Trop tard Le temps presse, aussi bien pour les maires et les responsables des fabriques d’église que pour le ministre de l’Intérieur Dan Kersch (LSAP) en ce qui concerne l’entrée en vigueur de la convention signée en janvier 2015 entre l’archevêché et le gouvernement. Désormais, ce temps presse parce que ladite convention est censée entrer en vigueur dans quinze jours, et jusqu’au début de cette semaine, seule une soixantaine d’accords concernant la propriété du patrimoine religieux ont pu être trouvés. Observant les difficultés des conseils communaux et des fabriques d’église d’établir clairement ces droits de propriété, faute de documents juridiquement fiables ou de consensus politique, le ministre a repoussé la date butoir de six mois, jusqu’à juin, par amendement au projet de loi n°7037. Cet amendement, adopté mercredi en conseil des ministres, permettra en outre une sorte de « repêchage » durant les six premiers mois de l’entrée en vigueur de la loi, période durant laquelle les communes pourront encore verser les églises qui leur appartiennent au futur Fonds de gestion des édifices religieux centralisé. Le temps presse, mais la commission des Affaires intérieures n’a guère bougé depuis une première présentation du projet en septembre 2016. On attend l’avis du Conseil d’État, selon la version officielle.
Il est probablement aussi trop tard pour le ministre et le gouvernement d’avoir un débat serein et rationnel sur les applications de la convention de 2015, car la longue campagne électorale, d’abord pour les communales de l’automne, puis pour les législatives de 2018, bat déjà son plein. À la radio RTL ce mercredi, le ministre se réjouissait ainsi que ce fut lui, « un ministre athée et socialiste » qui avait rétabli le dialogue entre l’archevêché et les fabriques d’églises. Qu’il fustigea, en passant, comme le prolongement du CSV, ce qui se verrait aussi bien à la composition des réunions du Syfel, « qui ressemblent à une manifestation des seniors du CSV » à ses yeux, qu’à celle des fabriques d’églises locales, comptant toujours un certain nombre de dignitaires chrétiens-sociaux. Un CSV qui, lui, ne rate pas une occasion dans ce dossier pour publier un communiqué attaquant le ministre et lui reprochant fanatisme idéologique ou rupture de sa promesse de chercher un consensus.
Tenir parole Que s’est-il passé ? Le 24 janvier, le syndicat des fabriques d’église Syfel était entendu à la Chambre des députés, dans le cadre de la procédure que s’est donnée la commission des Pétitions : une pétition électronique soumise par les mandataires du Syfel, par laquelle ils demandaient que les fabriques d’églises ne soient pas abolies, contrairement à ce que prévoit le projet de loi, avait obtenu presque 12 000 signatures, les pétitionnaires avaient donc droit à un hearing public. Le président du Syfel, Serge Eberhard, le vice-président Marc Linden et leur avocat Jean-Marie Bauler s’y firent entendre avec des arguments rationnels, qu’ils exposèrent posément. Le ministre se réjouit d’entendre un ton si calme et conciliant – lui qui s’était fait reprocher de ne pas avoir discuté avec le Syfel en amont –, et constata que le principal malaise du Syfel à ce moment-là était avec l’archevêché, signataire de la convention pour l’Église et auquel les gestionnaires locaux du patrimoine reprochèrent de les avoir trahis. Kersch proposa donc une sorte de médiation, qui n’en avait pas le nom, se disant tout à fait ouvert à accepter des concessions sur son projet de loi, si elles pouvaient apaiser les esprits et convenir aux deux parties représentant l’Église catholique. Après deux ans de pression par tous les moyens, le Syfel et l’archevêché commencèrent à se parler, alléluia.
Deux mois de discussions formelles et informelles plus tard, parfois à deux, parfois à trois parties, en présence du ministre, le Syfel et l’archevêché aboutirent à un accord bipartite, annoncé en quelques lignes très succinctes par les deux côtés mardi dernier, 7 mars. Dans ces quatre paragraphes très brefs, les deux côtés concèdent à la création de ce fonds centralisé de la gestion du patrimoine, à la clarification des droits de propriété du patrimoine et même à la fusion des fabriques d’église, qui devaient être réduites de 285 à 105, parallèlement au nombre de communes. Mais cet accord demanda aussi des concessions au ministre, dont la plus essentielle pour le Syfel, veut que les fabriques d’église, toutes fusionnées et réformées qu’elles soient, gardent une personnalité juridique sur le plan local, et avec cette personnalité, les droits de propriété de leur patrimoine. Le détail de cet accord n’a pas été publié autrement que dans une lettre en faisant part au ministre de l’Intérieur. Qui, dès la première communication orale de ces conclusions, avait des doutes quant à la compatibilité de cet accord avec les principes de la convention de 2015.
