L’Église catholique au Luxembourg est la seule institution confessionnelle reconnue par l’État, qui est régie quant à son administration par des dispositions qui remontent au concordat de 1801, signé par Bonaparte, à l’époque
Premier consul de la République, avec le pape Pie VII. Le conseil juridique de Bonaparte était Fréderic Portalis, brillant juriste et un des quatre pères du code civil. Il était par la suite le ministre des Cultes de Napoléon chargé d’exécuter l’accord avec le pape.
La monarchie et la noblesse mises à part, la grande spoliée de la Révolution était l’Église de France. Elle avait perdu ses privilèges dans la fameuse nuit du 4 août 1789 ; elle s’est vue imposer la constitution civile du clergé qui la spoliait de tous les biens immeubles, contre la garantie d’une rémunération des prêtres aux frais de l’État. Le pouvoir politique avait en plus imposé au clergé un serment de fidélité dans l’exercice de ses fonctions, sous peine de poursuites judiciaires.
Pour beaucoup, la Révolution était synonyme d’anticléricalisme, de haine et de division, alors qu’au sein même du clergé s’opposaient ceux qui avaient prêté serment et ceux qui l’avaient refusé.
Bonaparte avait intérêt à se réconcilier avec la France catholique et à neutraliser quelque peu les tendances anticléricales dans la société française.
C’est la raison pour laquelle Portalis a publié le concordat et ce qu’il est convenu d’appeler les « articles organiques » au même moment dans le journal officiel. Son but était de faire croire que les « articles organiques », qui étaient son œuvre à lui, étaient le fruit de la négociation avec le pape, ce qui, formellement n’était pas le cas.
Le Saint Siège a par la suite protesté contre cette façon de présenter les choses, mais n’a jamais contesté que les « articles organiques » correspondaient à l’esprit du concordat dont ils étaient en quelque sorte le règlement d’exécution.
La présentation par Portalis de cette « charte », composée du concordat et des « articles organiques », qui concernait, également, mais marginalement seulement, le culte protestant, a eu pour conséquence que par la suite les deux documents ont souvent été considérés comme un seul, c’est-à-dire comme étant de même nature juridique, alors qu’il n’en est rien. En effet le concordat est une convention internationale, alors que les « articles organiques » sont du droit français pur.
D’origines différentes bien que complémentaires, ces textes pour ce qui est de leur changement dans le temps, doivent donc aussi être traités différemment.
Pour les besoins de la discussion et dans la mesure où ces textes gardent de l’intérêt pour notre propos, retenons seulement l’essentiel : le concordat exige des évêques un serment de fidélité (art. 6). Il met à l’article 12, les lieux du culte « à la disposition » des évêques et garantit un traitement convenable aux évêques et curés (art. 14).
Les « articles organiques » précisent l’organisation hiérarchique de l’Église. Ils confirment (art. 75) la mise à disposition des lieux du culte aux évêques et arrêtent (art. 64) le traitement du clergé et des logements de service (art. 72). Ils annoncent finalement à l’article 76 la création de fabriques d’églises « pour veiller à l’entretien et à la conservation des temples et à l’administration des aumônes ».
Il est fort important de noter que la « mise à disposition des lieux de culte aux évêques » et la garantie de traitements sont citées tant dans le concordat que dans les « articles organiques ».
Le décret sur les fabriques d’églises remonte au 30 décembre 1809. Il est donc de près de neuf années postérieur au concordat et aux « articles organiques » qu’il complète, ce qui prouve que la mise pratique de cette convention n’allait pas de soi.
Les fabriques concernent le pouvoir local, c’est-à-dire les communes à qui incombent en gros trois obligations financières : loger les prêtres, éponger le passif budgétaire des fabriques et subvenir aux grosses réparations des lieux du culte.
L’énumération de ces détails prouve, à suffisance de droit, la cohérence des trois textes : concordat – « articles organiques » – fabriques d’églises, qui bien que forts éloignés dans le temps, témoignent d’une logique interne sans faille orchestrée par Portalis.
Après la bataille de Waterloo, le Congrès de Vienne allait redistribuer les cartes et les influences en Europe occidentale. Par l’acte du 9 juin 1815, le Luxembourg a été attribué en union personnelle, et non en pleine propriété, au Roi Guillaume Ier des Pays-Bas conjointement avec la Belgique.
