Mercredi soir à l’Université, Marco Longobardo, internationaliste reconnu du droit de l’occupation, était l’invité-orateur d’une conférence intitulée « The 2023-2024 escalation in the Gaza Strip before international Courts ». Face au Land, il détaille sans parti pris les manquements au droit international et les contournements opérés par les protagonistes de la région, ainsi que l’exposition des pays occidentaux à des condamnations.
d’Land : Dimanche, tous les dirigeants occidentaux ont condamné l’attaque sans précédent de drones et de missiles iraniens contre Israël. Que signifie cette frappe du point de vue du droit international ?
Marco Longobardo : L’Iran prétend d’un côté que la frappe était un acte légal d’autodéfense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies en réponse à l’attaque d’Israël contre le consulat iranien à Damas, en Syrie, le 1er avril. De l’autre côté, Israël a fait valoir que l’attaque contre le consulat en Syrie était un acte de légitime défense car, selon Israël, les tirs de roquettes depuis le Liban et le Yémen, par le Hezbollah et les Houthis, sont essentiellement imputables à l’Iran. Juridiquement parlant, démêler cette question est assez complexe.
Comment alors qualifier l’attaque iranienne en termes de droit international ?
En principe, l’attaque d’Israël contre le consulat iranien à Damas peut être qualifiée d’attaque armée contre l’Iran, mais aussi de violation de la souveraineté syrienne. En théorie, l’Iran a de bonnes raisons de réagir pour se défendre. Toutefois, cela n’est pas de la légitime défense. En vertu du droit international, l’action de légitime défense doit réprimer une attaque armée imminente ou en cours. En d’autres termes, la réaction doit être proportionnée et nécessaire. L’attaque contre le consulat a eu lieu le 1er avril. Ainsi, la réaction deux semaines plus tard ne semble pas nécessaire pour annuler une attaque. Pour cette raison, la réaction iranienne doit être considérée comme illégale. Nous pouvons probablement dire que les deux actions, d’Israël et de l’Iran, étaient illégales. L’action iranienne s’apparente davantage à des représailles armées, c’est-à-dire une réaction (illégale) visant à punir un autre État.
Les commentateurs parlent de rétablir l’équilibre de la dissuasion. Ici, cela relève plus de la géopolitique que du droit international…
Toute action impliquant la sphère extérieure de souveraineté des États est déterminée par des considérations géopolitiques. Le droit international n’est qu’un aspect sous lequel nous pouvons examiner ces actions, mais les États ne sont pas libres de poursuivre leurs intérêts géopolitiques en dehors du champ d’application du droit international. Pour certains observateurs, l’Iran devait montrer qu’il avait la capacité de répondre face à Israël pour maintenir une position d’hégémonie régionale. Soit dit en passant, ils ont répondu avec des résultats très limités. Israël a bénéficié de l’aide de la France, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Jordanie, et a pu intercepter 99 pour cent des drones et missiles lancés par l’Iran. On pourrait considérer que l’opération iranienne a été un échec. Mais il est intéressant que l’Iran ait dit : « D’accord, arrêtons-nous là. Ils nous ont attaqués. Nous avons répondu. Nous retournons à la situation dans laquelle nous nous trouvions. »
Après les atrocités perpétrées par le Hamas le 7 octobre, le régime de Netanyahu semblait avoir droit à toute forme de réponse militaire. Aujourd’hui, les États occidentaux considèrent à l’unanimité, souvent au moyen d’euphémismes diplomatiques, que l’effusion de sang doit cesser à Gaza. Le 25 mars, le Conseil de sécurité a adopté une résolution très attendue exigeant un cessez-le-feu immédiat et la libération des otages. Mais les bombes continuent de tomber sur l’étroite bande de terre.
Tout d’abord, il existe une idée fausse très répandue quant au fondement juridique de la réaction israélienne. Il est ainsi assez courant d’entendre que les Israéliens réagissent en invoquant la légitime défense en vertu de la Charte des Nations unies. C’est faux. Israël ne brandit pas l’article 51 sur la légitime défense. Israël affirme que la base juridique du recours à la force est l’existence d’un conflit armé en cours avec le Hamas qui a débuté il y a environ 25 ans.
