Moutarde après dessert (fiscal)
La Cour de justice de l’Union européenne rendra mardi un arrêt emblématique qui semble pourtant dater d’une autre époque. Il s’agit de l’affaire Fiat Chrysler Finance Europe (anciennement Fiat Finance and Trade ou FFT). Cette société de droit luxembourgeois, filiale du groupe automobile turinois, conteste la décision de la Commission européenne de 2015 selon laquelle l’accord fiscale passé en 2012 entre FFT et l’Administration des contributions directes constitue une aide d’État. La firme italienne, qui doit restituer 23 millions d’euros au fisc, et le Luxembourg, partie à la procédure pour soutenir la décision de son administration, avaient été déboutés par la justice européenne en 2019. Les juges européens avaient estimé dans ce premier jugement que la méthodologie entérinée par le conseiller fiscal (KPMG), dans sa décision anticipative validée par les services de Marius Kohl, avait excessivement minimisé la rémunération de Fiat Finance and Trade sur base de laquelle l’impôt était déterminé (d’Land, 27.09.2019). Le Luxembourg n’a pas fait appel du premier jugement, à l’inverse de Fiat Chrysler et… de l’Irlande, adepte des rulings, qui a érigé l’affaire en une question de principe. Le gouvernement luxembourgeois et plus précisément son ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), a jeté l’éponge. Le libéral avait dans un premier temps défendu le principe de sécurité juridique. Un accord tamponné par l’État mériterait d’être soutenu au nom de la sécurité juridique. Mais, depuis Luxleaks en novembre 2014, Pierre Gramegna (photo : Patrick Galbats, 2013) s’est aussi fait le chantre de la transparence et prôné la fin du Luxembourg boîte aux lettres selon le credo du level playing field (si toutes les juridictions se plient aux mêmes normes). « Toute une série de règles développées au niveau communautaire (et OCDE) essentiellement et transposées au Luxembourg visent à éliminer toute planification fiscale agressive, qui n’est tout simplement plus au goût du jour », explique le fiscaliste Jean Schaffner (Allen&Overy) au Land. Le ministère des Finances communique : « La réglementation en matière de règles de prix de transfert applicable aux sociétés de financement, telle que celle en cause dans l’affaire Fiat, a changé, de sorte que l’option du recours avait perdu en pertinence. » Le Luxembourg a abandonné ce combat d’arrière-garde, mais reste ici le passager clandestin de l’Irlande. pso
Le fonds explose. Une plainte est déposée
« Les déboires d’Exane AM prennent un tour judiciaire », titre l’Agefi le 17 octobre. « En mars 2020, en seulement cinq jours, un investisseur a perdu onze millions d’euros dans le fonds luxembourgeois Exane Intégrale », écrivent le même jour Les Échos. En évoquant la plainte déposée le 10 août par un entrepreneur français contre la société de gestion parisienne d’un OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières) de droit luxembourgeois qui a explosé au cœur de la crise financière du Covid-19, le média des professionnels de la finance et le quotidien économique français éclairent d’une lumière peu flatteuse l’industrie luxembourgeoise des fonds. « Ces pertes sont manifestement imputables au dévoiement du mandat de gestion à risque modéré prévu aux différents prospectus, couplé à la publication de fausses valeurs liquidatives », lit-on dans la plainte préparée par le cabinet Temime et déposée au tribunal à Paris. Selon les rapports annuels 2020 et 2021, la « volatilité exceptionnelle » sur les marchés financiers a fortement impacté le compartiment Integrale d’Exane Funds 1, « investi notamment dans des produits dérivés de volatilité négociés de gré à gré ». Leurs valorisations « telles qu’établies par les contreparties » se sont vues « décaler largement des contre-valorisations » effectuées par la société de gestion Exane Asset management entraînant une grave dégradation de la trésorerie du compartiment. Le conseil d’administration a, de ce fait, « pour protéger l’intérêt des porteurs », mis le compartiment en liquidation à la fin mars 2020. Le 31 décembre 2019, les actifs détenus dans ce fonds étaient valorisés à 190 millions d’euros. La valeur nette d’inventaire (VNI) par action se situait autour de 10 000 euros. Un an plus tard, les actifs de ce compartiment étaient valorisés 1,5 million d’euros, la VNI par action autour de cent euros. « Nous estimons que le fonds est équilibré et bien armé pour faire face aux environnements de marché à venir, qui - au gré de l’actualité géopolitique, macroéconomique et micro-économique - pourraient s’avérer fort différents », lit-on dans le rapport d’audit 2019, publié en mai 2020.
Dans son rapport d’audit 2020, PwC Luxembourg émet des réserves: « La plupart des comptes de l’état des actifs nets du compartiment ne peuvent pas être validés de par des situations de pré-contentieux et par faute d’éléments probants. » La banque dépositaire et agent teneur de registre est BNP Paribas Securities Services, donc le même groupe qu’Exane.
