Saisi en août 2016, le Conseil d’État a donc mis le temps utile pour examiner le projet de loi n° 7037 avant de se prononcer le 14 juillet 2017 de manière circonstanciée sur le remplacement projeté des 285 fabriques d’église actuelles par un fonds national unique qui gérera le patrimoine de l’Église catholique et qui sera placé sous le contrôle de l’Archevêché.
Un second objectif non moins important du projet prévoit de déterminer la propriété des quelque 500 églises luxembourgeoises qui continuent pour la plupart à servir de lieu de culte. Sur base des titres de propriété retrouvés et des arrangements locaux conclus pour en déterminer la propriété, 300 églises sont à l’avenir censées appartenir aux communes et quelque cinquante autres feront partie du patrimoine du futur fonds. Pour les 150 églises restantes la question reste ouverte. Le gouvernement a l’intention de les attribuer au fonds grâce à la loi en projet, à moins que les communes concernées ne soient d’accord pour en devenir les propriétaires, même en l’absence d’un arrangement trouvé avec la fabrique d’église locale1. À cet égard, le blocage prôné par le Syfel contre toute solution conventionnelle locale est déconcertante, car le fonds aura de toute évidence intérêt à voir le plus grand nombre d’églises devenir la propriété des communes, leur laissant la charge de l’entretien constructif.
Dans la mesure où le Conseil d’État s’est montré d’accord avec l’économie générale du projet de loi et que le Gouvernement a accepté de suivre ses recommandations au sujet de certains points critiqués de son projet, le dossier semble, nonobstant la polémique parfois envenimée qui a accompagné son élaboration et qui ne semble toujours pas tarir, être engagé dans la dernière ligne droite avant son adoption parlementaire, sous réserve évidemment que la Chambre des députés accepte la mouture résultant des nouveaux amendements du gouvernement, conçus dans la ligne des observations du Conseil d’État.
Ajouter une prise de position supplémentaire aux nombreux commentaires dont le dossier a entre-temps été crédité serait sans doute futile, s’il n’y avait pas au moins un aspect que le débat public a jusqu’à présent ignoré. Il est en effet du moins curieux de voir des détracteurs de la fusion projetée des fabriques d’église qui bénéficie de l’appui de l’Archevêché, faire fi de la loi de l’Église catholique, tout en se réclamant de l’enseignement de cette même Église. Avant de nous pencher sur la question codifiée dans le droit canonique, il ne semble cependant pas sans intérêt de revenir de manière synthétique sur l’avis précité du 14 juillet 2017 et ses quelques critiques majeures au sujet du projet de loi n° 7037.
La quintessence de l’avis du Conseil d’État du 14 juillet 2017
D’aucuns s’étaient attendus de la part du Conseil d’État à une critique rangée des fondements juridiques sous-jacents au projet de loi n° 7037. Ils avaient espéré voir l’idée de confier la gestion du patrimoine de l’Église catholique à un fonds national unique, remplaçant la ribambelle d’unités locales2, buter sur une opposition formelle. Et ils avaient cru qu’aux yeux du Conseil d’État, le principe de l’autonomie locale fasse obstacle à la limitation stricte des interventions financières communales au profit du futur fonds que le projet de loi prévoit.
Or, le Conseil d’État a salué la réunion des activités actuelles des fabriques d’église et des patrimoines qu’elles gèrent dans une nouvelle entité nationale. Il a approuvé cette nouvelle forme de gestion qui « permet d’instaurer une plus grande transparence ». Et il a plus particulièrement apprécié que le fonds soit obligé de respecter les règles communément appliquées en matière de comptabilité commerciale, et que l’Archevêché garde la flexibilité nécessaire pour structurer le fonds en fonction de la nouvelle architecture paroissiale introduite récemment et des besoins pastoraux futurs de l’Église. Enfin, il a été d’avis qu’« il ne saurait être question d’expropriation [du moment que le] fonds reprend (…) les missions des fabriques d’église et se voit transférer leurs patrimoines, tout en gardant l’affectation antérieure ».