Alors que la Belgique devenait territoire de la couronne néerlandaise, il n’en allait pas de même du Luxembourg, érigé en Grand-Duché par la même occasion. Guillaume Ier était obligé de créer des institutions spécifiques au pays afin qu’il puisse se gouverner lui-même. Il ne l’a pas fait, nous réduisant à une simple province de son royaume.
Pour notre propos, il est important de savoir que, par un arrêté royal du 10 mai 1816, Guillaume Ier confirma le concordat et les « articles organiques » pour les provinces méridionales, c’est-à-dire de droit la Belgique et de fait le Luxembourg.
Soit encore noté que le 18 juin 1827 Guillaume Ier signa avec le pape Léon XII un nouveau concordat, qui étendait celui de 1801 aux provinces septentrionales de son royaume.
Le Roi Grand-Duc aurait pu dénoncer le concordat de 1801 et les « articles organiques ». Il ne l’a pas fait. Au contraire, il a délibérément étendu à ses nouveaux territoires ces deux textes.
Vint en 1830 la révolution belge, lors de laquelle le Luxembourg, à l’exception de la capitale, faisait cause commune avec les révolutionnaires qui se dotaient d’une constitution en 1831.
Cette période de notre histoire a connu économiquement et politiquement des hauts et des bas. Les Belges nous traitaient comme une partie de leur royaume. Cette situation ne cessait qu’avec le Congrès de Londres de 1839, traité dit des vingt-quatre heures.
Aucune des grandes puissances, et bien évidemment certainement pas le Roi des Pays-Bas ne reconnaissaient cette annexion du Grand Duché par la Belgique, en sorte que le droit belge créé de 1830 à 1839 est resté sans suite au Luxembourg par après, si bien que les textes français restaient en vigueur tels qu’ils ava
La question du concordat est revenue à jour en 1842, lors de l’installation du vicaire apostolique Monseigneur Laurent, qui devenait chef de l’Église du Grand Duché de Luxembourg.
Contrairement à son prédécesseur, Laurent refusait de prêter le serment prévu par le concordat au motif qu’étant vicaire apostolique, il relevait du pape seul et que par ailleurs le concordat ne prévoyait pas l’éventualité d’un serment de fidélité pour un représentant du pape.
Le 18 décembre 1855 le président du gouvernent de l’époque Simons, a déclaré aux États (chambre des députés de l’époque) que la position du gouvernent luxembourgeois était toujours celle de l’arrêté de reprise de possession de Guillaume Ier du 11 juin 1839, décrétant le statu quo au Luxembourg d’avant la révolution belge dont la constitution belge de 1831 n’avait, en définitive, pu affecter la situation en matière ecclésiastique chez nous, en sorte que le Grand Duché dans son ensemble restait soumis au concordat de 1801.
Les 1er, 6 et 8 décembre 1848 le Wort publiait une série d’articles qui révélaient l’existence d’un accord secret entre Guillaume II et la Curie Romaine de 1841.
Selon cet accord le vicaire apostolique à venir (il s’agissait de Laurent entré en fonctions en 1842) devait être libéré du serment civil prévu par le concordat de 1801. Il devait en être de même à l’avenir pour les curés.
Ces informations faisaient l’effet d’une bombe.
« À la discussion du budget des cultes à la Chambre en janvier 1849, le député Eischen mentionna comme une des bases légales de constitution ecclésiastique au Luxembourg d’où ‘la convention secrète de 1841, conclue entre Rome et le roi Grand Duc, mais non encore publié’. Personne, ni au banc des députés, ni au banc du gouvernement n’y contredit » (Albert Calmes, Révolution de 1848 au Luxembourg, page 268).
Et l’auteur de conclure : « Ce fut sans doute par égard pour le monarque qu’aucune interpellation ne fut produite ».
Il y a eut par la suite d’autres conflits au Luxembourg entre l’Église et l’État, mais plus aucun qui devait remettre en cause les textes concordataires.
La première modification des dispositions françaises remonte à la loi du 10 juillet 1998, loi par laquelle a été approuvée, pour le culte catholique la convention du 31 octobre 1997, entre le gouvernement et l’archevêché. Ce texte à l’article 13 prévoyait un certain nombre de dispositions abrogatoires de la loi du 18 germinal an 10 sur les fabriques d’églises.
