Capitalisme d’État
Dans son avis sur le budget 2022 (lire ci-dessous), la Banque centrale du Luxembourg (BCL) se penche sur les participations que détient l’État dans des sociétés privées (BGL et BNP Paribas, Arcelor-Mittal, Cargolux, etc.) et appelle à une « réflexion générale, aussi bien économique qu’institutionnelle » quant à leur gestion. De manière quelque peu cryptique, la BCL note qu’une telle « réflexion » devrait s’opérer « avec le souci de l’intérêt général à moyen et long terme, en prenant en compte l’intérêt des sociétés concernées et non pas des intérêts particuliers ». Et de rappeler qu’il convient « d’éviter toute éventualité de conflits d’intérêt ». Une courte digression qui ne manque pas de piquant, notamment parce que, du temps où il était administrateur général aux Finances, l’actuel gouverneur de la BCL, Gaston Reinesch, avait cumulé un nombre impressionnant de postes d’administrateur (Cargolux, SES Global, Spuerkeess, BIL, Enovos, CSSF) et de président (Poste, SNCI, BGL-BNP Paribas). L’avis de la BCL critique en outre que le prix de vente des participations étatiques dans Paul Wurth SA n’ait jamais été rendu public : « Le principe de transparence aurait dû s’appliquer d’autant plus que cette société privée a bénéficié d’un support financier public lors de la crise économique et financière de 2008-2009 ». En 2021, au moment de la cession des actions dans cette entreprise emblématique, détentrice de douze hectares de friches industrielles en plein cœur de Hollerich (photo : sb), les services du ministre de l’Économie, Franz Fayot (LSAP), avaient opposé un « no comment » aux questions du Land. bt
X-Ray
Les avis de la Banque centrale du Luxembourg sur le budget de l’État constituent une source riche de renseignements. Publié cette semaine, le millésime 2022 (239 pages) ne déroge pas à la règle. La BCL y revient sur les trois paquets de crise, qui ont été ficelés ces douze derniers mois. Les price-tags de ces mesures sont annoncés à 65 millions pour l’« Energiedësch » (de février), 847 millions pour le premier « accord » tripartite (d’avril) et 1 163 millions pour le second (septembre). La BCL s’interroge sur « la pertinence » de ces estimations. Le coût budgétaire du dernier « Solidaritéitspak » serait ainsi « encore incertain au vu des évolutions futures hautement incertaines relatives aux prix du gaz et de l’électricité ainsi que de l’évolution de l’inflation en 2023 ». Le coût d’une hypothétique troisième tranche indiciaire en 2023 pourrait, quant à elle, « s’avérer très élevé pour les administrations publiques ».
La BCL ne semble pas être un grand fan du bouclier tarifiaire pour l’énergie : « Si l’État désactive les mécanismes de marché, il s’expose alors à des risques d’aléa moral et à devoir assumer un coût de la dépense qui sera potentiellement très élevé ». (Dans une note de bas de page, les technocrates précisent leur crainte par un court exposé sur la théorie des jeux : « Si l’État compense quoi qu’il arrive les fournisseurs [de gaz et d’électricité] indépendamment de leurs prix affichés, ces derniers n’ont dès lors plus les mêmes incitations à rechercher le prix le plus bas ».) Le gouvernement devrait assurer un maximum de transparence vis-à-vis de la Chambre qui serait à informer sur base régulière « tant sur les dépenses effectives que les ‘détails nécessaires’ sous-jacents à leur calcul ».
Dans son introduction, la BCL rappelle que le taux de croissance moyen n’a jamais renoué avec la période dorée des années 2000 à 2007. Sa prévision pour 2023 reste « prudemment » optimiste : On pourrait s’attendre à « une année de croissance modérée », même si les risques à la baisse seraient « considérables ». La BCL a tiré une conclusion, voire une maxime, des récents chocs sanitaires et géopolitiques : « Il doit être toujours assuré de pouvoir contrer les effets négatifs [de crises] au travers d’une politique budgétaire adéquate, et ce avec toute la vigueur alors nécessaire. Ceci ne pourra être réalisé que si les finances publiques sont et restent saines. »
Impôt par impôt, la BCL se livre ensuite à une analyse très fine des recettes. Elle relève la belle progression de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (7,2 pour cent par an entre 2010 et 2020), notamment grâce à ce qu’on appelle communément « la progression à froid » et que la BCL désigne de « croissance plus que proportionnelle des recettes », résultant « d’une part de la progressivité du barème fiscal et d’autre part du fait que ce dernier n’est pas (automatiquement) adapté à l’inflation ».
