C’est l’été, le soleil, les vacances qui arrivent. On pense au maillot de bain, au rosé bien au frais, aux activités à trouver aux enfants pour meubler ces deux mois de vacances. L’été, c’est également la saison des festivals, où des hordes de gens qui ne poussent pas la porte d’une seule salle de concert pendant l’année se rendent en masse dans des champs soit poussiéreux, soit boueux pour apercevoir au loin ce qui semble être des rockstars jouer en plein cagnard, les Ray-Ban sur le pif. L’Atelier a optimisé la version luxembourgeoise de ce tableau peu réjouissant en organisant au début de l’été une série de concerts « open air » en milieu urbain, sur le parking pourtant pas enthousiasmant de Luxexpo au Kirchberg. On reste sur un lieu surdimensionné au regard des standards locaux (on peut y accueillir environ deux fois et demi la capacité de la Rockhal), mais l’accessibilité du lieu pour ce qui reste un concert urbain est impressionnante de facilité et démontre le savoir-faire de l’organisation.
Au niveau artistique, ce sont les Smashing Pumpkins qui inauguraient ce cycle estival vendredi dernier, un jour avant qu’une météo apocalyptique ne s’abatte sur la capitale (et déraille sérieusement le Siren’s Call programmé le lendemain à Neimënster, également organisé par l’Atelier). Le groupe de Chicago était précédé sur scène par Interpol, groupe new yorkais chouchou de la critique il y a une vingtaine d’années, à la sortie de leur très bon premier album Turn On The Bright Lights, mais dont le soufflé est vite retombé. Un peu plus tôt, c’étaient les régionaux de l’étape Tuys qui ouvraient ce qui s’apparentait à un mini-festival, fleurant bon la bière et les saucisses grillées.
Ce triple concert était initialement prévu à la Rockhal, comme le rappelle le poster collector disponible au stand merchandising, et a été déplacé à Luxexpo après avoir été annoncé rapidement complet. Cet engouement pour les Smashing Pumpkins en 2024 est aussi surprenant que réjouissant pour quiconque a suivi la carrière du groupe mené par Billy Corgan, car il ne fait pas beaucoup débat que la qualité artistique affichée par le groupe depuis deux décennies n’est plus vraiment à la hauteur des sommets tutoyés lors de son heure de gloire, dans les années 90. Pour référence, la dernière prestation des Pumpkins sur le territoire luxembourgeois (à la Rockhal en 2011, où nous avions à l’occasion longuement interviewé Billy Corgan en marge du concert) avait attiré à la louche la moitié du public présent ce vendredi (estimé à 9 000 personnes).
Mais qu’importe que Billy Corgan se sente investi d’une envie de sortir un triple album conceptuel douteux, au titre pompeux (Atum: A Rock Opera in Three Acts) et aux morceaux sirupeux à souhait, qu’importe qu’il existe des dizaines de groupes plus excitants en 2024, le public, majoritairement quarantenaire, est venu se ressourcer au son de sa jeunesse et communier avec un des gourous du rock alternatif du siècle passé. Dans cette masse humaine, on repère aussi ici et là des fans beaucoup plus jeunes, preuve que le groupe est en train de virer vers un statut culte (ce qui explique sans doute l’engouement populaire).
Avant de passer au contenu de ce concert, c’est le moment de tout dévoiler : les Smashing Pumpkins étaient le groupe de ma jeunesse, celui que j’ai vu le plus sur scène dans ma vie. Il fut un moment où j’avais absolument tous leurs disques, imports japonais et raretés compris. J’ai rencontré Billy Corgan deux fois, et la musique du groupe m’a accompagné dans les plus grands moments de ma vie. J’ai toujours des frissons quand j’entends Disarm ou Soma aujourd’hui. Siamese Dream est sans doute l’album que j’emmènerais sur une île déserte. Mais depuis une vingtaine d’années, c’est objectivement très compliqué d’être un fan des Smashing Pumpkins au vu du manque criant d’inspiration de son leader, par ailleurs persuadé d’être incompris. Bref, j’ai largement décroché et j’ai même parfois un peu honte quand un pote me pose une question sur la dernière lubie de Billy Corgan, généralement liée au catch, ou sa dernière déclaration politique aux relents de théorie du complot. Tout cela pour vous dire que je me suis rendu à ce concert plus par habitude et par nostalgie, sans en attendre grand-chose.
Et bien c’était un très bon concert, dans une ambiance bon enfant, où j’ai eu l’impression de revoir de vieux amis perdus de vue, où j’ai eu par moments le sentiment d’avoir de nouveau 18 ans. Deux heures de show égrenant une litanie de classiques du groupe (Today, Ava Adore, Bullet With Butterfly Wings, 1979, Disarm, Tonight, Tonight et Zero pour clôturer) et entremêlé de cinq extraits poussifs du dernier album. Pas trop de place pour les “fan favorites”, ces morceaux attendus par les fans de la première heure, qui se seront contentés de Mayonaise, Thru The Eyes Of Ruby et Cherub Rock, ce dernier particulièrement explosif en fin de concert. La seule surprise, c’était peut-être cette reprise de Zoo Station de U2, aussi inattendue que pas forcément très réussie. Cette formule « best of » teintée de nouveautés que personne ou presque ne connaît engendra un concert à deux vitesses, avec des pointes d’émotions déclenchées principalement par les hits, tandis que l’ambiance retombait systématiquement sur les morceaux tirés d’Atum, particulièrement plats. À titre de comparaison, la setlist du concert à la Rockhal en 2011 était un peu plus aventureuse, proposant des morceaux cultes comme Starla, Soma, Silverfuck, Muzzle ou encore Frail And Bedazzled.
Mais qu’importe ces considérations de geek, vu la taille du public, il fallait assurer, et c’est ce que le groupe a fait. Billy Corgan était même de très bonne humeur, souriant, jouant avec le public. Il raconta comment, faute de pouvoir commander un retour en Uber, il se fit ramener à son hôtel par un inconnu rencontré dans un bar la veille dans le Grund, sans que ce bon samaritain ne sache qui était ce grand américain chauve. Il avait l’air heureux d’être dans « ce pays sûr où le tram est gratuit ». Son acolyte James Iha, de retour dans le groupe depuis 2016, se moqua gentiment de lui avec son humour pince-sans-rire, tandis que le batteur Jimmy Chamberlin regardait cet échange en souriant. Il y avait quelque chose de touchant à voir ce trio de nouveau ensemble sur scène après de nombreux remous. On ne reverra sans doute plus jamais la bassiste originale D’arcy Wretzky, mais il reste deux femmes sur scène avec les Pumpkins : l’australienne Katie Cole (chœurs et guitare acoustique) et la guitariste métalleuse Kiki Wong, récemment recrutée pour pallier le départ de Jeff Schroeder.
Sur Thru The Eyes Of Ruby, Billy Corgan chante « The night has come to hold us young ». L’histoire des Smashing Pumpkins est faite de désirs, de déceptions, de souvenirs et d’une certaine mélancolie propre à cette envie de ne jamais vieillir. Mélangez à ces sentiments un peu de soleil, de bière et l’espoir d’un été réussi, et vous obtenez une soirée impeccable, au-delà des espérances.