Visite à Echternach, où l’on s’inquiète de l’avenir de la Basilique, après que l’archevêque Jean-Claude Hollerich eût refusé de signer la convention proposée par l’État

Clochemerle à l’Est

d'Lëtzebuerger Land vom 20.01.2017

Perplexité à Echternach « Je suis persuadé que le Syfel va gagner ces procès devant la Justice. Persuadé ! » Yves Wengler, CSV, est maire de la petite bourgade historique d’Echternach (5 600 habitants) depuis deux ans. Informaticien, il est rationnel – et embêté de se retrouver coincé dans cet engrenage qui a fait que, le 22 décembre dernier, devant les caméras de RTL Télé Lëtzebuerg, la presse et les hauts dignitaires de l’Église et de l’État, l’archevêque Jean-Claude Hollerich refuse soudain de signer la convention devant régler le statut spécial de la Basilique d’Echternach. « Si je signe, allez-vous alors encore une fois me traîner en justice ? » demanda-t-il aux représentants de la fabrique d’église d’Echternach. Et le ministre des Cultes et Premier ministre Xavier Bettel (DP) de profiter du moment pour les interpeller à son tour en leur demandant de clarifier la situation. Puis ça a fait pschit ! et la maire de la capitale Lydie Polfer (DP) est sortie avec une convention signée, lui permettant de se faire cofinancer le fonctionnement et l’entretien de la Cathédrale de Luxembourg à hauteur de cinquante pour cent par l’État, alors que Yves Wengler partit bredouille du ministère d’État. « Ce jour-là, je ne savais même pas que la fabrique d’église d’Echternach avait assigné l’archevêque en justice », se souvient-il. Mais que le moment était hautement pénible, surtout parce qu’il est ensuite passé en boucle à la télévision.

Pour comprendre ce qui s’était passé, il faut remonter un peu dans l’histoire. Le 26 janvier 2015, dans le cadre du grand projet du gouvernement de moderniser les relations entre l’État et les religions, le ministre de l’Intérieur Dan Kersch (LSAP), le ministre des Cultes et Premier ministre Xavier Bettel ainsi que le ministre de l’Éducation nationale Claude Meisch (DP) d’un côté et l’archevêque Jean-Claude Hollerich de l’autre signèrent la convention devant régler les futures relations entre l’Église catholique et l’État luxembourgeois. Elle règle les financements, abolit les cours de religion à l’école – et supprime les fabriques d’église locales, existant depuis un décret de 1809, pour les remplacer par un Fonds de gestion des édifices religieux centralisé et attaché directement à l’archevêché (voir ci-dessous). Cette convention impliquera notamment le transfert de toutes les propriétés, que ce soit le patrimoine religieux mobilier ou immobilier (églises, chapelles, cimetières…) ou les nombreux terrains (des « centaines d’hectares de terrains non bâtis ainsi que des forêts », Syfel) des fabriques locales à ce fonds central. Réunies dans le syndicat Syfel depuis quelques années, une centaine de fabriques d’église proteste de se voir ainsi expropriées et a recours à tous les moyens pour défendre leurs droits. Dont une pétition publique à la Chambre des députés, qui sera débattue lundi prochain, et une action en justice, entamée en décembre. Les fabriques reprochent notamment à l’archevêque de ne pas avoir de droit hiérarchique sur les fabriques d’église (il en assure pourtant la tutelle) et de n’avoir eu aucun mandat pour les engager dans cette convention.

Statut spécial Comme Xavier Bettel était maire de la capitale et a toujours eu à gérer la Cathédrale et son déficit, il connaissait bien cette principale église du pays et voulait d’office lui accorder un statut spécial, permettant un financement public de la commune et de l’État (alors qu’une telle intervention publique, même communale, est expressément interdite dans le projet de loi qui transpose la convention). Jean-Claude Hollerich se serait alors battu, lors des négociations de la convention, à ce que la Basilique d’Echternach, dont les origines remontent au VIIe siècle, ait un statut similaire. Or, nuance : alors que la Cathédrale appartient à la Ville, la Basilique appartient à la fabrique d’église. Si la convention pour la Cathédrale prévoit un financement paritaire État/Ville, celle pour Echternach prévoit donc un financement tripartite. Au début, lors d’une première réunion au ministère d’État qui a eu lieu le 24 février 2016, il était question d’une clé de financement d’un tiers pour chacune des parties – État, Ville d’Echternach et fabrique d’église d’Echternach. Yves Wengler demanda alors au moins le même traitement que pour la capitale, et la clé fut revue à cinquante pour cent pour l’État et à chaque fois 25 pour cent pour la Ville et pour la fabrique d’église respectivement.

État de droit En parallèle, le ministre de l’Intérieur Dan Kersch fit travailler son conseiller Paul Schmit sur le projet de loi mettant la convention générale en musique. Pour Yves Wengler, il paraissait alors évident que la fabrique d’église d’Echternach devait avoir elle aussi un statut spécial dans cette loi, parallèlement à la Basilique, comme semblaient le lui indiquer et la convention originelle et les pourparlers au ministère. Lors d’une deuxième réunion au ministère, à laquelle ne furent convoqués que le déchant et la fabrique d’église d’Echternach (mais pas la commune), il fut soudain question que le financement public ne concernerait plus les frais de fonctionnement de la Basilique, mais seulement le déficit. Nuance que le conseil communal trouva inacceptable et contre laquelle il protesta dans une lettre envoyée en juin, mais à laquelle il ne reçut jamais de réponse.

