Entretien avec Izabella Teixeira, ancienne ministre de l’Environnement du Brésil, sur le climat, la déforestation et l’héritage de Bolsonaro

« Il faut que le Brésil se porte bien pour que le monde se porte bien »

d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2022

Izabella Teixeira est conseillère émérite du Centre brésilien des relations internationales. Elle a été ministre de l’environnement entre 2010-2016. En 2013, elle a remporté le prix mondial « Champions de la Terre » de l’Onu Environnement pour sa contribution à la réduction de la déforestation en Amazonie. Elle est titulaire d’une maîtrise en planification énergétique et d’un doctorat en planification environnementale.

d’Land : Pourquoi le Brésil joue-t-il un rôle stratégique dans la sécurité climatique ?

Izabella Teixeira : Il faut que le Brésil se porte bien pour que le monde se porte bien. Tout d’abord, le Brésil possède l’Amazonie, qui occupe environ soixante pour cent de son territoire. Sans l’Amazonie, il serait impossible de limiter le réchauffement à 1,5°C. Tous les rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) reconnaissent l’importance de cette forêt pour garantir la stabilité climatique de la planète. Ensuite, le Brésil est l’un des plus grands producteurs de denrées alimentaires au monde et est donc stratégique pour la sécurité nutritionnelle de la planète. Le troisième point est lié à la question de l’énergie. Le Brésil est un pays riche en ressources naturelles, l’un des plus grands réservoirs de biodiversité, avec les plus grandes réserves d’eau du monde et 8 000 kilomètres de côtes. Le Brésil dispose donc d’alternatives énergétiques à tous les niveaux et peut être un acteur majeur pour fournir des solutions à la crise climatique. En outre, le Brésil est un pays pacifique, en paix avec ses voisins depuis plus de 150 ans et qui fait partie du groupe restreint des quinze pays qui ont de bonnes relations avec tous les pays du monde. Cet atout politique et diplomatique accroît la capacité et la responsabilité du Brésil dans cette lutte mondiale.

En janvier 2023, Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula, reviendra au pouvoir. Vous avez été ministre de l’Environnement (2010-2016) dans le gouvernement de son Parti des travailleurs et faites aujourd’hui partie de l’équipe de transition de son futur gouvernement. Que pouvons-nous attendre de l’agenda climatique du prochain gouvernement Lula ?

Le président Lula a prononcé un discours lors de la COP 27 à l’invitation du président égyptien, Abdel Fatah al-Sissi, et des gouverneurs de la région amazonienne, ce qui indique très objectivement que la question du climat sera prioritaire dans son gouvernement. Il a même déclaré que ce domaine bénéficierait du plus haut niveau de représentation politique. Le premier point consiste à contenir et à mettre fin aux reculs des politiques climatiques, environnementales et de durabilité, en accordant la priorité à la lutte contre la déforestation en Amazonie. C’est un contrepoint à ce qui existe sous le gouvernement actuel, qui a perdu le contrôle. La déforestation en Amazonie est une question sur laquelle les présidents Lula et Dilma ont eu beaucoup de réussite. Pendant leurs mandats, le Brésil a réduit la déforestation en Amazonie d’environ 80 pour cent et a apporté une bonne contribution à l’atténuation du changement climatique dans le monde sans y être obligé. C’était avant l’Accord de Paris et c’est évidemment un signe fort qui montre la responsabilité et l’engagement du nouveau gouvernement à s’occuper de la protection de l’Amazonie. Généralement les gens ne s’intéressent à l’Amazonie qu’en raison de la déforestation, mais il n’y a pas que ça.

Quels problèmes, outre la déforestation, méritent également l’attention par rapport à l’Amazonie ?

L’Amazonie a faim. L’Amazonie est pauvre. L’Amazonie connaît des problèmes d’infrastructure numérique dans les domaines de la santé et de l’éducation. L’Amazonie est la région la plus violente du Brésil. La plus faible contribution au PIB brésilien provient de l’Amazonie, l’IDH (Indice de développement humain) le plus faible du pays provient de l’Amazonie. Ainsi, s’occuper de la sécurité climatique, c’est s’occuper d’une Amazonie qui compte aujourd’hui environ 26 millions d’habitants totalement exposés à la vulnérabilité. Lorsque nous parlons de faire face à la déforestation, il ne s’agit pas seulement de la discussion autour de déforestation, mais il s’agit du peuple amazonien qui vit là et qui est exposé à des niveaux de violence sans précédents au Brésil. Les municipalités présentant les taux de déforestation les plus élevés ont les taux d’homicide les plus élevés du pays. Il faut donc comprendre qu’il y a un grand déficit social au Brésil concernant l’Amazonie. L’Amazonie doit être considérée dans sa complexité et pas seulement pour sa déforestation. L’Amazonie est un continent au sein du Brésil, qui est lui-même un continent. Nous voulons vraiment intégrer l’Amazonie au Brésil et pas seulement en extraire des choses.

Une autre mesure annoncée par Lula dans son discours après les résultats des élections est la création du ministère des Peuples Originaires. Comment évaluez-vous cette stratégie et comment les peuples originaires contribuent-ils à la défense de la question climatique ?

