Séparation de l’Église et de l’État

On vise le subconscient chrétien

d'Lëtzebuerger Land vom 30.09.2016

Le conflit avec l’Église entre dans sa phase finale. Toutes affaires cessantes, il importe de réaliser avant les élections communales de 2017 et celles législatives de 2018 le programme du gouvernement quant à la séparation de l’Église et de l’État. Il n’y a pas péril en la demeure pour liquider une situation juridique vieille de deux siècles, mais vu l’avenir, le temps presse, car une coalition comme celle au pouvoir on n’en verra plus avant longtemps, si jamais elle devait se refaire un jour.

Cette séparation, en gros, consiste à liquider les fabriques d’églises au profit d’un fonds à compétence nationale devant remplacer les quelque 250 fabriques existantes. Le fonds est appelé à fonctionner sous l’autorité de l’archevêque, alors que les fabriques régionales étaient indépendantes. Ce n’est pas tout. Les communes se verront retirer leur autonomie communale qui existe également depuis fort longtemps, car elles ne seront plus autorisées à subvenir à l’entretien des immeubles du culte qui deviendront soit propriété du fonds, soit entreront dans le domaine public communal. Finalement l’État ne prendra plus en charge la rémunération des ministres du culte.

Deux cents ans après le concordat de Bonaparte avec le Vatican, et partiellement en violation de cette convention, cent ans après la loi française de 1905, qui n’est plus d’actualité, sur la séparation en France entre l’Église et l’État, nous avons attendu le gouvernement Bettel pour chambarder une situation existante avec une précipitation qui cache mal les vrais desseins du pouvoir.

En effet, au lieu de créer des liens sociaux nouveaux censés meilleurs que ceux qui existent, nous abolissons des traditions sans autre but que de basses préoccupations électorales. Car ce qui est recherché par le pouvoir, c’est l’affaiblissement d’un électoral conservateur qui plonge ses racines dans les valeurs chrétiennes qui existent depuis toujours dans ce pays. Le calcul est archisimple : non capable d’affronter les idées sous-jacentes au christianisme et au parti chrétien social qui les défend, du moins en partie, on s’attaque aux aspects extérieurs, matériels en quelque sorte, à la suprastructure générée par ces valeurs et idées-là.

En abattant l’arbre on finit bien, pense-t-on, par en recueillir les fruits. À défaut de programme, car à gauche comme ailleurs il n’y a plus de programme politique depuis fort longtemps, on déterre les vieux démons, les vieilles chimères de l’opium pour le peuple.

Vue sous cet angle, la séparation de l’Église et de l’État actuellement en cours est une fin en soi. Elle vise à éliminer l’adversaire politique ou du moins l’affaiblir, en s’attaquant à sa logistique, à ses courroies de transmission, à ses réservoirs d’eau vive. Voilà qui explique la hâte d’agir, cette mentalité du « now or never ».

Cette tactique est au premier regard étonnante, car tout porte à croire que l’Église se meurt par elle-même, d’une belle mort paisible, faute de combattants. Il suffit de laisser faire et surtout de ne pas susciter des martyres, car le sang et l’esprit martyres sont contagieux.

On ne vise donc pas l’Église per se. On vise le subconscient individuel et collectif chrétien qui n’a directement rien à voir avec une pratique religieuse régulière, avec une ostentation plus ou moins tapageuse et clinquante. Ce subconscient mettra du temps à s’évanouir, la déchristianisation ne se fera pas du jour au lendemain. N’empêche, les premiers pas sont faits. On verra bien par la suite.

Un des grands philosophes politiques du XVIIIe siècle était Jean-Jacques Rousseau. C’est lui l’auteur du contrat social qui a, entre autres, largement influencé Immanuel Kant. D’après Rousseau une société bien organisée est celle qui fonctionne selon le principe de la volonté générale qu’il oppose à la volonté du prince. La volonté générale c’est la démocratie, par opposition à l’absolutisme qui écarte la participation du peuple.

Les lecteurs superficiels de Rousseau comprennent par volonté générale, la volonté de la majorité parlementaire. Toutes les démocraties fonctionnent quantitativement : une majorité est une majorité peu importe le quorum, peu importe comment elle est née, peu importent ses conséquences (rappelez-vous le Brexit).