Les OPCVM sont des fonds régulés qui requièrent un minimum de diversification du risque pour permettre à tout type d’investisseur d’y accéder. Ils sont le fonds de commerce de la place financière. Dans la plainte déposée au nom de l’investisseur malmené, le cabinet Temime relève que le prospectus limitait à dix pour cent des actifs le risque porté par une transaction sur des instruments financiers dérivés de gré à gré. Les gérants du compartiment nommés en 2018 auraient dérogé à la stratégie d’investissement, surexposant les investisseurs de ce fonds supervisé par la CSSF (Commission de surveillance du secteur financier) aux risques liés à ces instruments financiers complexes. « Il va de soi que le fonds aurait dû perdre sa qualification Ucits (OPCVM en anglais, ndlr) », écrivent les auteurs de la plainte, Gwennhaëlle Barral et Léon Del Forno. Les avocats comparent l’événement à l’implosion du fonds Allianz Global Investors. Devant les autorités américaines, ses responsables avaient avoué avoir maquillé les pertes potentielles en cas de krach boursier. Lorsque celui-ci s’est produit en mars 2020, plusieurs milliards de dollars se sont évaporés. Allianz a fait amende honorable et accepté de verser cinq milliards de dollars de dédommagement aux victimes de la fraude. Le groupe allemand est aussi condamné à 850 millions d’amende. Dans le dossier Exane Integrale, le groupe de l’investisseur (une société de droit luxembourgeois), affecté par la perte financière, porte plainte pour abus de confiance, faux et usage de faux, transmission d’informations trompeuses et altération volontaire de données contenues dans un système de traitement automatisé. pso
De l’eau dans le gaz
Tolérance zéro de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF, photo : sb) qui a, lundi, sanctionné le bras financier de Gazprom à Luxembourg, Gaz Capital, pour ne pas avoir publié à temps son rapport annuel. Selon la « loi Transparence », les émetteurs de titres financiers comme Gaz Capital, qui lève de la dette sur les marchés pour l’énergéticien russe Gazprom, doivent publier le rapport d’audit dans les quatre mois consécutifs à la fin de l’exercice. Or, les comptes ont été publiés le 25 juillet sur Luxembourg Business Register. Ils sont datés du 7 juillet et signés par l’auditeur PWC qui a démissionné de son mandat le 12. Avant de claquer la porte, PWC a notamment relevé dans son audit que les sanctions européennes contre les intérêts russes pourraient affecter le fonctionnement de la société. Le special purpose vehicle Gaz Capital gère treize milliards d’euros d’actifs, à 99 pour cent de la dette de Gazprom. Aucune sanction ne vise la société elle-même mais le contrôle imposé par les autorités européennes sur les marchés de capitaux en direction de la Russie réduisent les « flux monétaires et peuvent résulter en des délais de paiements », relève le conseil d’administration de Gaz Capital. La Bourse de Luxembourg a suspendu en mars la cotation d’une obligation de 1,2 milliard de dollars cotée par Gaz Capital. Euronext a suspendu une douzaine d’autres obligations cotées. L’amende administrative de la CSSF se limite à 10 000 euros. Mais Gaz Capital pourrait s’exposer à des sanctions pénales. La société n’a pas publié ses bénéficiaires effectifs au registre prévu à cet effet. Contactée par le Land pour savoir si une instruction avait été ouverte suite à un signalement de la CSSF, l’administration judiciaire répond que « le parquet à connaissance de ce dossier qui sera traité tel que prévu par la loi en la matière ». pso
Le wanna be résident a les boules
Le tribunal administratif luxembourgeois renvoie le père du premier préservatif remboursé par la sécu devant ses responsabilités fiscales en France. Dans un jugement rendu le 21 octobre, les juges administratifs refusent de remettre en question la décision de l’Administration des contributions directes de ne plus considérer Monsieur A. (nom connu à la ràdaction), fondateur et directeur des laboratoires Majorelle, comme un résident fiscal luxembourgeois. Dans son courrier daté du 14 février 2020, le fisc avait justifié sa décision par le fait que l’entrepreneur français n’avait pas apporté de titre de propriété ou de contrat de bail justifiant qu’il habitait au Luxembourg. « Vous êtes de nationalité française. Votre famille vit en France (…) Le centre de vos intérêts vitaux ne se trouve pas au Luxembourg. (…) Pour les seuls revenus de capitaux que vous avez déclarés, veuillez noter que le droit d’imposition de ces revenus revient à la France », avait conclu l’ACD. Monsieur A. est déçu. Contacté par le Land, son avocat Lionel Spet relève que la situation personnelle de son mandant n’a jamais changé depuis son arrivée au Luxembourg. « Il disposait d’un appartement de fonction qui lui a été fourni par sa société, sur quoi il s’est acquitté de l’impôt au titre des avantages en nature », explique l’avocat chez Turk & Prum. L’intéressé ne comprend pas comment l’administration est arrivée à la conclusion que son client n’était pas résident fiscal luxembourgeois. Celui-ci considère la motivation de l’administration « erronée » puisqu’elle présumait que « sa famille vivait en France et que dès lors il ne pouvait avoir sa résidence à Luxembourg ». Or, l’ex-compagne de l’entrepreneur, et ses enfants vivent en Belgique. « Notre mandant a l’impression de faire les frais d’une demande d’entraide fiscale française, qui cherche à le rattacher à l’impôt français, enquête qui a fait impression sur les services fiscaux luxembourgeois, ce qui selon nous, explique leur décision de retirer le bénéfice de la résidence fiscale à notre mandant », détaille Lionel Spet.
Pour mieux souligner l’absence de chiffrage des griefs à être imposé en France plutôt qu’au Luxembourg, les juges administratifs versent dans l’ironie : « La décision de non-assujettissement du demandeur constitue une décision de nature à le libérer de toute charge fiscale au Luxembourg, de sorte qu’elle est a priori à considérer comme une décision adoptée en sa faveur. (…) Le fait de devoir être imposé dans un autre pays que le Luxembourg, à savoir en l’occurrence la France, ne saurait per se être considéré comme créant un préjudice dans le chef du demandeur », lit-on dans le jugement du 21 octobre. Pour rappel, le secret bancaire s’applique encore aux résidents luxembourgeois. pso