Un article paru samedi dans The Irish Times détaille la marche d’une poignée de pays européens vers la reconnaissance de la Palestine. Dans la logique des accords d’Oslo signés en 1993 pour aller vers une solution à deux États, la reconnaissance de l’État palestinien devait intervenir en bout de route, pour marquer une sorte de climax. L’attaque du Hamas le 7 octobre et la campagne de bombardements de Tsahal en représailles sur la bande de Gaza où l’organisation terroriste s’est réfugiée avec plus de 200 otages israéliens a changé la donne. Pour le gouvernement irlandais, la reconnaissance de la Palestine par au moins la moitié des États de l’UE aurait permis d’exercer une pression sur Israël, lui montrer qu’une grande partie du Vieux continent ne lui accordait plus blanc-seing pour sa politique vis-à-vis des Palestiniens. La logique arithmétique était là. Si tous les like-minded states (Belgique, Espagne Irlande, Luxembourg, Portugal, Slovénie et épisodiquement la France) avaient rejoint les sept pays membres qui ont déjà reconnu la Palestine (la plupart lorsqu’ils appartenaient au bloc soviétique), alors la majorité envisagée aurait été atteinte. Le 21 janvier, le Premier ministre irlandais a organisé un dîner à Bruxelles et il s’est rendu compte que l’enthousiasme s’étiolait dans certaines capitales. « Luxembourg’s foreign minister, Jean Asselborn, was replaced by the country’s former prime minister Xavier Bettel, thought by the Irish side to be less gung ho », écrit l’Irish Times. En effet, ce mois-ci ils ne sont plus que trois (Espagne, Irlande, Slovénie, plus la Norvège hors-UE) à aller au bout de la démarche.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères luxembourgeois a initié son propre chemin (tout en disant privilégier une approche coordonnée au niveau européen). Il l’a mené au Proche-Orient en janvier, pour sa première visite à l’étranger dans ses nouvelles fonctions. Il y a alors rencontré ses homologues israélien et palestinien. « Ils m’ont dit ‘ reviens ‘ », a-t-il expliqué ensuite (d’Land, 15.3.24). La deuxième visite a été programmée ces mardi et mercredi. Mais entre la planification du déplacement et le déplacement lui-même, de nombreux événements ont considérablement aliéné la pertinence de la visite.
D’abord, les deux principaux émissaires de l’autorité palestinienne se déplaçaient en Europe de l’Ouest cette semaine. Si bien que Xavier Bettel a dîné lundi à Bruxelles avec le ministre des Affaires étrangères palestinien, Riyad Maliki, a-t-on appris du ministère ce jeudi. Voilà pourquoi à Ramallah mercredi, le Vice-Premier ministre n’a rencontré « que » le conseiller diplomatique du président palestinien et le chef de l’autorité générale des affaires civiles de l’Autorité palestinienne. Selon le communiqué envoyé à l’issue de la visite, Xavier Bettel a réaffirmé « son soutien à la Palestine, en soulignant que le Luxembourg reste attaché à une résolution du conflit sur la base de la solution à deux États qui est la seule possibilité pour atteindre une paix durable qui garantisse également la sécurité d’Israël ». Le ministre aurait également souligné son « plein soutien » (sic) à l’Autorité palestinienne, espérant qu’elle puisse « reprendre le contrôle et la gouvernance à Gaza et regagner la confiance de toute la population palestinienne ».
