La gare de Dudelange Usines accueille le Centre de Documentation sur les Migrations Humaines (CDMH) depuis 1996. Peut-être à l’occasion de Esch 2022 Capitale Européenne de la Culture, n’a-t-il jamais mieux porté son nom, puisque jusqu’à la fin de l’année, on y voir l’exposition Moving Lusitalia.
Depuis la Petite Italie, on regarde aujourd’hui la friche de l’usine de Dudelange qui a fait venir au Luxembourg tous ces travailleurs qui, dans le cercle familial pratiquent encore la langue du pays de leurs aïeux, quand ils sont (deuxième et troisième génération) citoyens luxembourgeois. Ainsi commence d’ailleurs l’exposition, par des objets de chants et de danses traditionnels : le costume des femmes pour les rondes folkloriques et l’accordéon portugais, la mandoline italienne. Les traditions sont vivantes, pratiquées et entretenues dans les associations. Mais les cahiers de chansons ne sont pas très vieux (1979 pour la Juventuda Portuguesa), et la bannière du club de foot italien Alliance, a été brodée et soigneusement conservée depuis 1911.
La Petite Italie est un multi-couche sociologique, dont toutes les parts ne sont pas encore explorées, nous dit Heidi Martins, sociologue au Centre. C’est le cas de la vie des femmes, parce que les archives manquent sur ce sujet. Le registre de la Pension Zigniana mentionne les garnis loués aux nouveaux arrivants hommes et ce n’est qu’à l’époque de l’immigration portugaise que le regroupement familial a été officialisé. Elles étaient bien là pourtant, à laver le linge, tenir les cafés (sur le menu est écrit en toutes lettres « Gudden Appetit »), des femmes italiennes étaient serveuses aux fêtes des patrons et des ingénieurs au Casino bourgeois de l’Arbed rue Notre-Dame. Les Portugaises étaient les femmes de ménage de la classe moyenne luxembourgeoise.
Il faut écouter les témoignages audio : les déplacements en autocar, puis en avion, ont fait oublier que l’ancêtre de celui-ci a mis une semaine pour fuir à pied la dictature de Salazar, traverser les Pyrénées et toute la France pour arriver à Dudelange. Que les Italiens ont certes franchi les Alpes, mais souvent après une étape antérieure commune en Suisse. Ils y ont construit le tunnel du Gothard avant de venir poser les rails des wagonnets de la minette et ceux des trains chez nous : c’est Moschen qui était chargé de les ramener par brigades de travailleurs. Un photo de groupe où ils posent autour du recruteur luxembourgeois de 1908 en témoigne dans l’exposition.
Le temps, ou l’époque si on veut, fait beaucoup. Dans le temps, les Portugais envoyaient « là-bas », une carte postale avec la Caisse d’Épargne, le palais grand-ducal, le Pont Adolphe, la cathédrale. Quoi du plus luxembourgeois ? On était, on est d’ici et de là-bas. Les Portugais vont toujours passer les vacances au « pays » mais rythmées par les congés collectifs du bâtiment et non plus par la sirène des trois-huit de l’usine. L’horloge murale du café, léguée par l’ancien propriétaire italien au nouveau, portugais, est devenue un objet de collection.
Dans les têtes, il y a comme une fenêtre ouverte. C’est comme l’affiche de la fête « Marques St. Antoine des 7 & 8 juin 2014 », ornée d’une guirlande de fleurs, surmontée d’un toit de tuiles, qui ouvre sur un horizon de ville balnéaire et la mer., juste à côté de la fenêtre de la gare, qui ouvre sur l’usine désaffectée de la Schmelz. L’exposition se termine par une question. « Vous l’imaginez comment, l’avenir de Lusitalia ? » Depuis les cabanes en bois d’abord, puis les maisons ouvrières en briques et même de fières bâtisses décorées de carreaux de céramiques, l’histoire de la Petite Italie, Moving Lusitalia n’est pas finie.