En signant la Convention du 26 janvier 2015 concernant la nouvelle organisation des fabriques d’églises [sic], le gouvernement et l’Archevêché avaient été d’accord pour dire que les avoirs confiés au fonds devront lui suffire pour assumer ses obligations et qu’« un co-financement de ses activités par le secteur communal sera exclu ». La défense faite au fonds de recevoir des aides communales et celle faite aux communes d’en allouer au profit du fonds ont été reprises dans le projet de loi. Celui-ci admet toutefois un certain nombre d’aménagements de cette interdiction de principe (maintien du subventionnement étatique et communal en faveur de la Cathédrale de Luxembourg et de la Basilique d’Echternach, obligation des communes de veiller à la conservation et à l’entretien constructif des édifices religieux qui leur appartiendront, rétribution du fonds en cas de mise à disposition d’une église par exemple à des fins culturelles,…) qui allègeront d’autant les obligations financières du fonds. Le texte prévoit par ailleurs un loyer modique (mille à 2 500 euros par an), lorsqu’une église, propriété d’une commune, est mise à la disposition du fonds pour l’exercice du culte. Le Conseil d’État ne trouve rien à redire à cette double interdiction. Il rappelle que si « l’autonomie locale bénéficie (…) d’une protection constitutionnelle ou législative »3, les compétences confiées aux collectivités locales peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, à condition que la loi en trace le cadre. Si les compétences des communes doivent « être normalement pleines et entières », la détermination du cadre de l’exercice de ces compétences relève finalement du domaine de la loi.
Malgré une appréciation globalement favorable du projet de loi n° 7037, le Conseil d’État s’est néanmoins vu obligé de formuler quatre oppositions formelles sur des aspects particuliers du dispositif légal projeté. Tout en notant que le gouvernement a décidé de suivre le Conseil d’État sur les points critiqués4, examinons brièvement ce dont il s’agit.
Contrairement à l’idée des auteurs du projet de loi de rapprocher l’organisation et le fonctionnement du fonds des règles valant pour les fondations d’utilité publique, le Conseil d’État a demandé, sous peine d’opposition formelle, d’ancrer le statut légal du fonds dans le droit public et d’aligner les règles de son fonctionnement sur celles usuellement appliquées aux établissements publics, à l’instar de ce qui prévalait jusqu’ici pour les fabriques d’église.
Or, cet ancrage dans le droit public n’est pas anodin quant aux conséquences juridiques pour le patrimoine du fonds, notamment dans l’hypothèse où il serait supprimé. Une telle suppression que, par application du principe du parallélisme des formes, seule la loi pourra décider, soulève en effet la question de la portée de la prérogative du législateur de disposer du patrimoine qui deviendra en pareilles circonstances disponible. S’il est communément admis qu’en règle générale la protection des droits de propriété prévue à l’article 16 de la Constitution vaut au même titre pour les personnes de droit public que pour les personnes de droit privé, la doctrine belge admet – et c’est curieusement l’opinion dissidente jointe à l’avis du Conseil d’État du 14 juillet 2017 qui en fait mention –, que « … une fois l’Administration propriétaire, cette propriété ne bénéficie toutefois pas complètement des garanties offertes aux particuliers par l’article 16 de la Constitution »5. Il est en effet évident qu’au cas de sa suppression, une personne de droit public ne pourra pas revendiquer à son bénéfice la protection de l’article 16 et demander que lui soient appliquées les règles légales sur l’expropriation. Qu’il nous soit permis de reprendre ici encore une citation trouvée dans l’opinion dissidente précitée : « Si une personne morale est créée dans un but d’intérêt politique, social ou intellectuel, les biens qu’il lui est permis d’acquérir pour atteindre ce but appartiennent à la Nation au jour où elle disparaît »6. Ces considérations ne sont pas démenties dans l’avis majoritaire du Conseil d’État.
La deuxième opposition formelle vise l’interdiction que la loi en projet impose au fonds d’assurer la rémunération des ministres du culte, au motif que cette interdiction serait discriminatoire pour une catégorie déterminée de personnes et dès lors contraire au principe d’égalité garanti par la Constitution. Le Conseil d’État note pourtant que la dotation budgétaire prévue par la loi du 23 juillet 2016 réglant le montant et les modalités d’octroi d’un soutien financier annuel à l’Église catholique sert entre autre à subvenir aux frais salariaux des ministres des cultes, et il s’est déclaré d’accord avec le maintien de l’exception visée dans la loi en projet, sous condition que celle-ci se réfère explicitement à l’existence des moyens de rémunération déjà inscrits dans la loi du 23 juillet 2016, en évitant ainsi la rupture critiquée du principe d’égalité au détriment des intéressés.
