En ces temps moroses, il est toujours bon de pouvoir se ressourcer avec de la comédie italienne, à l’époque où celle-ci tenait encore fièrement le haut de l’affiche. Comme son compatriote et ami Fellini, Ettore Scola (1931-2016) s’est tout d’abord illustré comme caricaturiste pour le fameux hebdomadaire satirique Marc’Aurelio, avant de passer à la radio et d’y rencontrer Ruggero Maccari, avec lequel il écrira plusieurs scénarios importants tels que Le Fanfaron (1962) de Dino Risi. Retiré du cinéma depuis le début des années 2000, Scola évoquera sa longue amitié avec Fellini dans un ultime film, Qu’’i est étrange de s’appeler Federico, dévoilé en 2013 lors de la Mostra de Venise. À voir cette semaine, le beau retour au spectacle que signe Scola avec un film singulier aussi bien que désenchanté, Le Bal (1983).
Scénariste dès la fin des années 40 avant de réaliser son premier long-métrage en 1964 (Parlons femmes), Ettore Scola est principalement connu en France pour ses comédies féroces qui n’épargnent ni pauvres, ni riches, telles que Drame de la jalousie (1970) ou Affreux, sales et Méchants (1976). Puis, avec Nous nous sommes tant aimés (1974) et Une journée particulière (1977), le comique fait peu à peu place à une réflexion mélancolique, résumée en cet amer et fameux constat entendu dans le premier : « Nous voulions changer le monde et c’est le monde qui nous a changés... ». On prend la pleine mesure de ce désenchantement la décennie suivante avec La Terrasse (1980), qui véhicule une critique acerbe de ce que sont devenus les intellectuels de gauche sous le tank du néolibéralisme... Ettore Scola se tourne ensuite vers la France, tant pour la production que pour le choix de ses sujets. Parmi ces longs-métrages figure, aux côtés de La Nuit de Varennes (1982), Le Bal, d’après un spectacle du Théâtre du Campagnol, où il raconte, en chanson et en danse principalement, une brève histoire de France, depuis le Front Populaire à l’après Mai 68. Un dispositif singulier, et conceptuel : unité de lieu, mais hétérogénéité de temps retracée cependant à travers la reprise d’une même équipe d’interprètes et de danseurs. Aucune parole n’est échangée entre les personnages : ce sont les corps, la musique, les costumes et les différentes références culturelles qui renseignent le spectateur sur la progression du récit. Lorsqu’il s’agit d’aborder le Front Populaire par exemple, une allusion est faite à Jean Gabin, héros de la classe ouvrière dans les années 30 chez Duvivier (La Belle équipe, 1936), Renoir (La Bête humaine, 1938) ou Carné (Le jour se lève, 1939). Ailleurs, c’est le musical à l’américaine – via les danses et costumes empruntés à Fred Astaire et Ginger Rogers – qui sert de jalon au spectateur pour se situer dans la chronologie, au lendemain de la Libération.
Coproduction italo-franco-algérienne, Le Bal tient autant du film historique (on n’omet pas les ratonnades racistes commises en France en pleine Guerre d’Algérie) que de la comédie musicale. C’est un film « juke-box », pourrait-on dire, où un lieu unique, celui qui donne au film son titre, consigne la mémoire de plusieurs générations d’hommes et de femmes. Et où une musique, une chanson, un air, deviennent respectivement le marqueur sensible d’une époque et d’une génération. Le récit suit un parcours chromatique qui va de la chaleur du rouge (communiste) à la froide objectivité du bleu capitaliste... Difficile de ne pas voir dans ce glissement de couleur la fin d’une grande époque, celle au cours de laquelle le cinéma italien, populaire en même temps qu’exigeant au plan artistique, rayonnait dans le monde entier. Les adieux ne sont donc pas loin avec ce Bal désenchanté, réalisé trois années seulement avant cet autre opus conscient de ce lent crépuscule, le Ginger et Fred (1986) de Fellini…