Depuis cet été, le nombre de demandeurs de protection internationale (DPI) a augmenté de manière significative, avec 205 personnes ayant introduit une demande en août et 297 en septembre. Parmi les nouveaux arrivants se trouvent de plus en plus de mineurs non-accompagnés (MNA) et ils sont plus jeunes qu’auparavant. Partant de ce constat, et parce qu’une part croissante des réclamations qui lui sont adressées concerne le droit d’asile, l’Ombudsman fir Kanner a Jugendlecher (Okaju) a tenu à examiner la situation dans les structures d’accueil. Son rapport annuel, dévoilé mardi, consacre une importante partie à cette « enfance mise en suspens », comme l’indique son titre.
Pour réaliser son rapport, l’Okaju a visité entre juin et août, treize des 55 structures d’hébergement provisoire de taille et de destination variables. Des entretiens avec les réfugiés et avec le personnel encadrant ont été réalisés. « Pour les enfants qui vivent en structure d’accueil, le quotidien est marqué par des toilettes collectives, des douches collectives, pas d’espace de jeu et peu de perspectives », résume
Charel Schmit, le médiateur à l’enfance et à la jeunesse. Il constate que ces foyers ne sont généralement pas adaptés aux enfants et aux familles. En observant les domaines essentiels au bon développement des enfants comme l’alimentation, l’accès aux soins de santé, le jeu et les loisirs, l’éducation, la sécurité, les auteurs du rapport estiment que les critères de la Convention relative aux droits de l’enfant ne sont souvent pas remplis. « Les droits de l’enfant passent au second plan, parce que les structures sont saturées et le personnel qui y travaille est insuffisant, même s’ils font tout leur possible pour gérer l’impossible. » Les critiques visent principalement les structures qui hébergent les demandeurs et bénéficiaires de la protection internationale. « On a mis en place des solutions plus adaptées pour les demandeurs et bénéficiaires de la protection temporaire (comprendre, ceux qui viennent d’Ukraine, ndlr). Or, nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas de discrimination, ni de traitement inégal. »
Le rapport passe en revue différents aspects de la vie en foyer. Par exemple, les installations sanitaires visitées sont jugées « dans un état de propreté satisfaisant », mais le médiateur regrette que « les cabines de douche ne peuvent généralement pas être verrouillées, un risque pour l’intimité et la sécurité, en particulier pour les femmes et les enfants ». Le manque d’intimité est largement pointé du doigt : « les parois légères et minces offrent peu de protection contre les bruits et les nuisances sonores, et l’intimité est fortement limitée. C’est particulièrement vrai pour les parents qui dorment dans une chambre avec leurs enfants ». De manière générale, la disposition des chambres se base par défaut sur le réfugié en tant que personne seule, et le mode d’aménagement avec un lit superposé et un casier ne convient pas aux familles avec enfants. La question de la surveillance des enfants se pose aussi. Faute d’espace pour jouer et se défouler, de nombreux enfants jouent dans les couloirs ou à l’extérieur où ils ne sont pas toujours surveillés par les parents. Parfois des locaux pour les loisirs existent mais ne sont accessibles que quelques heures par semaine, lorsque le personnel éducatif est sur place. L’isolement géographique de certains foyers qui impose de longs trajets pour aller à l’école et rend l’accès aux infrastructures de soins, de loisirs ou aux activités sociales compliqué est aussi mis en évidence. L’Okaju réclame une approche « droits de l’enfant by design » où des espaces de retrait, des salles pour les devoirs ou pour les activités de loisirs seraient conçus dès le départ. « Un guide officiel sur la construction de structures d’hébergement adaptées aux familles et aux enfants devrait être conçu et accessible aux architectes. » Globalement, l’Okaju plaide pour écourter autant que faire se peut la durée de séjour dans les centres de premier accueil ou les logements collectifs. Pour cela, « l’État doit investir davantage dans la construction de logements sociaux ». Charel Schmit demande des efforts aux communes : « Il y a une répartition inéquitable des logements pour réfugiés au Luxembourg. Il faudrait un système de quotas où chaque commune apportera sa part afin de créer des logements sociaux. »
