Ce mardi, le Premier ministre luxembourgeois a eu droit à ses cinq minutes de gloire à Charm El-Cheikh. Dans son discours devant la COP27, directement suivi par ceux des premiers ministres irlandais, monégasque et andorran, Xavier Bettel s’est vanté de la gratuité des transports en commun, de la subvention des installations photovoltaïques et de la généreuse aide au développement. Il n’a pas parlé du seul véritable levier dont dispose le micro-État, à savoir « sa » place financière. La ministre des Finances garde un voile pudique sur la trajectoire climatique des centaines de milliards d’euros d’avoirs domiciliés au Luxembourg. Lancé en 2021, le « Paris Agreement Capital Transition Assessment » en aurait pu fournir une première estimation. Or, seulement 48 banques, assurances et fonds y ont participé ; et, contrairement à la Suisse et à l’Autriche, le gouvernement a refusé d’en publier les résultats, et ne serait-ce sous forme agrégée. À la rue de la Congrégation, on préfère ne pas savoir, pour se garantir une plausible deniability.
Pour se faire une idée de l’empreinte carbone de « eis Finanzplaz », il faut donc recourir aux analyses commanditées par Greenpeace : Les cent plus grands fonds luxembourgeois, estimait l’ONG en janvier 2021, investiraient en moyenne « selon un scénario de quatre degrés Celsius ». Ce jeudi, elle revient à la charge, en publiant les résultats d’un audit masqué (« mystery shopping »). Greenpeace a envoyé 19 testeurs anonymes auprès des six principales banques à guichet pour voir ce que celles-ci proposent au client lambda cherchant à investir dans la « finance durable ». Les résultats sont dégrisants. Les agents bancaires présenteraient des « déficits considérables » et « un manque de compétences ». « In contrast to current regulations, the advisors only actively enquired about the sustainability preferences of the mystery shoppers in one third of the conducted consultation interviews. » Sur les 27 rendez-vous, cinq n’auraient débouché sur aucune proposition d’investissement durable, tandis que quatre auraient « activement recommandé » des produits conventionnels, et ceci malgré la demande contraire des « clients mystère ».
Greenpeace a chargé le consultant hambourgeois Nextra d’analyser les onze produits « durables » proposés par les banques aux testeurs. Une analyse qui met surtout la Spuerkeess dans l’embarras. La banque d’État aurait ainsi proposé un fonds ordinaire (« Lux Portfolio Growth ») à un client qui avait pourtant demandé d’investir dans du durable. Son « Lux Bond Green » n’a pas non plus convaincu : Cette Sicav n’exclurait pas les énergies fossiles, ne renseignerait pas sur l’empreinte carbone et ne fournirait pas de reporting sur l’impact climatique. Si cette mauvaise note est particulièrement ennuyeuse pour un établissement public (censé remplir un rôle social), les cinq autres banques sont également critiquées. Aucun des produits proposés ne serait compatible avec l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5°C, note Nextra. Les épargnants se retrouvent largués.
Fin septembre, la CSSF et l’ABBL ont publié un sondage « grand public » sur la finance durable : « 47% des répondants avouent ne pas savoir ou savoir mal de quoi il s’agit ». Au moins la moitié des sondés ont été honnêtes. Les analystes de Morningstar estiment ainsi que 44 pour cent des fonds domiciliés au Luxembourg passeraient pour verts. Il s’agit en réalité d’un vert très délavé, tournant au brun, les managers pouvant se contenter d’ajouter une couche de reporting. (Seulement six pour cent des fonds peuvent être qualifiés de « verts foncés », c’est-à-dire qu’ils se donnent effectivement un but de durabilité.) Depuis 2021, les fonds d’investissement peuvent demander une réduction de la taxe d’abonnement s’ils respectent la taxonomie européenne. Puisque celle-ci reconnaît entretemps le gaz et le nucléaire comme durables, la majorité parlementaire avait voté une motion en juillet pour réviser cette faveur fiscale. À rue de la Congrégation, on a simplement oublié d’intégrer cette injonction dans la loi du Budget. En matière de finance verte, le Luxembourg ne fait plus figure de first mover, mais préfère s’en garder au strict minimum européen.