Vous faites ici référence spécifiquement à Gaza…
Du point de vue de la communauté internationale, la bande de Gaza est sous occupation. Mais elle était déjà sous occupation le 7 octobre. Un État peut-il réagir en état de légitime défense contre des attaques provenant d’un territoire occupé ? La Cour internationale de Justice a déclaré en 2004 qu’Israël ne pouvait pas invoquer la légitime défense. Cela ne veut pas dire qu’Israël ne peut pas protéger ses propres citoyens. C’est possible, mais la base juridique n’est pas l’article 51 de la Charte des Nations unies mais le droit international humanitaire. Les États occidentaux sont obsédés par l’argument de la légitime défense alors que ce n’est pas l’argument avancé par Israël. Ceci étant, je dirais que tous les observateurs, y compris les États-Unis, qui sont l’allié le plus proche d’Israël, considèrent que la réponse israélienne viole le droit international humanitaire. Il existe là différentes interprétations. Selon l’Afrique du Sud, ce que fait Israël à Gaza est un génocide. Selon les États-Unis, ils n’ont pas pris les mesures nécessaires pour minimiser les dommages causés aux civils. Dans ce contexte, le Conseil de sécurité de l’ONU a pu adopter une résolution appelant à un cessez-le-feu.
Cela n’a rien apporté, n’est-ce pas ?
Israël et les États-Unis soutiennent que la résolution accompagnant un cessez-le-feu n’est pas contraignante car elle n’est pas adoptée dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Mais cette raison invoquée pour ne pas se conformer à la résolution n’a aucune base juridique solide. La Cour internationale de Justice (CIJ) a déclaré que toute décision prise en vertu d’une disposition de la Charte est contraignante tant qu’il s’agit de décisions plutôt que de recommandations.
Que peut-on faire alors ?
Nous abordons là la question de l’application du droit international par les grandes puissances. Bien sûr, le Conseil de sécurité de l’ONU a un pouvoir contraignant, mais si un État ne s’y conforme pas, l’acteur qui doit faire appliquer cette résolution est, encore une fois, le Conseil de sécurité. Il pourrait imposer des sanctions contre les Israéliens pour tenter de les forcer à respecter le cessez-le-feu, mais cela est très peu probable en raison des relations étroites entre les États-Unis et Israël.
L’ONU ne peut pas imposer de sanctions, mais l’UE le pourrait-elle ?
L’Union européenne devrait au moins s’abstenir de fournir des armes à Israël. Parce que nous avons une ordonnance sur des mesures provisoires adoptée par la CIJ dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël dans laquelle la Cour dit qu’il est plausible qu’Israël viole la Convention sur le génocide. Je pense que c’est un très bon argument pour déclencher l’obligation des États membres de l’UE de ne pas fournir d’armes à Israël.
Il y a justement une affaire ouverte contre l’Allemagne à ce propos devant la CIJ…
Oui. C’est précisément pour cette raison que le Nicaragua a intenté une action contre l’Allemagne. Mais ici, nous ne parlons pas d’États faisant quoi que ce soit pour contraindre Israël à respecter le droit international, mais plutôt du devoir de s’abstenir de soutenir les violations. Alors, bien sûr, la diplomatie internationale pourrait faire pression sur un État qui viole le droit international. Mais c’est une question de volonté politique. Regardez ce que font les États membres de l’UE à l’égard de la Russie en matière de sanctions. Je ne pense pas qu’il existe une volonté politique similaire pour contraindre Israël à se conformer au droit international.
De nombreuses poursuites ont été engagées contre Israël devant les tribunaux internationaux. Pouvez-vous citer les plus importantes dans ce contexte ?
Un État ne peut être traduit devant la CIJ que s’il a consenti à la compétence de la Cour dans un différend en particulier. Israël n’a consenti qu’aux différends fondés sur la Convention sur le génocide. En conséquence, toutes les autres violations du droit international échappent à la compétence contentieuse de la Cour. En ce qui concerne la récente escalade dans la bande de Gaza, nous avons deux affaires en cours qui sont toutes deux basées sur la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948. La convention comprend une clause qui donne compétence à la CIJ pour les violations présumées. Une première plainte a été déposée le 30 décembre par l’Afrique du Sud contre Israël pour la responsabilité d’Israël dans la violation des règles de ladite Convention. L’affaire est pendante. Le 26 janvier, ont été prononcées des mesures provisoires.
Que faut-il en retenir ?
Le tribunal a estimé qu’il est plausible qu’Israël viole ces dispositions de la Convention des Nations unies sur le génocide et a ordonné à Israël de faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher qu’un génocide ne se produise dans la bande de Gaza et pour punir les personnes responsables de l’incitation au génocide et, enfin, pour permettre l’aide humanitaire. L’affaire a été mise à jour à deux reprises à la demande de l’Afrique du Sud, parallèlement à la détérioration continue des conditions de vie dans la bande de Gaza. Je pense personnellement que le seul moyen pratique de se conformer à l’ordonnance de cette Cour concernant la fourniture de nourriture, la prévention d’un génocide ou l’arrêt d’un génocide, est de mettre fin aux opérations militaires. Voilà le principal dossier. Nous avons une ordonnance concernant des mesures provisoires. Le fond est en instance. Si le tribunal s’estime compétent, ce sera un processus très long. Nous parlons de choses très complexes, très difficiles à démontrer devant un tribunal.
