Les résidences artistiques ont le vent en poupe. Elles fleurissent dans tous les domaines, sont de durées variables, se déroulent aux quatre coins du pays dans des lieux connus ou insolites, émanant de telle maison ou tel collectif. À l’heure des quartiers d’été, nous avions envie de rencontrer autrices, plasticiens, comédiennes ou metteurs en scène pour recueillir leurs impressions… en résidence.
Première halte, le 17 juillet, à la Kulturfabrik, pour échanger avec l’autrice, comédienne et metteuse en scène issue de la Grande Région, Maud Galet Lalande. Avec Lou Dussaut, sa fille, elle y travaille jusqu’au 27 juillet en résidence d’écriture. Ce vendredi à 17h, elles y proposeront des extraits de Terre-Ville, leur texte qui parle de mères célibataires et de filles uniques.
Cofondatrice du collectif transfrontalier d’auteurs et d’autrices, Le Gueuloir, Maud Galet Lalande a notamment participé à Textes sans frontières au Théâtre du Centaure en 2015. Jeune comédienne, elle a aussi travaillé au Luxembourg sur des films et pour des publicités. La résidence de deux semaines à la Kulturfabrik s’inscrit dans le cadre du projet MAAD (Maison des auteurs et autrices dramatiques), une émanation du Gueuloir qui en est à sa première année d’existence. Cette année, les invités sont notamment Métie Navajo, Emmelyne Octavie ou Pierre Soletti. En tant que partenaire, la Kulturfabrik met à disposition les murs, travaille à l’organisation et participe financièrement. La MAAD est amenée à se développer, elle vient de signer un partenariat avec ETC Caraïbe, Écritures théâtrales contemporaines en Caraïbe – qui réunit des auteurs et autrices dramatiques de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Haïti.
Pour Maud Galet Lalande, « la résidence d’écriture est un temps déconnecté du quotidien où on n’est pas happé par les obligations ». Elle apprécie d’avoir l’esprit suffisamment libre pour se fixer sur le travail d’écriture qui demande énormément de concentration. Elle salue aussi l’encadrement : « À la Kulturfabrik, je suis vraiment accompagnée, l’équipe est à l’écoute ». Pour l’autrice, l’objectif d’une présentation au public en sortie de résidence est une contrainte qui l’inspire et l’encourage tout comme le fait de changer de décor et d’univers. « La résidence, c’est être avec soi, avoir du temps pour soi et un lieu pour soi. Un peu comme la chambre à soi dont parlait Virginia Woolf ».
Le projet Terre-Ville, sur lequel elle planche en résidence, est né en 2022 à la suite d’une commande d’un texte pour « Les Francophonies - Des écritures à la scène ». Ce projet, initié par Aurélie Van Den Daele, directrice du Théâtre de l’Union, CDN du Limousin, et Hassane Kassi Kouyaté, directeur des Francophonies consistait en une commande passée à dix autrices de dix territoires différents. « Il s’agissait de répondre à la question du désir de création au féminin à travers un texte d’une dizaine de minutes. Le spectacle qui en ressort est une sorte de manifeste en dix prises de paroles portées par quatre comédiennes », résume Maud Galet Lalande. Son texte la ramène à l’époque où elle habitait à Terville, dans la Vallée de la Fensch, à la frontière luxembourgeoise. « Je vivais là, seule avec ma mère, dans une zone pavillonnaire qui longeait l’autoroute. C’est à cette époque que mon imaginaire esthétique et d’écriture s’est développé. La seule figure héroïque de mon quotidien était ma mère, cela a été inspirant », rembobine-t-elle. À l’issue de la première de Terre-Ville au Théâtre de l’Union, beaucoup de spectatrices et spectateurs ont été touchés par ce texte qui parlait d’une mère célibataire, sujet rarement représenté au théâtre. Cela a suscité de nombreuses discussions et lui a donné envie de développer.
Le texte se nourrit de plusieurs résidences. La première étape s’est faite en avril à la Passerelle à Rixheim, centre culturel et social avec lequel Maud Galet Lalande travaille. Pendant une semaine, elle y a rencontré des mères isolées, de tous milieux. Elle les a interviewées en écho avec sa propre expérience de mère célibataire et de fille élevée par une mère seule : « Ces rencontres ont nourri ma réflexion. » Puis en mai-juin, une autre résidence a suivi à La Chartreuse à Villeneuve-lez-Avignon, où elle a travaillé avec le dramaturge Christian Giriat. Un extrait a été lu au Souffle d’Avignon avec Laure Roldàn dans le rôle de la mère, Lou Dussaut, sa fille, dans celui de l’enfant et Maud elle-même dans celui de la récitante. « Les échos ont été excellents. Aujourd’hui, on entre dans une deuxième résidence d’écriture, avec Lou qui écrit avec moi et qui jouera dans le spectacle. C’est important que Lou participe à l’écriture car il y a une part portée par le personnage de l’enfant que l’on entend à l’adolescence. Je voudrais qu’elle m’apporte cette parole-là, elle a 21 ans, elle en est plus proche que moi. »
Lou Dussaut en est donc à sa première résidence d’écriture. « J’en suis très contente mais il faut que je prenne confiance. Tout à l’heure, nous avons lu des morceaux de texte écrits chacune de notre côté pour les entendre dans la voix de l’autre, j’étais très stressée et intimidée alors qu’on se connaît très bien, c’était absurde. » Étudiante à l’ESACT à Liège pour devenir actrice, elle s’intéresse au travail de dramaturgie, mais vibre principalement lorsqu’elle est au plateau. Elle a d’ailleurs commencé à jouer au théâtre, pour la télé et le cinéma dès ses onze ans. « C’est la première fois qu’elle est impliquée dans l’une de mes productions. Ce texte est très inspiré de notre vie sans que cela soit clairement énoncé. Nous voulons ouvrir des fenêtres à travers une parole de théâtre-récit sur un duo mère-fille dans un quotidien qui évolue sur une vingtaine d’années. C’est la banalité de l’ordinaire ponctué de micro-événements, c’est assez doux-amer », ajoute Maud Galet Lalande.
Après d’autres résidences, la poursuite de l’écriture, puis, dans un an, les répétitions, la pièce, produite par la compagnie de Maud, Les Heures Paniques, sera créée début 2026 à l’Espace Koltès à Metz. « On espère un passage au Luxembourg car Terre-Ville est très ancrée dans la Grande Région, il y a ces voitures qui filent vers la frontière, pour la mère, c’est déjà une libération. »