L’été débute de la plus belle des façons à la cinémathèque de Luxembourg, qui accueille tout au long du mois de juin un programme de qualité. Si bien que celui-ci s’apparente davantage à une cartographie du monde en rendant hommage à Hollywood, en révélant des trésors enfouis du cinéma iranien, ou encore lorsqu’il revient sur la guerre au Donbass (Klondike, le 12 juin) ou sur l’exploitation des sols épuisés par des décennies d’agriculture intensive. En fonction des usages et des finalités auxquels il répond, le cinéma est défini, en creux, comme un outil de sensibilisation politique (Pesticides : l’hypocrisie européenne, le 5 juin), comme un divertissement populaire (« L.A. Babylon »), comme un moyen de résistance à un régime, enfin comme une possibilité d’interroger le langage cinématographique à travers les leçons dispensés chaque mois dans le cadre de l’université populaire (conférence de Diane Arnaud, le 26 juin).
À l’heure où en Iran des soulèvements populaires se dressent contre le joug, et où le régime se durcit chaque jour un peu plus contre celles et ceux qui refusent de se taire (on estime, de la part du régime, à une exécution sommaire toutes les six heures !), c’est la Perse qui nous occupera cette semaine, avec deux films rares : Chess of the Wind, le premier long-métrage de Mohammad Reza Aslani et, mieux encore, The House is Black (1963), peut-être la véritable pépite de ce programme. Réalisé en 1976, Chess of the Wind est un long-métrage que l’on a longtemps cru perdu. Alors que ses bobines sont retrouvées par hasard en 2014 sur les étals d’un marché, le film est restauré par la cinémathèque de Bologne avec l’aide de la Film Foundation présidée par Martin Scorsese. Juste retour des choses puisque Chess of the Wind n’a été présenté qu’une seule fois en public : c’était en 1976, lors du Festival international de Téhéran et dans des conditions désastreuses (certaines bobines ont été projetées à l’envers, le film est exclu de la compétition). Trois ans plus tard, après la chute du Shah, la toute nouvelle République islamique le frappe de censure, sans doute en raison de sa critique de la religion et de certaines pratiques sexuelles peu avouables que l’on y montre (en cause notamment, des scènes de lesbianisme). Puis, plus rien : la nuit totale de l’oubli. Le film disparaît, jusqu’à ces récentes retrouvailles. Ce thriller opérant en huis-clos commence presque de la même façon que La Baie sanglante de Mario Bava : le décès d’une riche propriétaire entraine une âpre guerre de succession entre les héritiers. Ce sera d’ailleurs l’unique point commun avec l’Italien, hormis peut-être leur attention commune à la mise en scène et à certains effets baroques. L’élégance des travellings, les compositions picturales sont ici autant d’ornements qui tapissent un propos particulièrement noir.
Outre ce thriller familial, il y a donc The House is Black, chef-d’œuvre en noir et blanc que l’on doit à Forugh Farrokhzad, poétesse décédée trop tôt, à l’âge de 32 ans. Produit par Ebrahim Golestan, La maison est noire est une lettre d’espoir de 22 minutes, où la jeune femme filme des hommes et des femmes à l’épreuve des déformations, tous étant atteints de lèpre. Tels sont les premiers mots qui l’ouvrent : « Ce monde est plein de laideur. Il y en aurait encore davantage si l’homme en détournait les yeux. Vous allez voir sur cet écran une image de la laideur, un portrait de la souffrance, qu’il serait injuste d’ignorer. Par respect pour l’humain, nous devons lutter contre cette laideur, alléger cette souffrance. C’est cet espoir qui a inspiré ce film ». Contre l’aveuglement, l’indifférence, la banalisation du mal, on ne saurait mieux définir la nécessité de représenter le monde et de l’exposer au public. Adorateur de Forugh Farrokhzad, Abbas Kiarostami fait entendre certains de ses vers dans Le vent nous emportera (film au programme le 12 juin). Son titre même en est une citation poétique.