Le projet de loi n°7037, déposé fin août 2016, prévoit, dans son article 17 (1) : « Dans la limite des moyens budgétaires disponibles, le Gouvernement est autorisé à contribuer aux frais de conservation, d’entretien constructif et de remise en état de la Cathédrale de Luxembourg et de la Basilique d’Echternach, suivant les modalités à convenir avec le Fonds et res­pectivement la Ville de Luxembourg et la Ville d’Echternach. Dans les mêmes conditions, l’État peut contribuer aux frais de fonctionnement et d’entretien courant de ces deux édifices religieux. » Le projet est encore en discussion, la commission des Affaires intérieures ne s’y est penchée qu’une fois en septembre dernier et seul le Syvicol a émis un avis. Pour que la loi puisse être votée, elle doit être complétée par la liste des biens concernés et les accords trouvés entre fabriques d’église et communes réglant leur propriété. Ces conventions devaient être conclues avant le 1er janvier de cette année ; quelque 110 conventions de ce genre avaient été déposées auprès de l’archevêché jusqu’à cette semaine, concernant une trentaine d’églises. Or, il y a 285 fabriques d’église. À défaut de convention ou d’actes de propriété clairs, les biens reviendront au futur Fonds central.

Attentisme fatal Les biens du territoire d’Echternach autres que la Basilique – l’église Saint Pierre et Paul et trois chapelles – tomberont ainsi dans le giron du Fonds. Parce que pour le maire et le conseil communal subsistait cette conviction que la fabrique d’église d’Echternach allait être maintenue. « Pourtant, nous aurions aimé les garder, il y avait un consensus au conseil communal sur cette question », regrette Yves Wengler. Le statut spécial de la Basilique est vital pour la commune, car actuellement, son fonctionnement engendre des frais de quelque 120 000 euros annuels, dont 40 000 euros pour le salaire d’un sacristain, des frais courants et, surtout, 50 000 euros pour le chauffage entièrement, somme couverte par la commune. Ses seules entrées proviennent des ventes des cierges, du tronc d’église et de dons. En 2016, le déficit couvert par la commune était de 11 000 euros. Pourtant, affirme le maire, cette Basilique ne représente pas seulement un patrimoine religieux, mais aussi un patrimoine architectural – elle est classée monument national –, une attraction touristique considérable pour la région et un symbole identitaire pour les citoyens de la commune (elle fut détruite durant la Deuxième Guerre mondiale et reconstruite grâce à des dons privés). 150 000 visiteurs viendraient la voir par an ; 10 000 croyants participent en outre chaque année à la procession dansante, dont les 20 000 euros de frais sont couverts par le Willibrordus Bauveräin, fondé à la fin du XIXe siècle pour propager le culte de Saint Willibrord.

Le dos au mur La fabrique d’église d’Echternach est actuellement le dos au mur : solidaire de ses pairs, elle a signé le mandat du Syfel pour ester en justice contre la convention de 2015. Action en justice intentée par une centaine d’entre elles contre l’État, le gouvernement, le ministre des Cultes, le ministre de l’Intérieur et l’archevêque, et ce aussi bien sur le fond, que, aussi et surtout sur la forme de la signature de cette convention, et pour laquelle l’assignation est donc arrivée à l’archevêché le jour même où le statut spécial de la Basilique devait être scellé. Jean-Claude Hollerich l’a pris personnellement et s’en est offusqué sur sa page Facebook, lors de cette séance au ministère d’État et dans une longue interview accordée au Luxemburger Wort le 31 décembre 2016, se disant « blessé » en tant que catholique. Le conseil communal d’Echternach, lui, n’est pas amusé non-plus, puisqu’il risque de perdre un financement non-négligeable dans un budget ordinaire de 22 millions d’euros annuels seulement. Avoir quelques dizaines de milliers d’euros de subside étatique, ce ne serait pas de refus. Alors il essaie de convaincre la fabrique d’église de retirer sa plainte. Pourtant, cette dernière perdrait également sa face si, appâtée par l’argent, elle se désolidarisait. Les débats internes sont houleux. Consciente de sa mauvaise posture, la fabrique d’église envoie, le 9 janvier, un communiqué dans lequel elle demande des excuses à l’archevêque s’il se sentait personnellement visé par la plainte, lui assure sa loyauté – mais ne voit pas d’incohérence entre contester sa propre abolition et être en faveur du statut spécial pour la Basilique.

Lundi, le vicaire général Leo Wagener a pris l’initiative personnelle de venir à Echternach, assister à une réunion du conseil d’église, afin de lui assurer que ces excuses publiques avaient été très appréciées. Mais, sans mandat de l’archevêque, il ne pouvait en dire plus et a renvoyé au ministre d’État. « Nous attendons », confirme Patrick Ries, porte-parole de la fabrique d’Echternach. Or, « nous attendons » est aussi la réponse qu’on reçoit au ministère d’État et des Cultes en y posant la question de la suite dans l’affaire de la Basilique : le Premier ministre voudrait savoir comment l’Église comptait éteindre ce brasier interne. En pleine campagne électorale pour les communales, le conseil d’Echternach, lui, est embêté de ne pas pouvoir intervenir du tout dans la situation. Le LSAP, dans la majorité, a déjà envoyé un communiqué de presse faisant part de son impatience face aux querelles de compétence intra-Église. Alors, les quatre partis ont prévu d’adopter la convention sur le statut de la Basilique lors de la réunion du conseil communal du 30 janvier. Certes, cette convention n’existe pas encore. Mais c’est un acte désespéré afin de reprendre la main.

josée hansen
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