chef de ce dernier par son pouvoir hiérarchique.
Toutefois – et c’est là un point essentiel que notre auteur, s’agissant d’une question de droit canonique, n’a pas abordé – ni la tutelle ni les pouvoirs hiérarchiques ne font de l’archevêque le propriétaire des biens d’une fabrique d’église ou de toute personne morale canonique subalterne. Il ne peut donc pas en disposer à sa guise. Le can. 1255 stipule en effet que « l’Église toute entière et le Siège Apostolique, les Églises particulières ainsi que toute autre personne juridique publique ou privée, sont des sujets capables d’acquérir, de conserver, d’administrer et d’aliéner des biens temporels selon le droit ». Pour ce qui concerne les paroisses, le can. 515 § 3 précise : « La paroisse légitimement érigée jouit de plein droit de la personnalité juridique », alors que le can. 537 ajoute « qu’il y aura dans chaque paroisse le conseil pour les affaires économiques qui sera régi, en plus du droit universel, par les règles que l’évêque aura portées », ce qui équivaut chez nous, mutatis mutandis, au droit particulier des fabriques d’église, du moins jusqu’à nouvel ordre. En tout état de cause, la suppression pure et simple d’un tel conseil, ancré localement et directement rattaché à la paroisse, serait contraire au droit canonique.
Pour justifier la suppression des fabriques notre auteur invoque encore, en se référant au Rapport du Groupe d’experts, « une inégalité de traitement entre le culte catholique et les autres cultes conventionnés ». Or, les experts eux-mêmes ont proposé, dans l’hypothèse d’un maintien des fabriques d’église moyennant réforme, de remédier à cette « inégalité » en étendant le régime réformé des fabriques d’église à tous les cultes conventionnés5.
Mais avant tout, il faudrait expliquer l’origine et le bien-fondé historique de cette prétendue « inégalité ». À cet effet il y a lieu de considérer l’origine lointaine et la signification profonde du décret du 30 décembre 1809. Citons pour ce faire deux affirmations récentes que nous avons lues sous la plume de deux publicistes peu suspects d’être particulièrement tendres à l’égard de l’Église catholique :
« Les fabriques d’église ont été une concession de Napoléon Bonaparte (Concordat de 1804 avec le Saint-Siège), en fait, il s’agissait d’une indemnisation pour la confiscation des propriétés ecclésiastiques par la Révolution »6.
« Quand en 1809, les fabriques d’église sont créées par décret sous le règne de Napoléon, ces structures font partie d’un plan d’apaisement et d’intégration à l’Empire alors en pleine consolidation. À l’époque les pillages des biens ecclésiastiques commis sous l’influence de la Révolution française de 1789 étaient encore de fraîche mémoire […]. Un geste d’apaisement et une stratégie politique visant à sauvegarder l’hégémonie française sont donc à l’origine des fabriques d’église – et non pas une volonté de la société luxembourgeoise »7.
Les deux publicistes sont unanimes à reconnaître qu’il y a à l’origine de tout le processus une confiscation ou des pillages commis sous l’influence de la Révolution. Le terme commis ne suggère-t-il pas l’existence d’un méfait que les deux auteurs qualifient comme confiscation ou pillages et que nous pourrions qualifier comme spoliation ? Ce qui est une injustice gravissime.
Dès lors le geste d’apaisement de Napoléon ne pouvait être autre que la réparation d’un tort. Toutefois la réparation n’est que partielle. Napoléon rapporte à l’Église en pleine propriété une part des biens répondant à des conditions strictes. Quant aux autres biens – la majorité – il en attribue la propriété aux communes ou aux départements tout en garantissant au culte l’usage de ces biens. Les fabriques d’église en deviennent les affectataires.
Or, par la suppression des fabriques d’église et notamment par les dispositions vexatoires (e.a. art. 7 (1), art. 12 (2) et (3), art. 13, art. 15) du projet de loi 7037 auxquelles s’ajoutent les mesures abrogatoires de la loi du 17 mars 2016, la réparation partielle est pratiquement réduite à néant. Dès lors la spoliation originaire de la fin du XVIIIe siècle et l’injustice gravissime qui en résulte revivent pleinement et sont reconstituées in integrum ! C’est indigne d’un État de droit et ouvre la voie à des recours en justice de la plus haute portée.
Mais l’auteur de notre essai n’a pas pris la peine, pas plus que les instigateurs du projet de loi et tous ceux qui sont concernés, y compris les experts mandatés, de remonter plus haut dans l’histoire, au-delà de 1809 et de 1789, pour élucider les antécédents et préalables du décret de l’empereur.
Le pari d’objectiver (et d’apaiser) le débat a-t-il été tenu ? Je ne le crois guère. Il y a trop d’interprétations fallacieuses et de non-dits. Le poisson est pour ainsi dire noyé dans l’eau. Cependant, l’auteur de l’article étant qualifié comme « conseiller spécial du ministre de l’Intérieur », une annexe du projet déposé le désignant comme auteur (du projet de loi), on ne doit pas s’étonner que son essai s’apparente au Cicero pro domo sua plutôt que d’être un exposé objectif.