Nous venons de voir que l’interdiction légale faite aux communes d’intervenir, hormis les exceptions prévues, dans le financement du fonds ne se heurte pas au principe de l’autonomie communale. Or, en ne précisant pas de façon explicite que le subventionnement prévu par nombre de communes en matière de préservation et d’embellissement d’immeubles, jugés dignes de conservation, s’applique aussi aux églises catholiques, le principe d’égalité de l’article 10bis de la Constitution n’est pas respecté. En vue de tenir compte de cette observation, le projet de loi a été amendé par l’ajout d’une disposition prévoyant expressément que des subsides communaux accordés dans le domaine de la conservation du patrimoine architectural local vaudront aussi pour les édifices religieux.
La dernière opposition formelle a trait à la volonté du Gouvernement d’associer étroitement les communes et les fabriques d’église au règlement de la propriété des édifices religieux. Or, cette approche crée, aux yeux du Conseil d’État, plus de problèmes qu’elle n’en résout. À son avis, faire dépendre l’attribution de la propriété des églises locales d’arrangements conventionnels, susceptibles d’intervenir même encore après l’entrée en vigueur de la loi en projet mènerait à des incohérences et risquerait d’altérer le caractère souverain de la loi ayant au préalable tranché la question de la propriété. Soucieuse de préserver la sécurité juridique, la Haute Corporation propose de régler la propriété des édifices religieux par une formule brève et claire disposant que la loi seule en décidera. Une annexe de la loi énumérera l’ensemble des églises catholiques, recensées en 2016 dans le cadre d’un travail de bénédictin effectué par l’Administration du cadastre et de la topographie, et déterminera pour chaque édifice y répertorié son appartenance à la commune territorialement concernée ou au fonds. Le gouvernement a amendé le projet de loi dans ce sens.
L’attitude des fabriques d’église face au droit de l’Église catholique
D’après la lecture que font les responsables de l’Archevêché du Code de droit canonique, les fabriques d’église font fonction de conseils pour les affaires économiques. Ces conseils sont d’après le canon 537 créés au niveau de chaque paroisse et régis par le droit universel de l’Église ainsi que les règles fixées par l’évêque diocésain. Les membres de ces conseils sont tenus d’apporter leur aide au curé pour l’administration des biens de la paroisse, sans préjudice de la responsabilité propre au curé de veiller à cette administration.
Deux conséquences se dégagent de ces dispositions. D’une part, le nombre des 285 fabriques d’église actuelles aurait de toute façon dû être ajusté au moment où l’Archevêché a instauré une nouvelle architecture paroissiale du diocèse qui vient de ramener le nombre des paroisses de 278 à 33. Comme, selon le canon 515, la charge pastorale de la paroisse revient au curé desservant qui exerce sa mission sous l’autorité de l’Évêque diocésain, les activités des fabriciens apparaissent, d’autre part, comme une simple fonction d’appui de la compétence du curé d’administrer sa paroisse. Ils devraient dès lors se soumettre à ses directives, y compris celles que le curé ne fait que mettre en œuvre sur instruction de sa hiérarchie. S’y ajoute que les membres des fabriques d’église sont à considérer aux termes du canon 1282 comme laïcs qui participent à l’administration des biens ecclésiastiques et qui sont de ce fait tenus d’accomplir leurs fonctions au nom de l’Église, et selon le droit de celle-ci. À ce titre ils ont dû, avant d’entrer en fonction, prêter serment devant l’Évêque ou son délégué d’être de bons et fidèles serviteurs (Can. 1283), prêts à accomplir soigneusement leur fonction en bon père de famille, et à éviter tout dommage à l’Église (Can. 1284).
Leur statut d’administrateurs des biens ecclésiastiques ne doit pas faire oublier aux fabriciens qu’ils restent avant tout des fidèles au sens du droit canonique « comme baptisés … [et] unis au Christ », et que cette union s’exerce dans le cadre de l’Église catholique « par les liens (…) du gouvernement ecclésiastique » (Can. 205). Ainsi, ils « sont liés par l’obligation de garder toujours, même dans leur manière d’agir, la communion avec l’Église » (Can. 209). Ils sont « tenus d’adhérer par obéissance chrétienne à ce que les Pasteurs (…) décident en tant que chefs de l’Église » (Can. 212)7. Même si les fidèles jouissent d’une « liberté d’expression prudente de leur opinion dans les matières où ils sont compétents », ils doivent « [garder] le respect dû au magistère de l’Église » (Can. 218). Enfin, « [d]ans l’exercice de leurs droits, les fidèles, tant individuellement que groupés en associations, doivent tenir compte du bien de l’Église » (Can. 223).
