Dans la définition que l’Icom (Conseil international des musées) donne des musées, il est précisé que ces institutions « se consacrent à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel ». Le terme de recherche apparaît en premier alors que cette mission est peu visible du public. Pourtant, la recherche scientifique joue un rôle central dans la conservation, la programmation et la médiation. Le travail des chercheurs (même s’ils ne portent pas toujours ce titre) éclaire les techniques, les matériaux et les contextes historiques, enrichit la connaissance académique, favorise la compréhension, améliore l’expérience du public.
Au Musée national d’histoire naturelle la recherche fait partie intégrante des missions légales depuis le début des années 1980 : « Initier, réaliser et soutenir des travaux de recherche et des publications scientifiques ». 27 personnes travaillent pour le service « collections et recherche », soit presque un quart des effectifs. « Nos collections constituent la base de nos recherches et, parallèlement, elles sont enrichies par les activités de recherche », explique Patrick Michaely, le directeur. Il donne en exemple la collection de minéralogie, forte de 45 000 spécimens, qui permet d’étudier la géodiversité, dans la région ou ailleurs. Grâce aux analyses physico-chimiques (avec les universités de Nancy et de Liège) et au travail avec des microscopes électroniques, un nouveau minéral été découvert en 2019 et décrit pour la première fois, la luxembourgite. La réputation des chercheurs a permis des expéditions scientifiques, notamment au Brésil. « Un professeur de l’Université de Rio voulait publier quelque chose sur sa collection de minéraux, rassemblée au cours de sa vie. Il en a fait don au musée en échange du travail de recherche mené sur ses pièces », relate le directeur.
Les autres départements du centre de recherche, faune, flore ou paléontologie, (« la biodiversité du passé ») fonctionnent de manière similaire. Les prélèvements sur le terrain, souvent en collaboration avec l’Institut national de recherches archéologiques ou avec le service de géologie de l’État, permettent de rassembler le matériel qui sera étudié et décrit. Des publications scientifiques sont ensuite éditées pour valoriser ces recherches. La revue Ferrantia compte une centaine de numéros, à raison d’environ quatre par an, avec des thèmes aussi variés que la distribution des papillons du Luxembourg, la flore calcicole du massif vosgien, la collection de primates naturalisés du musée, les ammonites de la Minette ou encore l’atlas des insectes du Grand-Duché. « Une partie des exemplaires part dans ce qu'on appelle l'échange international et nous recevons aussi les études d'autres musées à l'étranger, des institutions de recherche, des jardins botaniques ou des conservatoires de plantes », précise Patrick Michaely. La valorisation du travail de recherche passe aussi par la vulgarisation vers le grand public. Divers spécimens sont présentés dans les vitrines ou nourrissent des expositions temporaires.
Ces collections et inventaires permettent aussi de produire des listes rouges d’espèces menacées : « Nous signalons que telle plante est de moins en moins observée, mais nous n’élaborons pas les mesures de protection ou les interdictions. » À cause du changement climatique, certaines nouvelles espèces apparaissent ou réapparaissent également : « On assiste à une homogénéisation des espèces dans les différentes régions. C’est ce que je l'appelle l'effet Grand-Rue, pas un bon signe pour la biodiversité », pointe le directeur. Le Naturmusée constitue donc des archives uniques en matière d'histoire naturelle qui en font un centre d'expertise reconnu en matière de biodiversité et de géodiversité. « La recherche ne reste pas dans sa tour d’ivoire, elle entend apporter des solutions pour lutter contre la crise environnementale », conclut-il.
En art contemporain aussi
Le travail de recherche mené au Mudam diffère complètement de celui du Naturmusée. Il n’existe pas de département dédié, « mais bien évidemment tous les curateurs mènent des recherches pour concevoir les expositions et rédiger les catalogues », explique Bettina Steinbrugge, la directrice. Elle cite en exemple l’exposition actuelle, consacrée au travail d’Eleonor Antin qui a nécessité quatre ans de recherche, du fait de la rareté et de la dispersion des archives. L’équipe en charge des collections poursuit également d’importants travaux pour élaborer un nouveau guide mettant en valeur une sélection d’œuvres du fonds du musée.
De manière plus large, le musée développe depuis plusieurs année une réflexion sur le rôle et la transformation des institutions muséales au 21e siècle. Cette recherche se traduit notamment par la participation au programme « Expanding Art Museums » (2023-2027), initié par la Leuphana University Lüneburg en collaboration avec sept musées en Europe et aux États-Unis. Le projet explore des enjeux tels que la durabilité, le numérique ou encore l’engagement social des musées, dans le but d’identifier les thèmes, pratiques et technologies de la transformation organisationnelle des institutions. « C’est d’autant plus important de participer à ce type de réflexion qu’il n’existe pas d’école supérieure d’art au Luxembourg », justifie la directrice. Elle souligne la participation de musées prestigieux comme le Met de New York, le Belvedere de Vienne ou le Barbican de Londres et vise, en plus du but de recherche, le rayonnement du Mudam au niveau international.
D’autres axes de recherche sont développés en fonction des centres d’intérêt du musée et de sa programmation. La réflexion sur la production, la circulation et la présentation de la performance au sein de l’institution se noue dans une autre collaboration européenne, « Perform Inform Transform: Participatory Performance in Art Museums » à laquelle participe le Bozar de Bruxelles, la Fundação de Serralves de Porto ou le Contemporary Art Centre de Vilnius.
La question des nouveaux médias est également un axe fort de la politique d’acquisition du Mudam pour sa collection. Depuis 2013, un partenariat avec Allen&Overy finance une mission de recherches curatoriales autour des questions relatives à l’histoire de la vidéo et des nouvelles technologies, les artistes émergents dans ces médias et la conservation de ces œuvres. Avec un ancrage plus local, le Mudam a initié un programme de mentorat soutenu par l’Œuvre nationale destiné à former une nouvelle génération de curateurs issus de la scène luxembourgeoise. Durant un an, Adèle Wester participe au développement des expositions, principalement autour de la création contemporaine au Grand-Duché.
Au sein du Musée national d’archéologie d’histoire et d’art, la recherche sur les artistes locaux est menée par le Lëtzebuerger Konschtarchiv. Sa mission est de documenter et répertorier la production en arts plastiques. L’équipe de quatre personnes dirigées par Jamie Amstrong travaille depuis 2021 sur des fonds provenant d’archives privées (fonds d’artistes ou d’autres acteurs du secteur), ainsi que sur des documents actuels tels que des articles de presse, des cartons d’invitations, des publications… Le travail de recherche scientifique est complété par le développement d’un dictionnaire des arts plastiques, Lëtzebuerger Konschtlexikon. Cet outil permet de mettre en relation les acteurs et actrices du secteur des arts visuels luxembourgeois (artistes, curateurs, critiques…) et des informations connexes sur les collectivités (musées, organisations…), les expositions, les distinctions et les œuvres.
La recherche se révèle le fil invisible mais essentiel qui relie les missions des musées : comprendre, préserver et transmettre. Au Naturmusée, elle ancre l’étude rigoureuse des collections dans la contribution à la connaissance de la biodiversité. Au Mudam, elle s’incarne dans un travail de réflexion curatoriale, où l’art contemporain devient un terrain de questionnement sur les transformations sociales, technologiques et culturelles. Ces approches confirment que la recherche muséale n’est pas confinée aux laboratoires : elle irrigue la création, la médiation et le rapport au public.