Quelles sont les prochaines étapes dans ce cas ?
La Cour a publié le calendrier de soumission des mémoires par les États. Ils ont neuf mois pour soumettre le leur. Pour le moment, seuls le Nicaragua et la Colombie ont officiellement publié des déclarations d’intervention. La Belgique l’a annoncé d’un côté, et l’Allemagne de l’autre, il y a plusieurs mois. Pour le moment à ma connaissance, cela relève uniquement du domaine politique. Israël aura deux possibilités : soit discuter directement de l’affaire sur le fond (et je pense que cela est peu probable), soit contester la compétence du tribunal.
Pouvons-nous revenir sur la deuxième affaire pendante importante, Nicaragua contre Allemagne ?
Elle est portée pour violations présumées de la convention sur le génocide et des règles du droit international humanitaire par l’Allemagne. Ces violations seront basées sur le fait que l’Allemagne aurait fourni des armes à Israël, réduit son financement à l’aide humanitaire, tout en sachant qu’Israël viole le droit international. Nous en sommes à un stade très préliminaire. Il y a eu la semaine dernière les audiences concernant les mesures provisoires. Le tribunal délibère. La CIJ décidera d’éventuelles mesures intermédiaires dans les prochaines semaines. L’affaire se heurte cependant à de nombreux obstacles procéduraux. Le premier est le fait que le Nicaragua porte plainte contre l’Allemagne, mais il discute de manière significative de la responsabilité d’Israël. En droit international, on ne peut pas discuter de la responsabilité d’un État sans que cet État soit partie à la procédure. Le tribunal pourrait décider de ne pas statuer sur l’affaire.
Aucune procédure ne vise le Hamas à la CIJ ?
Non. La Cour internationale de justice ne peut ouvrir des poursuites que contre des États. Et le Hamas n’est pas un État.
Qu’en est-il de l’affaire traitant des conséquences judiciaires de l’occupation israélienne sur le territoire palestinien ?
Elle a été ouverte avant le 7 octobre. L’Assemblée générale des Nations unies a demandé un avis consultatif à la CIJ. Il existe deux différences principales entre un avis consultatif et une affaire contentieuse. Pour les premiers, il n’est pas nécessaire que les États consentent à ce processus. Le consentement d’Israël n’est donc pas requis. Dans ce cas, le résultat n’est formellement pas contraignant. Cependant, cet avis consultatif, attendu avant l’été, constituera une pièce très importante dans le puzzle de la légalité du conflit israélo-palestinien. La CIJ nous dira si l’occupation qui a commencé en 1967 dans son ensemble est légale ou non. Il indiquera aux États quelles sont les conséquences juridiques de toute illégalité. Cela aura certainement aussi des effets indirects sur l’escalade qui a débuté le 7 octobre.
Le Luxembourg a présenté son point de vue dans cette affaire, comme de nombreux pays, avec un record d’États participants. À la différence de la Belgique, sur laquelle le Luxembourg est normalement aligné en matière de politique juridique, le Luxembourg n’a pas dit que l’occupation en Cisjordanie était une annexion. Quelle est votre opinion à ce propos ?
Il s’agit d’une question très complexe dans le sens où le droit international a évolué de manière chaotique sur ce sujet. Israël occupe le territoire palestinien depuis 1967. Pour l’instant, juridiquement parlant, hormis Jérusalem-Est, Israël n’a jamais prétendu avoir annexé le territoire. Aussi, ces dernières années, les universitaires, la société civile et les dirigeants palestiniens tentent d’utiliser le principe de l’autodétermination des peuples pour affirmer qu’indépendamment de toute mesure spécifique qui peut (ou non) se conformer au droit l’occupation, l’ensemble de l’occupation prolongée du territoire palestinien est illégal au regard du principe de l’autodétermination des peuples. Peu importe que la puissance occupante, Israël dans notre cas, ait déclaré ou non son intention d’annexer le territoire. C’est simplement le fait de la limitation de l’autodétermination de la population locale qui doit être pertinent. Du point de vue du droit international, l’annexion est généralement considérée comme quelque chose que l’État a reconnu. Pensez à l’annexion de la Crimée par la Russie. Cependant, je suis d’accord avec ce que la CIJ a dit dans un avis consultatif de 2004 concernant Israël. La Cour a déclaré que les mesures prises par Israël en Cisjordanie constituent une annexion rampante. Ce sont des mesures mises en œuvre pour placer devant le fait accompli, afin de rendre impossible la restitution des territoires palestiniens à la fin de la guerre.
