Depuis le décès de leur enfant, un Israélien, Rami Elhanan, et un Palestinien, Bassam Aramim, prêchent la réconciliation pour sortir de la spirale de la violence. Ils portent leur parole cette semaine à Luxembourg à l’invitation de l’association Jewish Call for Peace. Ils ont rencontré mercredi des lycéens à Wiltz et Luxembourg pjuis ont été reçus à la fraction DP. Ils devaient voir plus tard cette semaine celle du CSV, ainsi que des représentants du ministère des Affaires étrangères et du ministère d’État. Leur but : ouvrir les yeux des dirigeants et de l’opinion à travers leur histoire personnelle.
Celle-ci est narrée dans The Narrow Bridge, un documentaire diffusé samedi dans le cadre du festival des migrations (16h00 à Luxexpo). Rami et Bassam sont deux des quatre protagonistes. Le premier y raconte son histoire familiale. Comment son père a survécu à l’holocauste, sa naissance en Israël en 1950, sa participation à la guerre du Kippour en 1973, dans une division blindée combattant dans le désert du Sinaï pour un territoire auquel il voue un profond attachement. Sa fille, Smadar, est née la veille de Yom Kippour en 1983. « Nous vivions la vie rêvée à Jérusalem où l’on se sentait protégés », dit-il face caméra, soulignant bénéficier ces années-là de confortables revenus qui l’ont poussé à un certain cynisme. « Le 4 septembre 1997, cette bulle dans laquelle nous vivions a explosé en millions de morceaux », explique-t-il. Deux kamikazes palestiniens se sont fait exploser rue Ben Yehuda à dans la ville sainte, où sa fille devait passer. Rami Elhanan relate avoir écumé les hôpitaux de la ville ce soir-là pour finir, au bout de la nuit, à la morgue où il a été confronté à des « silly questions », par exemple sur les habits portés par sa fille. Puis on a ouvert un tiroir. « Et là, tu vois une image qui te hantera pour le reste de ta vie ».
Bassam Aramim rapporte être né en 1968 dans une grotte, sur les collines de la périphérie d’Hébron où ses parents élevaient des moutons pendant une partie de l’année. Le reste, il le passait dans cette cité cisjordanienne où il a expérimenté la cohabitation avec les Israéliens à travers l’occupation de Tsahal. « En tant qu’enfant, on ne comprend pas pourquoi ces gens débarquent dans votre village pour le contrôler. On ne rencontre pas d’Israéliens normaux, seulement des soldats et des colons. Ce qui est très violent. C’est très facile de devenir un combattant voulant lutter pour sa liberté », témoigne-t-il. À 13 ans, avec quatre camarades, il a créé une sorte de « groupe militaire local ». La lutte a commencé en hissant le drapeau palestinien. À l’âge de 16 ans, ils ont trouvé des armes dans une grotte puis deux de ses amis ont lancé des grenades sur une patrouille israélienne. « Personne n’a été touché. Un an plus tard, nous avons été arrêtés », raconte Bassam. L’un des jeunes a écopé de 21 ans de prison, lui de sept. Incarcéré, il a commencé à apprendre l’hébreu, pour « mieux connaître son ennemi ». Mais il a aussi pris connaissance de l’holocauste et de la tragédie subie par les juifs. « À ma sortie de prison, j’ai souhaité montrer aux juifs qu’on ne voulait pas les jeter à la mer. Que nous voulions juste exister ». Pour Bassam, savoir permet de mieux agir : « Si tu es ignorant, tu subis un narratif. Tu ne peux être que d’accord avec toi-même. Alors il faut ouvrir son esprit à l’histoire des autres », fait-il valoir.
Bassam Aramim a cru en une possible stabilité après les accords d’Oslo en 1993 : « Tes enfants et ta famille deviennent ta patrie, ta Palestine, ton monde. » Il fonde parallèlement l’association Combatants for Peace. C’est dans ce cadre qu’il se lie d’amitié avec Rami Elhanan, lui-même membre d’une organisation cousine, Parents Circle, rassemblant des parents israéliens ayant perdu un proche dans le conflit. Mais la guerre a à son tour rattrapé Bassam et sa famille. Le 16 janvier 2007 à 9h30, un policier israélien aux frontières a tiré sur sa fille de dix ans, Abeer. « Devant son école. Elle était avec sa sœur et deux autres filles. Il ne s’agissait pas d’une manifestation », s’énerve Bassam. Elle est décédée quelques jours plus tard à l’hôpital où Rami et d’autres familles isréaliennes l’épaulaient.
« Quand on perd sa fille, on ressent une douleur extrême. On se sent mourir d’une tristesse infinie », témoigne le père endeuillé dans le documentaire. « Que faire de cette colère qui vous dévore ? », interroge le réalisateur. Rami apporte son éclairage : « Quand on te frappe au visage, la réponse automatique est la riposte. C’est naturel et humain. C’est la voie que choisissent bien des gens », commente-t-il. Revanche, représailles, punition. L’Israélien énumère les ingrédients du « cycle sans fin de violence ». « Mais après un processus long et complexe, on se demande si faire souffrir quelqu’un te soulagera toi personnellement », explique-t-il. « On en arrive à essayer de comprendre pourquoi cette autre personne est tellement en colère qu’elle est prête à se faire exploser dans un bus avec des fillettes de quatorze ans », poursuit Rami avant de boucler la boucle : « On réfléchit alors à ce que l’on peut faire pour que ce genre de peine n’affecte pas les autres. »
Rami Elhanan, 73 ans, et Bassam Aramim, 56 ans, militent pour la réconciliation depuis la Seconde Intifada. En Israël et en Palestine, mais aussi à travers le monde où ils ont reçu pléthore de prix pour leur engagement. Depuis le 7 octobre, leur message est devenu plus dur à porter, confient-ils au Land mercredi soir. Il leur faut rappeler que la guerre n’a pas commencé à cette date. « Il ne s’agit pas de tuer les moustiques, mais d’assécher le marais », raconte Rami Elhanan. Dans son allégorie, le marais, c’est l’occupation israélienne. Bassam Aramim remarque que le Luxembourg prône une solution à deux États : « Nous lui demandons donc de reconnaître la Palestine, puisqu’il a déjà reconnu Israël », dit-il, soulignant qu’il ne faut pas attendre « la permission de Netanyahou, il ne la donnera jamais ». Dans la logique des deux hommes, reconnaître la Palestine isolera Israël sur la scène internationale et la contraindra à stopper l’occupation. « Le monde civilisé occidental doit prendre ses responsabilités et mettre de côté sa culpabilité née de son attentisme lors de l’holocauste », répètent-ils. Pour eux, « demander un cessez-le feu (ce à quoi se cantonne le gouvernement luxembourgeois, ndlr) ne mène à rien ». « Les enfants meurent par centaines et ils discutent », peste Rami Elhanan. « C’est donc notre devoir à nous qui avons payé le prix de la guerre de montrer que la seule issue est d’exercer une pression sur l’agresseur. Et l’agression ne date pas du 7 octobre », insiste l’Israélien. Ce message, difficile à entendre aujourd’hui après les atrocités commises par le Hamas en ce « samedi noir », est pour eux la seule voie vers la lumière. En 2009 à Tel Aviv, l’artiste Leonard Cohen avait dédié son concert au travail de Bassam et Rami. Une chanson en particulier, Anthem, dont le refrain se chante : « Ring the bells that still can ring / Forget your perfect offering / There is a crack, a crack in everything / That’s how the light gets in. »