Habitué depuis longtemps à régner sur le box office, le cinéaste Félix Farmer (Richard Mulligan) sombre dans la démence suite au flop de son dernier film, le malheureux et kitsch Night Wind. Sa femme, l’actrice Sally Miles (Julie Andrews) qui y tient le premier rôle, s’empresse à son tour de le quitter. Enfin, un malheur n’arrivant jamais seul à Hollywood, ses producteurs recherchent activement Félix pour mettre la main sur son navet et en stopper nette la distribution... Alors, après tant de déboires, pourquoi ne pas en finir pour de bon avec la vie ? Ce que tente Félix à deux reprises, mais en vain : un gag le sauve à chaque fois du suicide. Jusqu’au jour où il décide de transformer son film pour en faire le plus grand porno de l’histoire du cinéma ! En parallèle à ce coup de déprime et de folie, un inconnu fait un malaise cardiaque au cours de son jogging, non loin de la maison de Félix qui surplombe l’océan. Sur le sable chaud de Los Angeles, l’homme aux abois rampe tant bien que mal, en recherche d’un secours éventuel. Mais rien : nul ne l’aperçoit sur la plage en train d’agoniser. L’homme finit par mourir misérablement, accompagné seulement de son chien fidèle qui ne quitte pas les lieux. Une véritable leçon d’humanité donnée par ce toutou en direction des personnages inhumains que l’on rencontre dans le film (à quelques exceptions près). En une poignée de secondes, l’anonyme (l’invisible) et le célèbre (le déjà-vu), le grave et le dérisoire voisinent, sans jamais se rencontrer cependant. On passe ici continuellement d’un registre à l’autre, dans une instabilité permanente qui est à l’image du foisonnement et de la fugacité de la vie.
Ainsi débute S.O.B. (1981), la comédie grinçante de Blake Edwards, qui offre une peinture au vitriol des mœurs de la profession en plein cœur de la Mecque du cinéma. Avec sa distribution de vieilles stars aux têtes chirurgicalement refaites (Marisa Berenson) ou trop abîmées par la débauche et le soleil californien – William Holden, Robert Preston, Robert Vaughn, ou encore Larry Hagman (oui, oui, le fameux J.R. de la série Dallas) –, le cinéaste convertit le rêve américain en un enfer de viandes avariées n’ayant d’égard que pour les potins, les recettes du box-office, leurs sacro-saintes carrières. Rarement un film n’aura tendu un miroir aussi déformant à la profession tout en recourant à ses propres éléments, les acteurs, qui, quoique malmenés tout au long du récit, montrent à travers lui une certaine dérision vis-à-vis d’eux mêmes et de ce qu’ils sont devenus. Telle est aussi la grande sagesse et maturité d’Hollywood.
S.O.B (pour Son of a Bitch ou Standard Operational Bullshit ou Sexually Oriented Business ?) répond aussi au fantasme de tout cinéaste de pouvoir réécrire un film déjà finalisé... Jean-Pierre Melville en avait rêvé ; Coppola s’y est laissé tenter (les différentes versions Director’s cut d’Apocalypse Now aux ultimes corrections apportées à la trilogie des Godfather). Blake Edwards, lui, produit cette seconde version au sein du même film, transformant une première épreuve aseptisée en un fantasque et hilarant porno digne de Fassbinder ou de Kenneth Anger. Avec, en guise de cerise sur le gâteau, les seins nus de la si chaste Julie Andrews !