Quant à l’impôt sur le revenu des sociétés (IRS), il est de plus en plus tributaire des Sociétés de participations financières (Soparfi) qui paient désormais un bon quart des 3,3 milliards de recettes générés. Pour 2023 et 2024, le projet budgétaire révise légèrement à la baisse ses prévisions pour les recettes de l’IRS. Une trajectoire déclinante que la BCL interprète comme résultant « des adaptations de la fiscalité internationale et l’appréciation que le gouvernement fait de ces incidences sur les profits imposables des entreprises ». Surtout les activités des Soparfis « devraient être impactées » par la panoplie de mesures concoctées par l’OCDE et l’UE, qui visent à d’avantage imposer les entreprises, en particulier numériques, dans les juridictions « où elles ont des relations étroites avec le consommateur » (lisez : pas au Luxembourg).
Assiste-t-on à une extinction massive des sociétés boîtes-aux-lettres ? Dans un working paper publié fin novembre, les économistes Gabriel Zucman et Ludvig Wier estiment que les transferts de bénéfices vers le Luxembourg seraient passés de 46,8 à 64,4 milliards de dollars entre 2015 et 2019. Les analystes de la BCL écrivent, quant à eux, que « certaines Soparfi » auraient plié bagage depuis 2017, délocalisant leurs « activités » ailleurs. Paradoxalement, ceci aurait pu générer une hausse, temporaire et trompeuse, des recettes, résultant de la clôture des dossiers par l’administration fiscale. Si cet exode se poursuivait, il provoquerait des « conséquences négatives [qui] ne pourraient que prendre plus d’ampleur ».
Les analyses les plus fouillées de l’avis de la BCL concernent la taxe carbone introduite en 2021. Notant que le différentiel de prix sur le diesel professionnel est devenu « légèrement favorable » à la Belgique (depuis 2020) et à la France (depuis 2021), la Banque centrale estime que son coût budgétaire « devrait s’élever approximativement à 110 millions d’euros en 2022 ». Mais si le Luxembourg veut réduire ses émissions de CO2, il n’aura d’autre choix que de s’attaquer au tourisme à la pompe. Bizarrement, les projections de l’Administration des douanes et accises pour les années 2022 à 2026 ne prévoient pas de rehaussement de la taxe carbone. C’est dans des termes très durs que l’avis de la BCL critique cette « incohérence flagrante entre, d’une part, les objectifs très ambitieux annoncés par le gouvernement et, d’autre part, les moyens qu’il déploie effectivement pour les atteindre ». Afin d’assurer plus de « prévisibilité », le gouvernement devrait illico présenter une trajectoire pour la taxe carbone, qui permettrait d’atteindre ses engagements climatiques. Alors que le tourisme à la pompe semble avoir ses meilleurs jours derrière lui, les recettes sur la vente de cigarettes et de tabac progressent de douze pour cent et devraient « largement » dépasser les 800 millions d’euros en 2022. Pour l’année prochaine, le projet du budget table sur une nouvelle très forte hausse de cette contrebande étatique. bt
Abschwung
Im letzten Konjunkturbericht für dieses Jahr geht das Statec von nur noch 1,7 Prozent Wirtschaftswachstum in diesem Jahr aus und 2023 von 1,5 Prozent. Gegenüber den Prognosen vom September entspricht das einer Verschlechterung um 0,8 Prozentpunkte für dieses Jahr und um 0,5 Prozentpunkte für nächstes Jahr. Dennoch werde Luxemburg besser dastehen als die Eurozone insgesamt, in der im laufenden Quartal und im nächsten mit einem Rückgang der Wirtschaftsleistung gerechnet wird. Bleibt es dabei, ist das nur eine „technische“ Rezession. Vergleichsweise günstig schätzt das Statec auch die Inflationsentwicklung hierzulande ein: Für dieses Jahr werde sie