Le monologue Juste un homme, avec un fusil, une production de la Compagnie Le Barbanchu, confronte le public à la vie d’un homme, victime de l’univers des écrans qui l’emprisonne et le mène au bord de la folie. Godefroy Gordet, l’auteur, metteur en scène et journaliste (et collaborateur régulier au Land) côtoie longtemps ses personnages, les interroge, les remodèle dans leur univers avant de se « libérer » d’eux pour investir le plateau du théâtre.
Un jeune homme sans nom, un marginal, parle de sa vie et de ses préoccupations : il est vendeur de télévisions dans un petit magasin de ville, passe ses journées de travail au milieu des écrans qui déversent un flot d’images. Un mardi sa femme le quitte et sa vie est chamboulée. Le mardi suivant il est là, au magasin, un fusil à la main : va-t-il le diriger contre quelqu’un ? À la télévision, dans une édition spéciale, on parle d’un type en costume-cravate qui a été kidnappé.
L’homme monologue sur scène, évoque des bribes de sa vie, se rappelle ses rêves d’enfance où tout était possible : de beaux moments dans le jeu du comédien Romain Ravenel. « J’ai fini d’être un gosse, et j’ai grandi. Je suis devenu l’ignoble mec que je ne voulais pas devenir, d’une normalité triste. Et autour, le monde, mon monde, s’est effrité. »
Peu à peu il est devenu captif d’un univers formaté par les écrans, qui le bombardent d’images et qui lui font vivre de multiples vies mais brouillent la sienne, en lui faisant perdre toute orientation. Il vit barricadé dans son magasin, au milieu d’un tas de télévisions renversées sur le sol ; pour illustrer sa dépendance (et son attirance), il va jusqu’à fourrer sa tête – jolie trouvaille – dans les « entrailles » d’un téléviseur. Il se perd, frôle la folie et parle d’un kidnapping, réalité ou fantasme ?
Sur un grand écran monté sur le fond de scène, une création numérique et une scénographie variées d’Eric Chapuis et Guillaume Walle, défilent des images témoins du mental du protagoniste, des publicités, des promesses trompeuses en fait, clamant par exemple « Le futur vous appartient ». À plusieurs reprises la chanteuse Stéphany Ortega intervient au milieu du public et évoque entre autres les relations compliquées au sein du couple.
Incapable d’assumer ses propres déceptions et d’aider sa femme à surmonter une expérience traumatisante, suivie du départ de celle qu’il aime, le protagoniste se perd, tourne à vide, frôle la folie, des thèmes illustrés par la création musicale de Sylvain Montagnon et Grégory Marongio. Ces moments témoignent d’une mise en scène inventive et d’un jeu très juste. Son téléphone à la main, le personnage finit par quitter le plateau pour rejoindre et filmer le hors-scène du théâtre.
L’objectif de Juste un homme, avec un fusil est de susciter la réflexion face à notre monde superconnecté, qui risque d’entremêler virtualité et réalité et de mener l’homme au bord d’un fossé. Le sujet du monologue de l’homme au fusil, qui essaie donc de réagir, s’est dégagé à travers plusieurs étapes de préparation et travail en résidence : le TalentLAB des Théâtres de la Ville de Luxembourg, le Fundamental Monodrama Festival, une résidence à la Kufa, pour aboutir à la représentation au Escher Theater.
Ces diverses étapes montrent que l’auteur Godefroy Gordet donne une vive importance au sujet, il essaie de le tester face à plusieurs publics. Le risque est pourtant – d’autant plus qu’il cumule les fonctions d’auteur et de metteur en scène – de surcharger la représentation finale, à la chronologie non linéaire : avec au début, une partie théorique en voix off, le monologue accompagné d’une création numérique et musicale avec une chanteuse live et que ainsi il sollicite trop le public.
Juste un homme, avec un fusil est une création intéressante et exigeante portant sur un problème majeur de notre société, mettant en scène une équipe engagée.