Les Iraniens du Luxembourg mettent leurs divergences entre parenthèses pour soutenir les manifestants
qui se soulèvent contre le régime dans leur pays

« Tout, sauf les mollahs »

Foto: Hadrien Friob
d'Lëtzebuerger Land vom 14.10.2022

« Cette manifestation est une première et un succès car elle rassemble des groupes, organisations, associations, partis qui sont généralement divisés », estime Ardavan Fatholahzadeh. Cet avocat qui exerce au Luxembourg depuis 1995 est heureux d’avoir prêté main forte aux organisateurs pour que cet événement collectif puisse se tenir, et sans tension. « Je viens d’une famille arc-en-ciel, avec des opinions variées et je prône toujours le respect de tous. Les Iraniens du Luxembourg doivent montrer une unité derrière le peuple qui se bat pour vivre libre et en paix. » Entre les monarchistes pro-Shah, ceux qui entretiennent des relations économiques avec le gouvernement, les Baha’is, les réfugiés, les étudiants et même les moudjahidines, la communauté iranienne au Grand-Duché s’avère disparate et difficile à cerner. En nombre déjà : « Nous n’apparaissons pas dans les statistiques », sourit Farah Dustdar, docteur en sciences politiques qui s’est installée au Luxembourg en 1971, après des études en Autriche. Le Statec dénombre environ 600 Iraniens au Luxembourg, mais beaucoup de ceux qui y vivent depuis plus de vingt ou trente ans sont devenus Luxembourgeois. « Je dirais que la communauté iranienne compte 2 000 personnes », lui emboîte Fatemeh Khelghatdoust, présidente de l’association Simourq, à l’initiative de la manifestation de dimanche. Arrivée comme réfugiée il y a sept ans, celle qui était enseignante en physique dans son pays est aujourd’hui professeur remplaçant à Luxembourg tout en approfondissant sa formation à l’Université. Simourq – dont le nom évoque le récit La Conférence des oiseaux publié par le poète soufi persan Farid al-Din Attar – propose notamment des traductions de documents officiels persans et des informations utiles au ressortissants iraniens. Sur leur site Luxembourg Che Khabar (« Quoi de neuf au Luxembourg ? »), ils relayent aussi l’actualité du Grand-Duché en traduisant les informations parues dans la presse.

Monarchistes, socialistes et libéraux sont donc les premiers à partir, suivis par de jeunes hommes désertant le service militaire et la guerre Iran-Irak (qui débute en septembre 1980). « Pour Khomeini, la guerre était une bénédiction. Elle lui a permis de décréter l’état d’urgence, de s’assurer des pleins pouvoirs, de mater les oppositions pendant que l’armée était sur le front », poursuit l’avocat. Une autre vague fuyant le régime islamique est constituée de familles libérales, souvent laïques et de haut niveau d’étude. « Les possibilités éducatives étaient très nettement diminuées, en particulier pour les femmes », souligne Farah Dustdar tout en précisant qu’il fallait d’importants moyens financiers pour pouvoir quitter le pays. « Ce n’était pas forcément des familles politisées ou proches du Shah, simplement des gens qui voulaient vivre sans les contraintes du régime des mollahs et qui voyaient de meilleures perspectives dans d’autres pays. » Médecins, entrepreneurs, avocats, architectes et ingénieurs sont ainsi très présents dans la diaspora iranienne, surtout au Luxembourg. « En Allemagne, c’est plus mélangé, il y a plus de petits commerçants ou de restaurateurs », observe Elmira Najafi, la patronne de la librairie Alinéa. Depuis une dizaine d’années, face à la crise économique en Iran et à la détérioration de la situation des droits de l’homme, d’autres Iraniens continuent à venir au Luxembourg comme réfugiés. Ainsi, 25 demandes de protection internationale ont été enregistrées en 2021 de la part de ressortissants iraniens. À titre indicatif, le rapport annuel 2021 du ministère des Affaires étrangères note que 91 Iraniens sont hébergés dans des structures de l’Office national de l’accueil. Les Iraniens sont aussi les premiers bénéficiaires de titres de séjours en tant qu’étudiants extra-européens (39 étudiants et six chercheurs l’année passée).

Aujourd’hui « l’esprit de conciliation », cher à l’avocat fait son chemin face à un « ennemi commun ». « La manifestation de dimanche a rassemblé des personnes très diverses, y compris des gens qui ne s’étaient jamais engagés soit par peur pour leur famille, soit par désintérêt ou désillusion », suppose la libraire. « On ne peut pas faire grand-chose depuis ici, mais la moindre des choses est d’exprimer notre solidarité. Il faut surtout ne plus aller en Iran, ne plus faire de business avec ce pays et ses dignitaires. Il y a cinq millions d’Iraniens dans le monde. Si plus personne n’y retourne, ils vont le sentir. » La pression sur les gouvernements occidentaux est une autre voie que préconise Farah Dustdar : « J’aimerais que les droits de l’homme soient traités avec la même importance que le pétrole et le nucléaire. Voir la poignée de main de Macron à Raïssi, c’est insupportable. » De son côté, Reza Kianpour demande « à l’ensemble des pays démocratiques un soutien massif et affirmé sous toutes les formes possibles » pour aider le soulèvement actuel dont la répression risque de « faire encore plus de morts qu’en 2019 ». Fatemeh Khelghatdoust abonde : « Il y a beaucoup d’argent des mollahs et de leurs familles à l’étranger, et forcément à Luxembourg aussi. Geler leurs avoirs serait un bon début. » C’est ce que plusieurs pays européens (la France, ainsi que l’Allemagne, le Danemark, l’Italie, l’Espagne et la République tchèque) ont proposé. Le gel des avoirs et l’interdiction de voyager à l’encontre des responsables de la répression en Iran pourraient être décidés lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères des 27, la semaine prochaine à Luxembourg.

On compte dans la diaspora des nostalgiques de la monarchie qui prônent le retour de Reza Pahlavi, le fils du Shah en exil aux États-Unis, « sous forme d’une monarchie constitutionnelle comme il en existe en Europe » ou des tenants d’une République démocratique laïque « avec un président, garant de l’unité mais qui n’a pas de pouvoir fort, comme en Allemagne ». « La meilleure de ces options est qu’un référendum soit organisé et le peuple puisse voter pour un système véritablement démocratique et représentatif », conclut Farah Dustdar. Les craintes de voir la République islamique se maintenir ou une dictature militaire advenir comme en Égypte sont aussi sur toutes les lèvres. 

France Clarinval
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