Or, la convention de 2015 est intouchable, elle est la pierre angulaire de la grande réforme des relations entre l’État et les communautés religieuses au Luxembourg. Elle concerne non seulement l’abolition des fabriques d’église et la clarification des droits de propriété d’un patrimoine géré depuis deux siècles dans l’opacité la plus complète, mais aussi le remplacement de l’enseignement religieux à l’école par un cours d’éducation aux valeurs et garantit un financement public du culte catholique à hauteur de 6,75 millions d’euros par an. Cette convention engage les deux parties signataires, pacta sunt servanda. Et si d’aucuns appellent désormais à ce que l’archevêché rompe ce contrat, ils oublient que cela impliquerait que soit coupé le financement de l’Église catholique et qu’une renégociation avec un partenaire aussi peu fiable serait très probablement exclue. Cela ferait de l’Église une traîtresse d’une parole engagée, « or, nous avons d’autres responsabilités pour l’Église que le Syfel », estima le vicaire général mercredi. Bien qu’aujourd’hui, en off, de nombreux interlocuteurs internes de l’Église, notamment des fabriques d’église, reprochent l’infamie de cette signature à l’ancien vicaire général Erny Gillen, qui a démissionné peu après, et regrettent que son successeur Leo Wagener ait à en assumer les conséquences.
Dépasser les bornes Il était donc clair pour le ministre Kersch que, quelle que soit sa volonté affichée de faire des concessions, elles devraient se situer dans le périmètre de cette convention. Alors, il se dit prêt à accorder à l’Archevêché, la liberté de définir le fonctionnement du futur Fonds central, d’attribuer plus d’autonomie aux sections locales de ce Fonds, voire même une sorte de personnalité juridique. Mais l’abolition du décret de 1809 et avec lui des fabriques d’église actuelles était une des conditions centrales, intouchables. « Le ministre a une autre définition de la personnalité juridique que nous », estime le vice-président du Syfel, Marc Linden, contacté par le Land. Ce mardi, une grande majorité des fabriques d’église représentées à l’assemblée générale à Heffingen rejetèrent les dernières propositions du ministre de l’Intérieur, ce qui implique un retour à la case départ. Soit la case du projet de loi tel que déposé en été dernier. Pour les fabriques d’église, leur autonomie de gestion est sacrée, tout comme le sont leurs droits de propriété sur les édifices religieux et les terrains et immeubles versés à leur patrimoine par des dons et legs. Pour les membres du Syfel, cette réorganisation légale équivaut toujours à une grande expropriation, contre laquelle le syndicat veut interjetter appel sur le plan juridique, prêt à aller jusque devant la Cour des droits de l’homme à Strasbourg.
Après une brève phase d’apaisement et de conciliation, le ton du Syfel se durcit donc à nouveau, interpellant notamment l’archevêché, auquel il demande une totale loyauté par rapport à leur accord bipartite de la semaine dernière, utilisant sa plainte contre l’archevêque Jean-Claude Hollerich comme une menace : elle ne sera retirée que si l’archevêché ne « trahit » pas leur accord. Ce fut donc avec une mine déconfite que le vicaire général Leo Wagener et ses plus proches collaborateurs prirent position par rapport à l’échec des négociations ce mercredi. Il y dit sa déception que les « longues et difficiles » discussions n’aient pas abouti et remit la responsabilité du dossier entre les mains de la politique. Ce sera au gouvernement et à la Chambre des députés d’en assumer désormais la direction et les conséquences. Le Syfel devra se laisser reprocher son intransigeance, l’archevêché son manque d’influence au sein de ses propres structures. Le ministre
Kersch, lui, veut désormais que soient prises des décisions et que le dossier avance, a-t-il annoncé sur les ondes de RTL Radio Lëtzebuerg. Et de noter en conclusion que « le Syfel doit être conscient qu’il sera jugé par l’Histoire pour avoir été celui qui a divisé l’Église au Luxembourg ».
Ce mercredi, le Premier ministre Xavier Bettel (DP), que l’on avait peu entendu dans ce dossier jusqu’à présent, bien qu’il soit aussi ministre des Cultes et à ce titre signataire de la convention de 2015, a déclaré qu’il allait s’immiscer dans les négociations, en rencontrant l’archevêque Jean-Claude Hollerich pour un échange d’idées en cours de la semaine prochaine. Les plus proches observateurs en avaient immédiatement des réminiscences de l’ère Juncker, qui, à chaque fois qu’un dossier était bloqué, en faisait une « affaire de chef » – avec des résultats parfois à mille lieues des intérêts de ses ministres. Là aussi, on a l’impression que la nervosité électorale gagne les élus. Le DP n’a jamais été aussi radicalement laïque que Dan Kersch et voudra probablement éviter un vent contraire trop fort de la part de la communauté catholique. Surtout avant deux échéances électorales qui décideront de son maintien au pouvoir.