Cela tue la solution à deux États…
Exactement. Le territoire palestinien tel que reconnu par le droit international est devenu une zone fragmentée où la continuité territoriale est interrompue par les colonies israéliennes qui sont illégales au regard du droit international, par les points de contrôle, par les routes israéliennes, etc. Il sera intéressant de voir ce que décidera le tribunal, indépendamment de l’utilisation de terminologies comme annexion ou occupation.
Israël a-t-elle déjà été condamnée par la CIJ ?
Non. Israël, comme de nombreux autres États, a réussi à éviter de donner son consentement à la CIJ dans le cadre de différends internationaux. Sans le consentement d’Israël, aucune décision contre Israël ne peut être prise. Depuis 2012, la Palestine a adhéré aux principales conventions du droit international humanitaire, la Convention sur le génocide, les conventions contre la torture, dont une partie donne compétence à la CIJ. Israël a immédiatement publié une déclaration officielle aux dépositaires de ces conventions, selon laquelle elle n’accepte pas la compétence des tribunaux pour les différends avec des États qu’Israël ne reconnaît pas comme États. De toute évidence, le but est d’exclure la possibilité que la Palestine dépose un recours. Aucun contentieux n’a jamais été tranché contre Israël. Ce que nous avons, c’est l’avis consultatif de 2004, qui examine la légalité de certaines mesures adoptées par Israël en tant que puissance occupante, à savoir la construction d’un mur en Cisjordanie. La CIJ a été très claire. Les mesures adoptées par Israël concernant la construction du mur, concernant l’expropriation des terres palestiniennes pour construire un mur, concernant les colonies construites à l’intérieur du système de mur, constituent des violations du droit international. Formellement parlant, il ne s’agit pas d’une décision contraignante contre Israël, mais elle a guidé l’ONU dans ses actions concernant la situation d’Israël et de la Palestine.
C’est donc un peu plus que symbolique…
Cela a eu des conséquences pratiques. Par exemple, la Cour suprême d’Israël, dans le cadre du système de droit administratif israélien, a modifié le tracé du mur et a examiné la légalité du mur quant à l’endroit où il devrait être construit, en tenant compte de l’avis consultatif. Par ailleurs, concernant l’étiquetage des produits fabriqués dans les colonies israéliennes, la Cour de justice européenne a déclaré qu’ils ne peuvent pas être considérés comme des produits israéliens et bénéficier de l’accord commercial avec l’UE puisqu’ils sont produits dans des colonies illégales selon l’opinion juridique. L’avis consultatif à paraître incessamment pourrait être utilisé de la même manière. Si la CIJ déclare que l’occupation pratiquée par Israël sur les territoires palestiniens est illégale dans son ensemble, il sera très difficile pour les États de soutenir le maintien de l’occupation.
Si les bombes cessaient de tomber demain sur Gaza, que deviendrait cette bande de terre du point de vue du droit international ?
Le Hamas y est au pouvoir depuis 2006, date à laquelle le groupe islamiste radical a remporté les élections. Le Fatah, un parti plutôt modéré, a gagné en Cisjordanie. Il existe des preuves qu’Israël, et en particulier Benjamin Netanyahu, a alimenté la division entre les Palestiniens. Depuis l’Empire romain, vous savez devoir diviser vos ennemis. Le Hamas est considéré comme un groupe terroriste par l’Union européenne depuis qu’il a lancé des attaques aveugles contre Israël. Le 7 octobre n’est que la pire attaque d’une série amorcée par le Hamas. Je ne pense pas qu’Israël se retirera à nouveau de Gaza, comme elle l’avait fait en 2005, même si elle a maintenu un blocus maritime, le contrôle du territoire maritime palestinien, le contrôle total de ceux qui pouvaient entrer ou sortir de la bande, ou encore le contrôle du carburant, de l’électricité, de l’eau ou des flux de marchandises. La situation n’était donc pas normale. Et cela ne peut pas être une situation normale tant que l’occupation n’est pas terminée dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Comment sortir de l’ornière ?
