Dès l’entrée de l’hôtel Parc Belair, on sent que ce rendez-vous n’est pas comme les autres. Plusieurs agents de sécurité sont postés à la porte, dans le lobby et la salle de restaurant. L’atmosphère est lourde. À l’invitation de l’association Coopération Luxembourg Israël et avec le soutien de l’Ambassade d’Israël, deux anciennes otages israéliennes sont venues témoigner de leur expérience devant quelques journalistes.
Quand Shani Goren et Nili Margalit arrivent dans la salle, le moment est solennel, tout le monde est un peu tendu. La journée a été longue pour les deux ex-otages. Elles sont visiblement fatiguées. Elles ont passé les dernières heures à divers rendez-vous avec des députés, des représentants du ministère d’État, et de ceux de la Justice et des Affaires étrangères. La veille, elles étaient à Bruxelles où elles ont aussi rencontré des députés du Parlement européen. Deux jours à ressasser leur histoire, à revivre leur traumatisme, à marteler leur message.
Ce message est écrit sur la plaque qu’elles portent autour du cou et qu’elles touchent régulièrement comme on touche un chapelet ou un porte-bonheur. Sur ce qui ressemble aux plaques d’identification des soldats est gravé en hébreu « Notre cœur est resté à Gaza » et en anglais « Bring them home now ! ». Them, ce sont les presque 130 otages encore retenus dans la bande de Gaza. Depuis leur libération, 55 jours après le 7 octobre, les deux femmes n’ont que cet objectif : Elles sont devenues des sortes d’ambassadrices en mission. Car pour elles, la libération des derniers otage est la priorité absolue et la seule issue pour sortir de la guerre.
Nili Margalit et Shani Goren viennent du même kibboutz de Nir Oz, une petite communauté agricole de 400 personnes en bordure du désert du Néguev, à quelques kilomètres de la frontière avec la bande de Gaza. Le 7 octobre, dès 6h30 du matin, la sirène de l’alerte aérienne retentit. « Pas de quoi paniquer, cela arrive souvent. D’habitude, on se rend dans les abris en attendant que cela se calme », explique Nili Margalit, en anglais. Sauf que cette fois, ça ne se calme pas. Au contraire, des messages dans une conversation de groupe font état de la présence de terroristes « sur la route », d’abord, puis « dans notre maison ». Les habitants espèrent l’intervention de l’armée israélienne mais les soldats arriveront bien plus tard. Trop tard. Dans le kibboutz, une quarantaine de personnes ont été tuées et 70 ont été enlevées.
Nili Margalit retrace : « Les terroristes ont forcé ma maison à neuf heures, ils m’ont menacé de leurs armes et traînée dehors. Je n’arrivais pas à réfléchir, j’étais comme bloquée. » Elle est embarquée dans un camion avec d’autres otages, direction Gaza. Cette infirmière de 41 ans est emmenée dans des tunnels où sont également entassés d’autres otages, « y compris des personnes âgées de mon kibboutz ». Elle décrit l’obscurité, la saleté, l’air vicié et étouffant, l’absence d’eau dans les toilettes, le manque de nourriture et de matelas… Elle met à profit ses compétences de soignante pour venir en aide aux plus âgés et lister les médicaments nécessaires pour les personnes souffrant de maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète ou l’asthme. Médicaments qui mettront plusieurs jours à arriver.
Enseignante de 29 ans, Shani Goren a aussi eu à cœur d’aider ceux qui l’entouraient, notamment des enfants séparés de leurs parents. Elle a été enlevée chez elle à 11 heures et a été trimballée dans une maison, puis dans un hôpital où elle a dû changer plusieurs fois de salle. En hébreu, traduite par l’ambassadrice d’Israël pour la Belgique et le Luxembourg, elle raconte la faim, l’angoisse de l’incertitude et la promiscuité oppressante.
« Pour tenir le coup, il ne faut penser qu’à survivre : heure après heure, jour après jour », soupire Nili Margalit. Pendant tout ce temps, elles ne savent rien ni de l’ampleur de l’attaque du 7 octobre, de la mort de proches, comme le père de Nili, ni des ripostes israéliennes, ni des négociations pour la libération des otages. Ce n’est qu’à la toute fin du mois de novembre que les deux femmes ont été libérées, faisant partie du dernier groupe autorisé à quitter la bande de Gaza. Impossible pourtant de rentrer chez elles : le kibboutz est dévasté, de nombreuses maisons brûlées et les habitants évacués. Quand elle dit qu’elle ne sait pas si elle pourra y revenir un jour, la voix de Nili s’étrangle et les larmes lui montent aux yeux.
« J’ai été élevée en croyant à la paix, j’aimerais croire que la paix est possible », conclut-elle dans un demi sanglot. Ce seront les derniers mots. Les deux femmes se retirent dans leur chambre d’hôtel. L’atmosphère n’est pas plus légère.