Problème, nous souffle un diplomate, l’Autorité palestinienne peine déjà à contrôler Ramallah et la Cisjordanie. Elle demande en outre la reconnaissance, ce qui la renforcerait par rapport au Hamas pour reprendre du poids dans la bande de Gaza et constituer un interlocuteur crédible. Interrogé mercredi soir sur RTL, Xavier Bettel a répété qu’il ne voyait en la reconnaissance de la Palestine qu’une « mesure symbolique ». « Eng Unerkennung vu Palästina huet bis elo näischt bruecht », prétend-il. Au doorstep post-conseil Affaires étrangères lundi, le ministre luxembourgeois s’est emmêlé les pinceaux pour repousser une reconnaissance que les députés promettent depuis dix ans. À la Chambre au début du mois, il était question d’accorder ses violons au niveau européen. Maintenant que d’aucuns ont passé le pas sans le Grand-Duché, il faudrait s’inscrire dans un élan international : « Also maybe in South- or Latin-America ». Or, relève le député Déi Lénk David Wagner, tous les pays sud-américains ont déjà reconnu la Palestine. « En-dehors de l’Europe, seuls 24 États, dont dix États insulaires du Pacifique ne l’ont pas encore reconnue », fustige le député de gauche dans une question parlementaire où il demande, en somme, où le ministre Bettel veut vraiment en venir. « Il me semble difficile d’envisager une dynamique internationale telle que Monsieur le ministre se l’imagine, étant donné qu’elle a déjà eu lieu mais sans le concours de la plupart des États européens, dont le Luxembourg », écrit David Wagner. Ce jeudi face au Land, le député rappelle qu’une reconnaissance a de l’importance parce qu’elle donne du poids aux représentants légitimes, pour négocier la paix notamment. Elle permettrait aussi de contrer plus aisément la colonisation israélienne en Cisjordanie. Elle matérialiserait enfin, pour les Palestiniens, une contrepartie de l’Occident en échange de leur engagement pour la paix. Et l’opposition farouche du gouvernement Netanyahou à toute reconnaissance par des États occidentaux n’est-elle pas, au fond, la preuve que la démarche n’est pas symbolique ?
Entre la planification du déplacement de Xavier Bettel et le déplacement lui-même, les juridictions internationales ont aussi bougé. Le procureur de la Cour pénale internationale a demandé à ce que l’instance émette des mandats d’arrêt contre le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour des crimes contre l’humanité commis dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre, date de l’attaque du Hamas sur le territoire israélien qui vaut à trois de ses dirigeants d’être aussi visés par l’institution héritière du Tribunal de Nuremberg. Vendredi dernier, la Cour internationale de justice a enjoint Israël de cesser son intervention militaire à Rafah pour des raisons humanitaires, quatre mois avoir jugé plausible le risque de génocide dans la bande de Gaza.
Lundi, le monde entier s’est indigné qu’un missile israélien provoque l’embrasement d’un camp de réfugié en périphérie de Rafah, brûlant vives des familles entières dans leurs tentes. Aucune condamnation de la part du gouvernement luxembourgeois à la veille de la visite en Israël. « @LucFrieden@Xavier_Bettel @gouv_lu : keng Réaktioun zu Israel senger Attack op Rafah ? Votre silence est assourdissant », a tweeté Franz Fayot mardi. Face au Land, le député socialiste a jugé la visite sur place du ministre des Affaires étrangères « problématique ». Xavier Bettel ayant vu son homologue palestinien à Bruxelles, elle ne se justifie, d’un point de vue diplomatique, que par ses rencontres avec des représentants d’un gouvernement susceptible d’avoir commis (ou d’être en train de commettre) des crimes contre l’humanité. À quoi bon vouloir construire des ponts ? « Hier wären von der Regierung stärkere Sanktionen als nur der angekündigte Waffenlieferungs-Stopp zu erwarten, der uns ohnehin nicht direkt betrifft, falls Israel die IGH-Aufforderung ignoriert », fait valoir la députée écologiste, Sam Tanson, mercredi dans une question parlementaire.
Le ministre des Affaires étrangères a fini par condamner l’intervention meurtrière de Tsahal à Rafah dans un communiqué envoyé aux rédactions luxembourgeoises. Il y dit avoir rappelé à ses interlocuteurs israéliens l’importance de respecter le droit international. En Israël, la visite de Xavier Bettel a été spectaculairement ignorée par les médias. Seul The Jerusalem Post l’évoque, narrant la rencontre avec des familles d’otages en présence du ministre des Affaires étrangères, Israël Katz. Le père d’une jeune Israélienne enlevée a demandé au ministre luxembourgeois : « What would you do if your neighbors were murdering, raping and kidnapping your own citizens ». Israël Katz lui-même et son ministère passent l’entrevue sous silence. Lui et Benjamin Netanyahou préfèrent mettre en exergue la présence sur la même période de l’ancienne candidate à la présidentielle américaine, Nikki Haley (qui en a profité pour dédicacer un missile de Tsahal avec la mention « Finish them »), ou du commissaire hongrois Olivér Várhelyi, connu pour sa diligence à vouloir couper les fonds aux œuvres humanitaires pour les Palestiniens.