Tant que les Palestiniens ne retourneront pas dans les bureaux de vote. Les Palestiniens n’ont pas voté depuis 2006. Le Hamas n’a aucune légitimité. Il s’agit clairement d’un régime qui viole le droit international des droits de l’homme dans la bande de Gaza. Mais les dirigeants actuels à Ramallah, en Cisjordanie, n’ont pas beaucoup plus de légitimité. Il y a des preuves de corruption. Il s’agit d’un gouvernement très ancien qui n’a aucun pouvoir pour imposer sa volonté à Gaza. Fondamentalement, il faudrait enfin permettre aux Palestiniens d’exercer leur droit à l’autodétermination par le biais d’élections en l’absence d’occupation. Faute de quoi la situation sera toujours très fragile et très explosive tant à Gaza qu’en Cisjordanie.
Quelles sont les différences entre la Crimée et les quatre régions annexées de l’Ukraine et les territoires palestiniens occupés lorsque vous les analysez avec les yeux d’expert en droit de l’occupation ?
Les deux zones sont sous occupation. La Russie a affirmé avoir annexé la Crimée en 2014. Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporizhzhia en 2022. Cependant, les référendums ont été organisés sous la coercition des troupes russes. En vertu du droit international, ces référendums n’ont donc aucune valeur. La communauté internationale doit continuer de considérer ces zones comme relevant de la souveraineté ukrainienne. En Cisjordanie, la situation est moins claire car, là encore, Israël n’a pas encore annoncé d’annexion, à l’exception de Jérusalem-Est. Nous sommes dans ce vide dans lequel Israël dit « je les contrôle temporairement sous une occupation légale et pour des raisons de sécurité ». En même temps, cela empêche les Palestiniens d’accéder à l’autodétermination. Si l’on parle de droit applicable, c’est dans les deux cas le droit de l’occupation. Le problème est que la loi de l’occupation est apte à régir les relations sur un territoire de manière temporaire entre la population locale et l’occupant, mais elle ne résout pas le problème de l’occupation.
Comment le résoudre ?
Il faut considérer l’occupation dans sa globalité. Par exemple, en ce qui concerne la Russie, la meilleure solution serait que la Russie mette fin à son agression contre l’Ukraine et se retire à l’intérieur de ses frontières. Je ne pense pas que cela se produira, mais ce serait la meilleure solution en droit international. En ce qui concerne Israël, la meilleure solution serait qu’Israël se retire jusqu’aux frontières de 1949, ce qu’on appelle la Ligne verte, qui sont les frontières internationalement reconnues d’Israël, à l’intérieur desquelles Israël a le droit d’avoir un État. À ce stade, cela devrait permettre aux Palestiniens de déterminer quoi faire de leur État. Mais il appartient aux Palestiniens de le décider, s’ils en ont la possibilité, comme il appartient aux Ukrainiens de Crimée et d’autres régions annexées, sans influence extérieure, de décider de leur sort.
Vous enseignez à la Westminster Law School. Parce qu’il y a une véritable polarisation du débat, et qu’il devient difficile de parler d’Israël ces jours-ci. Est-ce facile, en tant qu’universitaire, de dire qu’Israël est hors-la-loi ?
Je n’ai aucun problème à dire qu’un État viole le droit international. C’est simplement le produit d’une analyse juridique. J’essaie de faire comprendre à mes élèves que je ne veux pas cibler un État précis. Je suis italien. Je produis des exemples de violations italiennes du droit international. Je ne pense pas que nous devrions être patriotes lorsque nous parlons de nos États en tant que juristes internationalistes. La Palestine a toujours été un sujet très difficile à discuter. Après le 7 octobre, les choses sont devenues bien plus difficiles encore. On tente actuellement d’assimiler une critique légitime de certaines politiques israéliennes à de l’antisémitisme.
Après ces six mois de bombardements et presque quarante milliers de morts, quelle est la chose que les gens doivent comprendre ?
Nous ne devrions pas aborder ce conflit comme une question de savoir qui a raison et qui a tort. Nous ne soutenons pas là notre équipe de football ou notre pays au concours Eurovision de la chanson. Ici, je ne vois que des torts. Les torts causés aux victimes civiles. Des civils comme les otages israéliens pris le 7 octobre par le Hamas ou les civils israéliens tués ce jour-là. Et bien sûr les Palestiniens qui meurent de faim ou sont délibérément tués à Gaza. Ce sont les seules personnes dont nous devrions nous inquiéter. Le Hamas et le régime de Netanyahu violent le droit international. Il est probable que la plupart des États impliqués dans le conflit, avec différents niveaux de soutien, violent le droit international. Tous ont tort. Nous devrions donc simplement défendre les victimes civiles et éviter la tentation de contrebalancer les atrocités. Nous devons dénoncer toutes les atrocités commises par la guerre.