Enfant de Ferrière, petit village au cœur de la région wallonne, Antoine Colla est devenu en une dizaine d’années un emblème du paysage théâtral luxembourgeois. Les mots sont forts certes, mais qui dans le milieu n’a jamais entendu parler de lui ? Lui, qui, il y a dix ans encore, n’envisageait pas forcément la place qu’il tient aujourd’hui au sein du Théâtre du Centaure. Devenu taulier, créateur lumière, et assistant des metteur.e.s en scène, il est finalement nommé au Theaterpräis 2023 pour son travail de création lumières au sein de ce petit théâtre voûté. Les voix du destin sont impénétrables, et où sera Antoine Colla dans dix ans de plus ? Lui-même n’en sait rien, tant il se sent satisfait pour l’heure, dans l’ombre certes, mais bougrement essentiel.
Fût une époque où Antoine Colla traînait plus sur les plateaux que dans les régies. Dans la lumière, il choisit l’ombre et son arrivée à Luxembourg n’y est pas pour rien. « Je suis arrivé au Luxembourg pour des raisons d’amour, j’étais en couple avec quelqu’un d’ici. J’étais alors en quatrième année à l’Université de Liège. J’ai fait plusieurs stages avec Myriam Muller et Marja-
Leena Junker entre 2010 et 2011, ça a été ma première rencontre avec l’équipe du Centaure ».
Avant d’arriver au Grand-Duché, Antoine Colla, de retour d’une année en Nouvelle-Zélande, s’inscrit au Conservatoire de Liège. Il joue déjà dans plusieurs compagnies professionnelles, et cherche à aller plus loin. « J’y ai fait une année. Ça a été très difficile, pour des tas de raisons. Je n’étais pas prêt. J’étais trop jeune, un enfant qui se lance dans le monde des grands et le Conservatoire de Liège spécifiquement ne te pardonne pas ce genre de choses. C’est une école qui a énormément de qualités mais il vaut mieux être accroché, avoir une grande maturité et les pieds bien sur terre pour adhérer à leur méthode de travail ». Il ne prend aucun plaisir à y être et s’inscrit finalement à l’Université de Liège en communication pour ensuite faire un master en Arts du Spectacle.
Son désir de « rompre » avec le jeu coïncide avec sa rencontre avec Myriam Muller. En un stage, avant la passation de direction entre Junker et Muller, le voilà conquis par les métiers hors de la scène. « Le boulot de comédien avait fini par me fatiguer. Il était question pour moi de raconter des histoires. Et puis, au fil du temps, tu passes de projet en projet sans réfléchir. Je me suis posé la question de comment parler du monde par le théâtre quand tu n’en fais pas partie. Car le métier de comédien est exceptionnel, dans le sens où il fait exception. Et puis, je me suis retrouvé père d’un petit Gaspard et j’ai dû faire des choix ».
Myriam Muller lui confie la gestion administrative et logistique du Théâtre du Centaure, et petit à petit il y découvre ce qui constituera sa passion et son métier à peine quelques années plus tard : « Je n’étais pas censé faire de technique au départ, mais ça m’a très vite fasciné ». Il a besoin de garder un pied dans la création à proprement parler, alors, il observe ceux qui passent là, apprend de leur expérience et de leur savoir-faire et il remplit son baluchon de compétences, s’instruit et s’aligne sur ses paires. « J’ai eu la chance d’être dans un lieu comme le Centaure qui permet un rapport très intime et très direct à tous les corps de métier qui font le théâtre ». Et puis, avec Myriam Muller en fée marraine, il connait son premier assistanat sur la création Blind Date créé au studio du Grand Théâtre, ouvrant ses chakras vers une autre facette de sa personnalité artistique.
Ainsi, le Centaure est rapidement devenu une nouvelle maison pour lui qui dorénavant officie sur la quasi-totalité des créations du théâtre encavé. Voilà une douzaine d’années ans qu’il fait la création lumière, avouant avoir hâte qu’un autre créateur lumière vienne se pencher sur les problématiques et joies du Centaure. « J’aimerais voir un œil de nouveau sur ce théâtre magnifique et ses difficultés ».
Et puis, en parallèle, Antoine Colla signe l’assistanat de nombreuses productions spectaculaires, et ce, principalement aux côtés de Myriam Muller. « Il y a autant d’assistanats que d’assistants », explique-t-il pour résumer avec modestie ce travail de l’ombre, « et surtout il y a autant d’assistants que de metteurs en scène », ajoute-t-il. Il a travaillé avec bon nombre des créateurs luxembourgeois, de Fábio Godinho à Anne Brionne, en passant évidemment par Myriam Muller, avec qui il entretient une relation de confiance sans borne. « On travaille ensemble depuis une dizaine d’années, on se connaît par cœur. Pour moi, à ses côtés, mon rôle en tant qu’assistant, c’est d’abord de faire en sorte que l’équipe avance d’un seul tenant, que tout le monde soit soudé dans la création d’un projet commun ».
Antoine Colla vit le rêve luxembourgeois, là où tout est possible, le petit pays offrant sa chance à quiconque, « ça fait partie d’un processus de vie que de se poser la question de ‘comment je suis arrivé jusqu’ici’ ». L’homme de l’ombre admet qu’il n’aurait pas eu la même vie professionnelle sans l’avoir menée au Luxembourg. « Quand je suis arrivé ici, je n’avais aucune formation en technique. J’ai eu la chance de tomber dans un lieu où j’ai pu découvrir tout ça et de façon saine, agréable et humaine ». Instantanément passionné, il en fait son métier et s’accroche fermement au théâtre du Centaure pour y trouver sa place au-dedans comme au dehors. « Le Luxembourg est un pays où le milieu théâtral est encore jeune, où la culture est encore jeune. C’est un pays qui se cherche encore à certains endroits et qui est en perpétuelle évolution. Ici, on a encore le droit de se tromper, de chercher, de recommencer, contrairement aux grandes capitales où une erreur coute cher ».
Et pourtant, ces dix dernières années, le monde du spectacle vivant luxembourgeois a grandement évolué qualitativement comme en termes de professionnalisation. C’est un paysage qui se transforme d’année en année, au gré des nouveaux acteurs culturels qui s’invitent sur ses scènes ou franchissent les frontières. Et Colla ne dira pas le contraire tant il voyage avec les créations de Myriam Muller. Et même si les tournées sont encore courtes, elles existent et font vivre le théâtre luxembourgeois hors du territoire. « Je suis conscient de la chance de faire ce métier comme je le fais et d’avoir un planning rempli pour trois années à l’avance. C’est une chance et une sécurité énorme. Néanmoins, il y a toujours des questions à se poser et, notamment, comment faire rayonner le spectacle vivant luxembourgeois au-delà des tournées à court terme ».
En effet, les ponts qui ont été créés entre les frontières ne sont pas encore assez solides. Colla sait qu’il y a de nombreux facteurs, dont le jeu « de l’influence, de l’argent et de la politique » : « Cela me concerne moins. Heureusement que d’autres l’explorent et tentent de répondre à ces questions complexes ».