En ce mois de mars, le Théâtre Ouvert Luxembourg a offert un beau cadeau à son public en lui proposant Trahisons (la dernière représentation ce vendredi 22) du fameux auteur dramatique britannique Harold Pinter (1930-2008, Prix Nobel de littérature en 2005). Dans une belle et subtile mise en scène de sa directrice artistique, Véronique Fauconnet, la pièce est servie par un remarquable trio.
On se souvient avoir vu en 2020, à Opderschmelz, Le Gardien (1960) du même Pinter avec le grand Rufus, l’histoire de la rencontre de trois hommes, de trois solitudes. Avec Trahisons (1978), nous revoilà en présence de trois personnages, un triangle amoureux classique digne d’un vaudeville. Mais dans cette pièce intimiste, le dramaturge nous entraîne sur d’autres terrains de jeux ; il brouille les pistes et insuffle un soupçon d’intrigue pour mieux décortiquer les relations. Avec son style inimitable et un langage fait de ruptures, de décalages, et d’allusions, il nous fait voir à travers les mots banals du quotidien les dessous de la pensée, le sens dessus dessous des relations, les impossibilités de dire, de se dire, de communiquer et de partager. Les personnages brodent, tricotent et détricotent, se répètent et se contredisent, manipulent et mettent à nu… révélant rivalités (littéraires aussi) et jalousies, secrets et ambiguïtés, trahisons et solitudes.
Printemps 1977. La pièce commence, c’est le jour des aveux, Emma (Pauline Collet), galeriste à Londres, a donné rendez-vous dans un café à Jerry (Jean-Thomas Bouillaguet), son amant pendant sept ans (ils ont rompu deux ans auparavant). Au brillant agent littéraire, elle annonce avoir quitté son mari, Robert (Steeve Brudey Nelson), éditeur, plus vieil ami de Jerry (celui-ci a été son garçon d’honneur et est son camarade de squash) et lui avoir tout révélé. Sauf que les choses ne se sont pas vraiment passées comme cela… On l’apprendra au gré de révélations troublantes en retournant vers le passé.
Au fil du spectacle, la lumière sera faite sur neuf dates clés affichées sur un tableau en bord de scène, côté cour : l’histoire se déroule en flashback partant de ce printemps 1977 à l’hiver 1968 où tout a commencé un soir de fête, en passant par l’été 1973 à Venise (la lettre, le voyage seul de Robert à Torcello, sa lecture de Yeats). Retracer le cours de l’histoire comme on remonte une rivière avec ses virages et ses imprévus, voilà le cheminement qui est proposé par l’auteur à travers des petites scènes (des duos surtout), très souvent autour d’un verre, avec des mots qui ne disent pas toujours grand-chose ou qui disent autre chose mais surtout avec des postures, des regards et des silences révélateurs.
La mise en scène fluide et élégante de Véronique Fauconnet, en finesse et en suggestion, par petites vagues filmiques et musicales, sert efficacement Harold Pinter, sa langue, ses rythmes, sa tension dramatique, son analyse en profondeur des relations amoureuses, amicales, de genre et de travail. La comédienne et les deux comédiens portent de la plus belle des manières leurs personnages qui naviguent entre vérités et faux-semblants, tantôt se dévoilant, tantôt se cachant, se rapprochant ou s’éloignant. Le trio emporte avec force et nuances le public dans ses tribulations.
Sur le plateau, un décor minimaliste (belle et inventive scénographie de Christian Klein qui signe aussi des costumes stylés) est marqué par trois ensembles délimités par des stores ouverts ou fermés (changements à vue par les comédiens) dessinant trois espaces de jeux. Au fil des scènes, les lieux alternent et les ambiances se renouvellent au gré de belles lumières, colorées et expressives (création de Manu Nourdin) qui suggèrent saisons, jours et nuits, intérieurs et extérieurs, sentiments et états d’âme. Les transitions se font en musique, jazz surtout, avec quelques beaux standards comme cette Petite Fleur qui irrigue la dernière scène.
Trahisons de Pinter/Fauconnet est un sobre et saisissant spectacle qui parle du couple, de l’humain, de ses difficultés d’être et d’être avec les autres.