« It feels good to be back in Luxembourg. Maybe because we played two shows in Germany. » La phrase pince-sans-rire est de Lukas Jansen, leader de Tramhaus, ce samedi à la Kulturfabrik, dans le cadre du pèlerinage annuel des fans de musique indé de la Grande Région, le festival Out of the Crowd. Et c’est vrai que c’était agréable de se retrouver dans cet environnement bienveillant pour une demi-journée baignée de soleil et décibels.
Le groupe de Rotterdam nous gratifia d’un des meilleurs concerts du festival, sur la petite scène de la Kufa. Parfois catalogué post-punk, le quintet a démontré qu’il était beaucoup plus qu’une étiquette un peu trop facile à coller aux groupes rock contemporains à la présence scénique singulière. Mélodieux tout en étant agressif et intense, proposant une dynamique fabuleuse dans l’alternance des moments plus calmes ou plus enlevés, on a peut-être vu là le meilleur groupe actuel en Europe continentale.
Plus tôt dans l’après-midi, on aura aperçu sur la scène principale les montréalais de Corridor, signés sur le prestigieux label Sub Pop. Le groupe se distingue par une complexité de textures amenant sa musique sur des territoires certes rock, mais flirtant ici et là vers la dream-pop ou le krautrock. Corridor est aussi le groupe qui gagna haut la main la palme des plus beaux t-shirts (ils préfèrent le terme « chandail ») au stand merchandising (là par contre ils disent juste « merch »).
Alors vous l’avez compris, au Out of the Crowd, il n’y a jamais de moment de silence. A peine un concert terminé, un autre débute sur l’autre scène. Et l’expression « deux salles, deux ambiances » n’aura jamais aussi bien porté son nom au vu de la tornade qui s’est abattue sur nous après Corridor. Deux batteries, des machines, samplers et autres contrôleurs sur une table, pas de guitare à l’horizon et pourtant le set le plus punk de la journée. Devant nous, la sensation new yorkaise Lip Critic et son déluge assourdissant entre rap, hardcore, punk, électro et même jungle par moments. Une performance plus qu’un concert, entre grosses basses synthétiques, hurlements, échange de musiciens en plein milieu d’un morceau et frontman possédé. Tout cela à l’heure du goûter.
Dans ce genre d’événement, les discussions vont bon train sur le coup de cœur de la journée, ou a contrario le bide qui nous a donné la bonne excuse pour aller manger ou boire un petit bout dehors. Du côté des déceptions, si on n’a pas trop accroché au rock instrumental un peu trop plat et binaire par moments de Maserati, et qu’on n’a pas adhéré non plus au rock un peu light de Cola, c’est du nord-est de l’Angleterre que nous est venue la plus grande désillusion du jour, de Hull plus précisément.
Dieu sait qu’on les aime pourtant les quatre de BDRMM (à prononcer «Bedroom»), mais il y avait quelque chose de cassé sur scène. À commencer par le son le plus mauvais qu’on n’ait jamais entendu dans cette salle, pourtant exceptionnelle à ce niveau. Mais la voix de Ryan Smith n’était pas des plus justes non plus, et peinait à atteindre les sommets atteints sur le dernier album I Don’t Know (publié sur Rock Action, le label de Mogwai), où le groupe s’éloigne un peu du shoegaze des débuts pour intégrer des influences électroniques, entre Brian Eno et Radiohead. Même le final, qu’on attendait épique et léché, s’est retrouvé être un coup d’épée dans l’eau, s’achevant dans l’indifférence générale.
Il fallait quelqu’un pour nous réconforter après ce fiasco, et comme souvent c’est du côté de l’Irlande qu’est venue la rédemption de fin de soirée. Le Guardian les définit comme « l’expression la plus parfaite de l’impulsion autodestructrice essentielle du rock’n’roll ». Cette phrase, à relire plusieurs fois, ne convoque qu’une partie de la vérité. Gilla Band est une expérience sonique à la frontière de l’extrême et de l’audible, portée par le génie du bassiste Daniel Fox, qu’on jurerait tout droit sorti d’un livre d’Harry Potter, et qui fait sortir de son manche magique des sons venus d’ailleurs, dans une déflagration anxiogène à laquelle contribue l’intenable guitariste Alan Duggan, virevoltant entre ses amplis, en recherche permanente de reverb.
Au milieu de ce laboratoire noise se dresse fièrement Dara Kiely, longue chevelure blonde et setlist écrite sur la main. Ses textes scandés rappellent Talking Heads. Sa voix déchirée harangue les premiers rangs qui se transforment aussi vite en moshpit. L’énergie, le son, en font l’apothéose parfaite. Un concert surpuissant, radical, aux atmosphères malsaines, aux drops de basse jouissifs. L’équilibre parfaitement imparfait entre efficacité et radicalité. On ne peut s’empêcher de penser qu’on tient là sans doute la référence ultime du genre.
Une fois les lumières rallumées, les quelques rescapés encore capables d’entendre quelque chose se sont retrouvés devant la petite scène pour profiter des dernières envolées de la soirée, mitonnées par les régionaux de l’étape No Metal in This Battle. Une belle façon de clôturer en famille la 20e édition d’un festival indépendant qu’on espère voir durer encore longtemps.