Il faut y voir en premier un acte de piété, en un centième anniversaire du festival prolongé par la pandémie, envers l’un de ses fondateurs, présent quand même année après année avec son Jedermann. Pour Jossi Wieler, le metteur en scène, un véritable défi que ce Bergwerk zu Falun, et l’apparition de la Bergkönigin, être mythique surgissant des fonds d’une mine, y est peut-être encore la moindre des choses. Le texte, il est indispensable de l’élaguer, pour rester dans l’image minière, à grands coups de pioche, et voici la représentation réduite à une heure et demie. Hofmannsthal lui-même en avait eu le plus grand mal, le reprenant sans cesse, de sorte que la pièce ne fut même pas publiée de son vivant ; elle sortit en 1933 seulement, sa création eut lieu en 1949 à Constance, et après ce fut le purgatoire sinon l’enfer.
Hofmannsthal a quelque vingt-cinq ans, lorsqu’il écrit ce parcours d’initiation à la limite des deux mondes, réel et surnaturel (ou intérieur et souvent inconscient). Un jeune marin tourne le dos à la mer, guidé par le vieux Torbern, le mot allemand « Untoter » dit mieux son état que toute traduction mauvaise, il a accès au monde de la mine, abandonnera la situation qu’il s’est faite dans la famille Dahlsjö, jusqu’à la fille qu’il devait épouser, pour prendre la place de Torbern (enfin délivré, prêt donc à mourir) auprès de la Bergkönigin.
On ne m’en voudra pas d’y voir tant de thème, de situations des opéras de Wagner. Un séjour auprès d’une femme exigeante, de caractère sans doute totalitaire, mais Torbern est plus hésitant que Tannhäuser ; et André Jung joue avec beaucoup de finesse de cette indécision, de son autre côté, Gurnemanz intéressé, et le voyage à Falun fait bien se joindre l’espace et le temps. Irai-je jusqu’à établir un parallèle entre Falun et la famille Dahlsjö et la cité nordique du Vaisseau. On pourrait continuer, et c’est beaucoup, c’est trop, malgré tout ce que Jossi Wieler et la dramaturgie assurée par Marion Tiedtke ont entrepris dans un bon sens réducteur.
Et cela commence fort, et de façon intelligente. Une première catastrophe minière, un premier éboulement, et la scène du Landestheater se retrouve parsemée de gravats, un bel amas de tuiles creuses, dans un nuage de poussière. On n’aura jamais vu un aussi large emploi de tuiles, des plus divers, jusqu’à y fourrer une robe de mariée, je passe sur d’autres gestes. Torbern, alias André Jung, s’en extirpe, parcourt l’espace en titubant, en même temps que les autres protagonistes s’arrachent de même des décombres. L’explosion aura son répondant à la fin, où Elis le marin succédera à Torbern dans le royaume souterrain, répétition ou même conception d’un temps circulaire ; cette réflexion-là, présent, passé, sur le temps en général, n’est jamais absente chez Hofmannsthal, quoi de plus profond que ce que nous en dit la Maréchale.
« … So stehe ich wieder auf unsicheren Gerüsten zwischen Schutt, Balken und unfertigen Ziegelmauern… », écrit Hofmannsthal lors de l’élaboration difficile de la pièce. Voilà le décor de Muriel Gerstner en plus l’image même de toute existence. Ainsi que ce soir-là la situation des acteurs qui s’en tirent le mieux possible. On l’a déjà vu avec André Jung, son ambivalence et les pas qu’il fait des deux côtés de Falun, ses paroles qui sonnent un peu à la façon d’échos. Il y a la famille : Hildegard Schmahl, grand-mère aveugle mais très au fait du monde, dans un résumé de son histoire ajouté au texte, et jeune femme amie d’Elis aussi, dans un dernier élan de séduction ; Edmund Telgenkämper, l’industriel qui s’en veut de sa faiblesse, face à ses ancêtres ; Lea Ruckpaul, la jeune femme, d’une grande conviction dans son innocente liberté, impuissante contre l’appel qui lui ravit Elis. Lui, c’est Marcel Kohler, qu’on sent tiraillé, il est impressionnant, par sa taille déjà, par sa présence, malgré sa jeunesse dépassé par ce qui lui arrive ; le souvenir d’une part de la mort d’une jeune matelot, un amour qui lui a été enlevé, la tentation d’autre part de la Bergkönigin, et c’est en partie Sylvana Krappatsch qui interprète les deux. Les personnages ont été de la sorte répartis entre les comédiens.
« Ich mein, ob du begreifst, wie ich herkam,/ Was mich herführte, hier zu euch, zu dir?“, demande Elmis à Anna. L’année prochaine, à Pâques, Jossi Wieler assurera la mise en scène de Lohengrin, nouvelle occasion de se colleter avec le surnaturel.