Ce n’est pas ce que Rousseau a voulu dire par volonté générale. Dans son optique, cette notion signifie consensus du grand nombre par assentiment à des idées supérieures largement et profondément enracinées dans la société, consensus appelé à changer cette société dans l’intérêt du grand nombre, non dans l’intérêt d’une minorité partisane. Chez Rousseau, chaque votant s’efface non devant la collectivité, mais devant les valeurs supérieures qui sont nées dans cette collectivité. Ce sont elles qui priment.

Certes l’idée de Rousseau a quelque chose d’utopique, car elle désincarne les humains en les privant de leurs égoïsmes, de leurs intérêts propres, de leurs arrières-pensées partisanes. Il n’empêche que tout homme politique digne de ce nom doit à tout moment soumettre ses intérêts propres au bien commun. L’impératif catégorique de Kant est plus nécessaire que jamais en cette matière. Kant disait en substance : « agis toujours de façon à faire de la motivation de tes actions le fondement d’une norme générale ». Oublier cet impératif c’est dégrader la politique à de banals trafics d’influences saisonniers au gré du vent.

Tous les quarante ans, le Luxembourg est régi par un gouvernement ayant à sa tête un libéral. De 1974 à 1979 c’était Gaston Thorn qui était Premier ministre. Tous les quarante ans, les chrétiens sociaux connaissent comme les Juifs de l’Ancien Testament leur traversée du désert, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Durant l’ère Thorn, le gouvernement était confronté à une violente opposition menée surtout et avant tout par le Wort et sa rubrique « De Luussert » qui souvent suintait une perfidie et une mauvaise foi d’autant plus étonnantes que les chrétiens-sociaux avaient délibérément choisi la voie de l’opposition en 1974. Personne ne les y avait poussés.

Par contre, je ne me souviens pas d’agressivités spécifiques de la part de la majorité de l’époque à l’encontre de l’Église. Gaston Thorn, qui tous les ans participait à la procession finale de l’Octave, n’aurait jamais permis de pareilles attaques. C’est d’ailleurs lui qui m’a révélé un jour – j’étais son référendaire pour les questions de droit du travail – que si dans les années 1960 le Luxembourg n’a pas recouru comme la Belgique ou les Pays-Bas à de la main d’œuvre du Maghreb, c’était sur recommandation de l’Église qui insistait qu’on comble le manque de salariés de l’époque par des travailleurs chrétiens. Voilà qui explique notre ouverture surtout vers le Portugal et l’arrivée en masse d’Européens du Sud. Grâce à l’Église, nous avons évité des situations comme il en existe en banlieue parisienne ou dans certains quartiers de Bruxelles.

On ne peut pas soupçonner Dan Kersch de connaître Rousseau ou Kant. Dans la position qui est la sienne et avec le travail qu’il accomplit ces lectures-là seraient plutôt à déconseiller, car elles sèmeraient le doute. Xavier Bettel en revanche, a une formation. Il est censé connaître ses classiques, et ce d’autant plus qu’il est aussi ministre des Cultes et comme tel intéressé en première ligne et au même titre que le ministre de l’Intérieur à la séparation de l’Église et de l’État projetée. Or, sur cette importante question on ne l’entend guère, on ne le voit pas. Voilà qui est fort curieux.

C’est vrai qu’il n’a pas le tempérament querelleur. Il se plait davantage dans un rôle de conciliateur, de médiateur qui ne se mouille pas, tout en mettant en évidence comme il faut sa personne. Récemment il a proposé en Israël une conférence de paix à Luxembourg pour mettre fin à la question palestinienne ! Pourquoi dans ces conditions ne pas réunir à Jérusalem les antagonistes luxembourgeois pour résoudre les problèmes que lui, Xavier Bettel, a créés grâce à la coalition qu’il a forgée au prix de sacrifier les intérêts de l’Église pour son poste de président du gouvernement ? « Paris vaut bien une messe », disait Henri IV avant de se convertir au catholicisme et devenir roi de France !

Il suffirait en ce moment d’une intervention quelque peu énergique de Xavier Bettel pour mettre fin à cette tragi-comédie, à cette parodie de politique que nous vivons et qui finira par coûter des milliers de voix aux libéraux aux prochaines élections et risque de faire de Xavier Bettel une pâle copie de David Cameron.

Bettel aura-t-il le courage d’agir ? Se souviendra-t-il de sa jeunesse et de ses vacances à la Caritas, institution catholique par excellence ? Saura-t-il être au lieu de paraître ?

Réveille-toi vite Xavier, je crois que Dan est devenu fou !

Fernand Entringer
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