sich auf rund 6,4 Prozent belaufen, 2023 auf 3,4 Prozent. Dafür würden die von der Tripartite beschlossenen Preisbremsen für die Haushalte bei Strom und Gas sorgen sowie der von 17 auf 16 Prozent gesenkte Mehrwertsteuersatz. Die Inflationsentwicklung ist aber stark genug, dass im ersten Quartal 2023 eine weitere Indextranche fällig wird. Es wäre jene, die die Regierung bei der Tripartite „auszugleichen“ in Aussicht gestellt hat. Wie genau, ist noch unklar. Dabei werden sich wegen des kleineren BIP auch die öffentlichen Finanzen voraussichtlich ungünstiger entwickeln: Ging das Finanzministerium bei der Aufstellung des Haushalts für nächstes Jahr aufgrund der ihm damals vorliegenden Statec-Zahlen noch von einem Defizit von 2,2 BIP-Prozent über die drei Bereiche Zentralstaat, Gemeinden und Sozialversicherung aus, haben die Statistiker es nun auf 2,8 BIP-Prozent korrigiert. Aktualisiert werden muss der Haushaltsentwurf deshalb nicht; das geschieht in jedem Frühjahr im Rahmen des Europäischen Semesters. Für die Haushaltsdebatten nächste Woche in der Abgeordnetenkammer dürfte es aber Gesprächsstoff liefern. pf
Matchpoint
Les Éditions Schortgen viennent de sortir non pas une mais deux biographies sur le tennisman luxembourgeois Gilles Muller. La première est signée David Thinnes (Das Spiel des Lebens), la seconde est de la plume de Christophe Nadin (Gloire et douleurs). Il s’agit de deux livres similaires, mais distincts ; same, same but different. Les deux journalistes sportifs se basent sur le même matériel (une quinzaine d’interviews menées en commun avec Muller), suivent la même structure narrative et utilisent les mêmes illustrations. Il s’agit donc d’un livre préparé à deux, mais écrit séparément, une fois en allemand et une fois en français. (La critique que voici se base sur la VF de Christophe Nadin.)
L’ouvrage (relu et autorisé par Muller) ne suit pas l’ordre chronologique des événements, mais se veut « volontairement déstructuré ». D’un chapitre à l’autre, on saute dans le temps et dans les thématiques. Le récit commence par la fin, en 2018 dans le Queens new-yorkais. Gilles Muller (né en 1983) y joue son dernier match aux US-Open de tennis. Il est blessé et frustré : « Je passais des heures à faire de la kiné, à bouffer des anti-inflammatoires, à avoir mal au bide. Puis cette balle qui ne claquait plus au service. Je n’en pouvais plus. » Quelques pages plus loin, son épouse est citée : « La situation devenait compliquée pour la famille. Les enfants allaient jusqu’à souhaiter qu’il perde pour qu’il rentre plus vite. » Une entrée peu glamour pour la biographie du « meilleur joueur de tennis de l’histoire du Grand-Duché ».
L’intérêt du livre est justement qu’il nous plonge dans la vie d’un de ces prolétaires du tennis, évoluant à l’ombre de stars mondiales comme Nadal ou Federer. Muller décrit un quotidien harassant. « Une année représente au bas mot trente semaines passées à l’étranger, ce qui signifie des centaines d’heures d’avion, des décalages horaires à digérer », contextualise Nadin. Il évoque « une jungle » que doit traverser Muller afin de « chasser les points » qui lui permettront de monter dans le classement. Par moments, les déplacements en avion de Muller défient toute « logique géographique » (et climatique), écrit Nadin. En 2002, le jeune professionnel joue ainsi une série de tournois qui débutent au Vietnam, se poursuivent au Japon et en Nouvelle-Zélande, puis finissent sur la côte Ouest états-unienne, avant que Muller ne retourne, via Francfort, au Luxembourg. « J’ai vu des garçons perdre un quart de finale un jeudi à Sofia et disputer les qualifications à Memphis le samedi », dit-il.