En 1912, tous les députés qui avaient voté en faveur de la loi scolaire, avaient été excommuniés par l’évêque Mgr Koppes ; leur seul « pêché » avait consisté à soutenir une initiative législative soustrayant la nomination des instituteurs au contrôle du clergé. Forte d’un passé où elle a joué un rôle prédominant dans la société luxembourgeoise et où elle était un interlocuteur privilégié des institutions publiques, l’Église catholique a aujourd’hui bien du mal à faire passer son message spirituel et la profession de la foi chrétienne auprès d’une frange grandissante de la population, qui cherche elle-même à adapter son identité au caractère de plus en plus composite d’une société fortement marquée par l’immigration. Le maintien de l’unité interne de l’Église devrait dans ces circonstances primer sur toutes autres considérations, si l’Église catholique luxembourgeoise entend demeurer un repère spirituel au sein de notre société multiculturelle.
Or, la démarche du Syfel apparait à maints égards comme pointant dans un sens contraire, comme ignorant les règles du droit ecclésiastiques et comme se moquant avec une étonnante insouciance des intérêts de l’Église catholique. L’attitude de ses responsables ne semble en tout cas pas imprégnée de l’esprit évangélique destiné à parfaire l’ordre lors de l’accomplissement des charges séculières dont ils sont investis (Can. 225). En refusant de se soumettre au représentant diocésain du Pontife suprême (attitude se rapprochant fort dangereusement d’un comportement que le canon 751 qualifie de schisme), ils ignorent les obligations du canon 753, qui exige des fidèles d’adhérer avec une référence religieuse de l’esprit au magistère de leur Evêque.
Malgré une association de plus en plus présente des laïcs dans le fonctionnement de ses structures et dans la mise en œuvre de ses rites cultuels, l’organisation de l’Église catholique n’a rien de démocratique. Les exigences de discipline hiérarchique et d’obéissance face à l’autorité des pasteurs marquent le droit canonique. Dans ce contexte, l’assignation lancée par des administrateurs laïcs locaux, fédérés au niveau national, qui est non seulement dirigée contre l’État, mais également contre la hiérarchie diocésaine a de quoi surprendre.
Quant au fond de l’affaire, il appartiendra aux avocats des parties impliquées de convaincre la justice de la pertinence de leurs arguments, cela évidemment sur base des textes normatifs du droit laïque.
Or, comment voir l’action en justice du Syfel à la lumière du droit canonique. Cette action ne vise pas uniquement l’État. En effet, l’Archevêque en personne et l’Archevêché en tant que personne juridique ont également été assignés à la veille de Noël 2016. La lecture que nous donnons des passages pertinents du Code de droit canonique nous font conclure que l’assignation tant des organes de l’État que de la hiérarchie diocésaine a été irrégulière, voire illégale au regard du droit de l’Église.
Il est en effet difficile de croire que les responsables du Syfel et les administrateurs des fabriques d’église qui se sont associés à son action en justice, aient à cet effet obtenu la « permission écrite » requise en vertu du canon 1288. Ce canon dispose que « Les administrateurs n’engageront pas un procès et ne répondront pas à une citation en justice au for civil au nom de la personne juridique publique [dont ils assument la responsabilité], à moins d’en avoir obtenu la permission écrite de leur Ordinaire propre ». Dans le cas d’espèce l’Ordinaire n’est autre que l’Archevêque de Luxembourg.
Les exigences du droit canonique sont encore plus incisives lorsqu’il est question de litiges internes à l’Église. Le canon 221 interdit en effet de porter ces litiges sur la place publique. Il permet certes aux fidèles de « revendiquer légitimement les droits dont ils jouissent dans l’Église », mais il ne leur est permis de défendre ces droits que devant le « for ecclésiastique compétent ».
L’assignation des organes étatiques aurait donc requis l’autorisation de l’Archevêque, et nous avons toutes les raisons de croire que tel ne fut pas le cas. L’assignation de l’Archevêque et de l’Archevêché est pour sa part illégale au regard du droit canonique, parce que ce volet du litige ne peut, selon le canon cité, être porté que devant les instances juridictionnelles internes de l’Église catholique.
La réplique du Christ aux pharisiens « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », mériterait peut-être d’être méditée.