Le même texte français a connu une deuxième modification par le vote à la chambre des députés le 25 février 2016, par la réduction de l’obligation des communes, à la seule prise en charge les grosses réparations des lieux du culte, texte provisoire.
En octobre 2012 a été rendu public un rapport par trois professeurs d’université dont un français et deux belges, chargés par le gouvernement du Grand Duché de Luxembourg de « réfléchir sur l’évolution future des relations entre les pouvoirs publics et les communautés religieuses et philosophiques au Grand Duché de Luxembourg ».
Ces auteurs soulèvent aux pages 27 à 28 de leur avis la question de l’abolition, respectivement non-abolition du concordat au sujet de laquelle ils se gardent de prendre position. Il faut relever que ces personnes n’ont pas opiné en juristes, ce qu’ils n’étaient pas d’ailleurs et n’avaient pas à résoudre une question de droit public, mais à proposer des mesures in futuro.
Textuellement, les auteurs écrivent :
« Aussi, si au Grand-Duché le Concordat n’a jamais été formellement abrogé, sa validité n’a pas non plus été reconnue par l’État luxembourgeois indépendant. Le débat quant à la validité, ou non, du Concordat, n’est pas clos. Le modèle luxembourgeois de relations entre l’Église et l’État qui s’est mis en place au cours de l’histoire semble être davantage un modèle de concertation, informelle, qu’un modèle concordataire ».
Cette conclusion est diamétralement contraire à une étude juridique de 2009 sur « le régime concordataire du Grand Duché de Luxembourg », publiée par un professeur de droit public rattaché à notre université.
Ce dernier arrive à la conclusion péremptoire que voici à la page 26 : « Le concordat de 1801 a cessé de produire ses effets de traité international au territoire du Luxembourg dès son rattachement aux Pays-Bas en 1815 ». L’auteur qui est allemand renvoie à une autre étude allemande parue entre les deux guerres. Il ne souffle mot nulle part des faits ci-dessus relatés qu’il ne semble pas connaître.
L’auteur ne replace donc pas son avis dans le contexte historique et à aucun moment ne parle de la confirmation du concordat en 1815 par le Roi Grand Duc, ni ne cite le décret de celui-ci de 1839 et la susdite déclaration du président du gouvernement Simons en 1855.
Tout porte à croire que ce texte léger est une réponse à question commandée, ce qui explique qu’il sert à l’heure actuelle d’alibi à la majorité de la Chambre pour légiférer comme elle le fait et dont le premier élément remonte au 25 février dernier.
Voilà qui ne prouve pas pour la majorité, il s’en faut de beaucoup !
Il y a des Luxembourgeois qui ont la mémoire courte !
Les développements qui précèdent permettent indéniablement les conclusions suivantes.
Le concordat n’a jamais été ni révoqué, ni remplacé, du moins quant aux dispositions concernant les lieux du culte et la rémunération du clergé, surtout quant au principe de cette rémunération.
Le concordat n’est pas tombé en désuétude, car il faut entendre par là une non-application par oubli général de ses dispositions. Il est un fait qu’au XXe siècle le concordat ne posait plus problème quant à son application, celui-ci étant garanti et exécuté sans difficultés tant pour les lieux du culte que pour la rémunération du clergé.
La meilleure preuve de la non-abolition du concordat sont les lois susdites de 1998 et 2016 qui s’attaquent aux dispositions d’exécution du concordat. Pourquoi légiférer s’il était aboli, révoqué ou tombé en désuétude ?
La non-application pour une quelconque raison d’une disposition du concordat, ne fait pas objection au maintien d’autres passages de cette convention.
Finalement, s’attaquer aux décrets français, qui sont des dispositions d’exécution du concordat, n’équivaut pas à mettre en cause le concordat lui-même.
Il est extrêmement dangereux de prendre gaillardement à son compte, pour légiférer, des avis qui sont sans consistance, car la législation dans un État de droit n’a pas le dernier mot : c’est la justice, et pas forcément luxembourgeoise qui aura le dernier mot dans cette affaire teintée de rancœur et de discorde, alors que Bonaparte et Portalis nous avaient tracé une voie de paix et de conciliation.