On ne peut pas avancer sans les connaissances scientifiques et sans les connaissances des peuples traditionnels. Ce sont des sociétés structurées depuis des milliers d’années. Ce sont des civilisations qui ont toujours compris comment promouvoir le développement avec la préservation, avec la relation avec la nature, et ils ont une énorme maîtrise de la biodiversité, une maîtrise de la gestion de leurs territoires, une maîtrise de l’équilibre des ressources naturelles. Comment allez-vous éviter la déforestation, comment allez-vous protéger ces territoires pour éviter une nouvelle déforestation ? Les organes de contrôle seuls ne suffisent pas, il est nécessaire d’avoir ce partenariat/pacte avec les peuples autochtones. Ils seront les gardiens de leur territoire. Selon le président Lula, ces mouvements ont tous mûri et ont désormais la maturité politique nécessaire pour être représentés par un organe plus large, c’est-à-dire un ministère.

Un autre problème auquel se voit confronté la région amazonienne est l’exploitation minière illégale. Retirer les personnes qui travaillent dans ces domaines signifie aller à l’encontre de groupes puissants qui ont souvent un soutien dans le gouvernement local et le Parlement. Le parti de Bolsonaro a élu des gouverneurs dans sept des dix États brésiliens qui composent l’Amazonie. Comment faire face à cela ?

L’exploitation minière sur les terres indigènes est une chose. L’exploitation minière en dehors des terres indigènes en est une autre. Ce sont deux choses différentes. L’exploitation minière sur les terres indigènes est interdite par la Constitution brésilienne, c’est un crime. Cela ne peut pas être changé par la volonté d’un ou de douze politiciens. En ce qui concerne l’exploitation minière en dehors des terres indigènes, j’ai constaté que le secteur minier lui-même, qui a de bonnes relations avec les bancs du Congrès, souhaite moderniser ses procédures en fonction des questions climatiques et environnementales, car il sait très bien qu’il ne peut pas vendre ses produits sur le marché étranger s’il ne respecte pas la législation environnementale. La voie à suivre est donc le dialogue, afin d’élaborer des solutions permettant de concilier une exploitation minière contemporaine et compétitive avec des mesures de protection de l’environnement, tant pour la région de l’Amazonie que pour le reste du pays, le Brésil disposant de minéraux sur l’ensemble de son territoire.

Selon vous, quels ont été les impacts les plus inquiétants laissés par le gouvernement Bolsonaro sur les questions environnementales et quelles en seront les conséquences ?

Je pense que le gouvernement Bolsonaro a très bien réussi à démanteler les politiques environnementales et climatiques de ce pays et à compromettre, de manière très significative, la relation du Brésil avec ses partenaires internationaux. Des unités de conservation ont été vandalisées, des personnes incompétentes ont été placées à des postes d’autorité, en plus du démantèlement des organes de contrôle et de l’effondrement des relations avec les universités. Tout a été fragilisé. Pour construire le renouveau, il faudra comprendre clairement ce qui s’est passé et affronter un long processus pour regagner confiance et crédibilité. Lorsque nous négocierons avec d’autres pays, les gens se souviendront toujours de ce chapitre malheureux de notre histoire environnementale et climatique. Nous entendrons à la table des négociations : « Comment le Brésil peut-il garantir que la situation ne se répétera pas dans cinq ans ? »

Comment évaluez-vous les résultats de la COP 27 ?

Je pense que les résultats ont été plus timides que ce qui était attendu, à savoir une COP de mise en œuvre. Mettre en œuvre signifie mettre en pratique ce qui a déjà été engagé. Et ce n’est pas exactement ce que nous avons vu. Pour moi, le point le plus sensible de cette COP a été l’absence de progrès sur la restriction des combustibles fossiles qui faisait partie de l’héritage de Glasgow. Et cela est évidemment dû au grand lobby des pays producteurs de pétrole, notamment le monde arabe, qui a bloqué toute avancée favorisée par le contexte de la guerre en Ukraine. D’autre part, des décisions importantes ont été prises, comme l’idée de créer un bloc forestier entre les trois pays qui possèdent la plus grande quantité de forêts tropicales encore préservée au monde (Brésil, Congo et Indonésie). Cette « alliance Sud-Sud », est extrêmement importante pour les trois pays en développement et leur rôle dans la sécurité climatique de la planète. Mais en fin de compte, je pense que l’on se souviendra de cette COP pour le « Loss and Damage Fund », qui est la reconnaissance depuis trente ans du principe de responsabilités communes mais différenciées entre les pays développés et les pays en développement. L’histoire a déjà montré que nous n’avons pas été équitables dans le partage des technologies depuis la révolution industrielle, ce qui a contribué à accroître les inégalités. L’innovation technologique deviendra de plus en plus un allié du nouvel agenda du développement. Il est nécessaire de trouver des moyens permettant de partager cette innovation de manière plus équitable avec tous les pays afin de ne pas répéter le modèle du passé.

Mayara Schmidt Vieira
© 2024 d’Lëtzebuerger Land