Depuis sa création, le Fundamental Monodrama Festival nous fait découvrir à chaque nouvelle édition, des créations inédites et des spectacles engagés de tous les continents, en particulier en provenance d’Afrique de l’Ouest. Pour sa douzième édition (le festival rayonne jusqu’au 29 mai avec une belle palette de propositions danse et théâtre), il n’a pas dérogé à la règle et a convié le public à un premier week-end dédié aux voix africaines avec trois spectacles venus du Niger (une création signée par un fidèle de la première heure du festival, Oumarou Aboubacari Bétodji), du Bénin et du Burkina Faso (associé à la Suisse).
Nous étions à la Banannefabrik samedi 21 mai pour la représentation de Terre rouge, texte du dramaturge, metteur en scène et comédien burkinabé Aristide Tarnagda qui est aussi directeur artistique du fameux festival Récréâtrales d’Ouagadougou. Créée il y a dix ans, la pièce Terre rouge (Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 2017) a eu « sa première suisse » l’an dernier au Theater Stok de Zürich dans une relecture de Miriam Lustig et avec le comédien burkinabé Urbain Guiguemdé, version découverte à Bonnevoie.
Terre rouge est à la fois un monologue (sur scène, le comédien endosse deux rôles, il se trouve tantôt dans la rue au Burkina Faso, tantôt dans un « bar à foot » à Zurich) et un dialogue croisé entre deux frères (seuls, séparés par l’exil, l’un étant resté au pays, l’autre ayant migré en Europe, les scènes alternent entre fins de soirée dans le pays d’accueil et scènes de tous les jours au pays natal) qui disent l’improbable retour, les impossibles retrouvailles. Leur désir de paroles vivantes bute sur une difficile et intermittente communication via smartphone créant des situations absurdes, parfois comiques.
Terre rouge est plurielle, elle est un message amical adressé au frère lointain, une pensée pour le pays natal (« la terre qui porte mon histoire », « ma terre qui est rouge de sable », aujourd’hui perdue dit celui resté sur place), un regard vers le nouveau pays, vers le quotidien de l’exil (le tram, le bar, la bière, le froid, la toux, la maladie…). La pièce est aussi un cri de colère et une analyse critique des politiques nationales et internationales, des « machines du gouvernement », des motos chinoises, des coopérations européennes, des ONG, de la dégradation programmée de l’environnement.
Terre rouge se fait réquisitoire, cri, chant, récit, poème, parlant d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et de là-bas, de tradition et de modernité, évoquant souvenirs d’enfance et visions d’avenir. Les émotions se bousculent, s’enchevêtrent, se télescopent, les mots arrivent avec douceur, tendresse ou nostalgie, les mots frappent avec agacement, colère ou désespoir. « Errer dans sa solitude, errer dans les bars (…) j’erre en vous, assis autour du thé… », dit le frère exilé.
Seul sur le plateau, dans une mise en scène simple et efficace, Urbain Guiguemdé, convaincant, incarne avec justesse les deux personnages, rendant bien les émotions changeantes des deux frères et interpellant le public. Quand le spectacle commence, la salle est en pleine lumière, l’on est comme transporté au Burkina Faso, un homme passe, s’arrête devant nous, parle dans sa langue puis disparait… Plongée dans le noir… Surgit ensuite le frère, en blouson rouge d’hiver, il essaye de rétablir la connexion avec son frérot. Ce frangin qui, au fil du spectacle, va faire revivre l’enfance, la faim, les goyaves, la rivière, lui qui est resté au pays et qui aime tant « la pluie sur la terre rouge » et qui fustige ces machines qui ont tout détruit, déplorant les pleurs des enfants, « le silence déjà mort ».
Le comédien évolue dans un décor sobre. Sur le plateau s’imposent trois barils verts (et une chaise) qui servent de tables de bar mais deviendront aussi malles (avec statuettes) ou encore miroir (le frère exilé, sourire aux lèvres, se découvrant « garçon 5 étoiles ») et tambour (le comédien se fait alors musicien) dans une scène finale percutante où le personnage affirme : « Ce que je cherche c’est une terre rouge avec plus d’herbes… je cherche un baobab… je cherche la pluie… ».
De beaux tableaux, comme cette scène où le comédien fait jaillir des flocons de neige des poches de son blouson rouge, et d’intéressantes créations sonores traversent cette Terre rouge pleine d’humanité.