Un autre point abordé est celui de l’alimentation, le domaine le plus fréquemment critiqué par les DPI et BPI, adultes comme enfants. La plupart des centres de premier accueil ne prévoient pas de cuisines individuelles ou collectives, mais des cantines où sont livrés des repas. Les menus suscitent de nombreuses critiques – plats éloignés des habitudes alimentaires, plats froids le soir, aucun encas –, la taille des portions est discutée, l’ambiance bruyante de certains réfectoires est pointée par plusieurs parents ainsi que le manque d’accès à de l’eau. Mais c’est le manque d’autonomie qui est le plus regretté : impossibilité de faire des courses, absence de cuisine ou cuisine trop petite, mal équipée, vétuste… « Avec la nourriture livrée à la cantine, on rate non seulement l’occasion d’obtenir une plus grande satisfaction des résidents, mais aussi la possibilité de prendre soin de soi de manière autonome », note le rapport où les auteurs suggèrent de proposer des prestations en espèces plutôt que des prestations en nature, afin de permettre aux familles d’acheter elles-mêmes les aliments qu’elles souhaitent. Cette question de l’autonomie revient dans de nombreuses critiques formulées par les associations qui viennent en aide aux réfugiés, notamment sur l’accès au marché du travail. L’Okaju plaide ainsi pour un changement de paradigme dans l’aide aux personnes réfugiées. « Au lieu de favoriser la perte de l’autonomie dans la gestion journalière de la vie quotidienne des personnes accueillies, l’État devrait davantage miser sur une approche activant et facilitant leur pouvoir d’agir. Les acteurs du terrain ont besoin de plus de liberté et plus de subsidiarité pour donner une réponse humanitaire et humaniste au lieu d’appliquer les règlements au pied de la lettre », souligne Charel Schmit.
Pour répondre à ces questions, inquiétudes et dysfonctionnements, il faut inverser les priorités : Les droits des enfants doivent s’appliquer avant le droit d’asile. « Au Luxembourg, les enfants sont considérés en premier lieu comme des demandeurs d’asile ou comme des membres d’une famille dont le statut doit être clarifié dans le cadre d’une procédure d’asile, et non comme des individus à part entière qu’il convient de protéger dès le premier jour », regrette Charel Schmit. Il souligne que c’est particulièrement flagrant pour les mineurs non accompagnés. Une observation déjà notée dans le rapport d’activité de l’asbl Passerell. « De nombreux acteurs luxembourgeois mettent en évidence l’absence d’une protection systématique de tous les enfants non accompagnés qui arrivent au Luxembourg, indépendamment de l’introduction d’une demande de protection internationale. » L’une des pistes pour changer cette vision des choses est de confier à l’autorité chargée de la protection de la jeunesse, l’Office nationale de l’enfance (ONE), la responsabilité de l’accueil des mineurs non accompagnés. Depuis peu, l’ONE a repris la gestion des structures d’hébergement pour MNA, ce que salue l’Okaju. Cependant, le mineur n’a pas un statut à part entière et reste donc dans un flou juridique. Même si l’ONA oriente les mineurs non accompagnés vers l’ONE, il manque une base légale leur conférant un statut administratif spécifique. En outre, l’encadrement pédagogique et psychosocial doit être renforcé et un effort particulier doit être mené pour améliorer l’autonomie de ces jeunes. Activités de loisirs et aide aux devoirs, cours d’« autoempowerment », d’éducation sexuelle, de lutte contre la radicalisation ou les risques en ligne, devraient être proposés suggère le médiateur tout en sachant que « cela n’est possible qu’avec des ressources en personnel suffisantes. »
Un autre écueil dénoncé dans le rapport concerne la détermination de l’âge de ces jeunes. Puisque l’âge est un critère clé dans la procédure d’asile pour identifier les demandeurs vulnérables et leur offrir des garanties procédurales particulières et de conditions d’accueil adaptées, il faut identifier le plus rapidement possible les mineurs. Le droit d’asile luxembourgeois permet, de déterminer l’âge par voie médicale (analyse osseuse, dentaire, de la pilosité…). « Les tests osseux sont généralement menés en cas de doute sur la minorité indiquée par un jeune. Les résultats des tests peuvent être très clairs, mais parfois ils sont moins clairs (si le test ne permet ni de confirmer définitivement la majorité, ni de l’exclure non plus) », détaille le rapport. Si le doute ne peut être levé, la présomption de minorité doit s’appliquer. Ce qui n’est pas toujours le cas : « On fait plutôt face à une présomption de majorité » dénonce Charel Schmit. Il regrette le manque de transparence sur la procédure de détermination de l’âge d’un jeune, notamment sur le poids accordé à l’examen physiologique. « La fiabilité des méthodes purement médicales de détermination de l’âge des MNA a été remise en question par des médecins, des avocats et des organisations de défense des droits de l’enfant », lit-on dans le rapport.