Christophe Nadin évoque aussi les questions d’argent, mais assez pudiquement, sans trop appuyer. En parlant de la quinzaine de coachs qui, successivement, l’ont suivi durant sa carrière, Muller s’énerve : « Dès que les résultats suivent, l’entraîneur demande plus d’argent. Souvent, cette démarche m’a blessé et je voyais à travers elle une tentative de cocufiage. » La Fédération luxembourgeoise de tennis (FLT) n’ayant pas de véritable force financière, Muller se trouvait désavantagé par rapport à ses concurrents français ou allemands soutenus par des puissants sponsors privés et publics. Alors que les joueurs sont souvent accompagnés d’une équipe (coach, kiné et préparateur physique), un tel entourage serait revenu trop cher à Muller : « Cela te coûte 200 000 euros par an, et je ne parle pas des frais de voyage. […] Je ne pouvais pas me payer les services de ces techniciens. En mars, j’avais déjà mangé tout mon budget… »
La biographie cite des anciens collègues et entraîneurs qui regrettent que Muller ait été trop gentil : « Gilles devait devenir un tueur » ; « ne sois pas pote avec tout le monde, tu dois être un guerrier ». Le livre aligne des dizaines de récits de matchs, tels que Muller les a vécus (ou plutôt tels qu’il se rappelle les avoir vécus). À la longue, ce procédé finit par lasser, mais on en tire quelques aperçus sur la psychologie du jeu et du joueur. Dans ce qui est probablement le plus beau passage du livre, Christophe Nadin relate le duel très tendu entre Nadal et Muller en 2017 à Wimbledon : « Le duel s’enfonce tout doucement dans l’obscurité londonienne. Et là, une étrange pensée traverse l’esprit de Gilles Muller : ‘Je me suis demandé où j’aillais manger ce soir, car les restaurants ferment tôt’ ». Sa victoire contre le Majorquais restera comme une des principales heures de gloire dans la carrière du tennisman luxembourgeois. (L’entrée en quart de finale le fera accéder au club des « last 8 », une distinction qui lui assurera un ticket gratuit pour Wimbledon jusqu’à la fin de sa vie.)
Muller atteint le Top 50 fin 2014, puis le Top 30 début 2017. Au Luxembourg, ces succès vont faire de lui une petite star, un statut amenant son lot de Beschass. On a ainsi pu dire du jeune Muller (tout comme d’Andy Schleck) qu’il faisait trop la fête, qu’il n’avait pas la discipline nécessaire. Le concerné avait du mal à s’adapter à cette pression du public, mais il relativise aujourd’hui : « Oui, j’aurais dû m’abstenir à certains moments [de faire la fête]. Cela m’a poursuivi longtemps. Quand on devient une personne publique, les gens ont tendance à exagérer et te vouloir du mal ». Jeune retraité du circuit professionnel, Muller commente aujourd’hui des matchs sur Tennis TV, la plate-forme en ligne de l’ATP, travaille comme consultant et endossera bientôt le rôle de capitaine de la Coupe Davis. Pour le reste, il joue beaucoup au golf : « J’y consacre un à deux jours par semaine lorsque la météo le permet ».
L’objectif du livre n’a pas été de faire la sociologie du tennis luxembourgeois. Sur les 152 pages, on trouve pourtant l’un ou l’autre indice. Christophe Nadin écrit ainsi que « rien ne prédestinait » Muller à devenir un tennisman. Issu de la classe moyenne inférieure (son père était facteur et sa mère employée des postes), il grandit à Schifflange où ses parents venaient de construire une maison. Dans la plupart des biographies de sportifs, les parents prennent une place proéminente. Chez Nadin, ils restent à l’état d’esquisses. À l’un ou l’autre endroit du livre, la mère du tennisman aborde les moments difficiles : « J’étais chagrinée lorsque Gilles partait sur un tournoi avec son père. Il l’engueulait quand ça ne marchait pas et buvait au point de parfois oublier de ramener Gilles ». Pourtant, la relation entre Gilles Muller et son père n’est pas approfondie dans le livre.
Alors que le tennis luxembourgeois a historiquement été très proche des milieux libéraux (le député DP Claude Lamberty préside aujourd’hui la FLT), la politique est entièrement absente de la biographie de Muller. (La seule déclaration vaguement politique du joueur est qu’il n’a « jamais accroché à la Chine pour des raisons, notamment, idéologiques ».) Une sociohistoire du tennis luxembourgeois reste donc à écrire. Peut-être qu’une future biographie de Mandy Minella en livrera l’occasion. bt