La Chambre du conseil du tribunal de Luxembourg a décidé le 26 juin de renvoyer les entrepreneurs Gerard Lopez, Eric Lux et deux anciens responsables du Fola devant une chambre correctionnelle. Sont visés des documents censés justifier des versements opérés en 2014 entre l’écurie Lotus F1 à Enstone (Royaume-Uni) dirigée par les deux entrepreneurs luxembourgeois, le CS Fola à Esch, alors présidé par Gerard Lopez, et Lynx Investments Limited à Hong Kong, propriété d’Éric Lux.
L’affaire telle que révélée en juin 2015 par 100,7 portait sur des transferts d’un montant de deux millions d’euros. Le parquet soupçonnait alors un abus de biens sociaux et du blanchiment d’argent. Des membres de la Commission de l’octroi des licences de l’UEFA avaient dénoncé l’origine douteuse de ces fonds après signalement de l’auditeur du Fola, PWC. La Cellule de renseignement financier du parquet avait été saisie.
Par l’intermédiaire de von vice-président, Pim Knaff, le club de football avait d’abord vivement démenti. « Aucune opération bancaire n’a été rejetée pour suspicion de blanchiment d’argent », avait prétendu l’avocat eschois dans un communiqué envoyé à la radio publique. Puis un possible remboursement de dette à son bienfaiteur, Gerard Lopez, était envisagé : « Si des virements ont été faits à Monsieur Gerard Lopez, il s’agit de remboursements de crédits qu’il avait consentis au CS Fola », avait signé le responsable du club. L’avocat et échevin libéral, mettait en avant le « rôle prééminent » de Gerard Lopez dans « l’organisation et le financement » du club de foot. « Raison pour laquelle différents contrats ont été conclus avec des sociétés nationales et internationales pour aider à diversifier les sources de revenus du club », écrivait-il. Pim Knaff a été entendu. Les trois quarts du montant évoqué ont été considérés comme des remboursements de dons. Le périmètre a ensuite été conscrit à des versements d’une valeur de 500 000 euros.
L’accusation porte sur la réalité des écrits produits pour justifier ces transactions faites vers la société représentant les intérêts d’Éric Lux à Hong Kong. Ils sont qualifiés de faux par le bureau du procureur. Quatre personnes doivent répondre de l’accusation. Outre le duo de Genii Capital actif dans la course automobile et l’immobilier, sont également inculpés Mauro Mariani, alors vice-président du Fola, et François Delé, trésorier. Le délit est passible d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans de prison.
Selon les explications recueillies auprès de Rosario Grasso, avocat de l’entrepreneur Éric Lux, l’apport en provenance de Lotus F1 serait une contribution financière en faveur dudit club de football « sans aucune contrepartie », si ce n’est pour soutenir un « programme jeunes ». Elle aurait été décidée par le conseil d’administration de l’écurie de F1, alors majoritairement détenue par le duo luxembourgeois (via Genii Capital). Eric Lux aurait été mandaté oralement par Gerard Lopez pour approcher des partenaires commerciaux dans le monde de la course automobile. « Ceci a finalement et effectivement permis au CS Fola (à la surprise de plusieurs) d’avoir des rentrées financières importantes et tout à fait exceptionnelles », relate l’avocat.
La rémunération de 500 000 euros pour quatre ans (soit 125 000 euros par an) aurait été convenue oralement entre Gerard Lopez et Éric Lux. Lors du virement des fonds via le compte du Fola à la BGL, le banquier aurait néanmoins demandé des justificatifs. « C’est donc sur insistance de la banque que Messieurs Gerard Lopez et Éric Lux ont décidé de confirmer leur accord par écrit et c’est justement ce document qui est argué de faux intellectuel », présente Rosario Grasso. L’ancien bâtonnier précise ainsi que le parquet ne vise pas « la falsification du document en tant que tel, mais sa substance ». Il en irait de même pour les factures produites par Lynx Investments Limited pour justifier le paiement. Les documents apportés pour appuyer les versements de Lotus F1 vers le Fola et du club de foot vers le centre financier asiatique répondraient à la même logique : justifier un service rendu.
L’enquête a requis des années de labeur du côté des autorités. Des retards sont imputablers à des délais d’exécution à rallonge pour les commissions rogatoires, mais aussi à des manoeuvres chronophages de la défense des accusés. La juge d’instruction a clôturé l’enquête en mars 2022 et transmis le dossier au ministère public. Le procureur a renvoyé l’affaire devant la Chambre du conseil en mai de la même année (d’Land, 3.6.2022). Ses trois magistrats n’ont pu que constater un dossier incomplet, la défense ayant fait valoir au dernier moment des nouveaux moyens, bien que l’information avait été clôturée et le renvoi demandé. Les avocats des inculpés ont ainsi requis des devoirs d’instruction à décharge. Cela a été contesté puis obtenu devant la Chambre du conseil de la Cour. Le dernier devoir a été rendu en mars cette année.
Contacté par le Land, l’avocat de Gerard Lopez, Philippe Penning, souligne que « bon nombre d’infractions visées par l’instruction n’ont pas été retenues ». Il cite comme exemple celle de blanchiment, pour laquelle le non-lieu est intervenu. « Les seules infractions finalement retenues sont le faux et l’usage de faux, mais pas dans le sens qu’on aurait falsifié un document avec de fausses signatures ou d’autres éléments matériels importants, mais dans le sens que les informations contenues dans les documents demandés par la banque et censés attester d’une transaction convenue entre parties, ne seraient pas correctes », soit un faux intellectuel, avance Philippe Penning. Les transactions seraient, elles, validées, explique l’avocat. Il insiste : « Mon client n’a pas encaissé le moindre cent dans cette affaire ».
Appel a été interjeté par les inculpés pour contester le renvoi devant une chambre correctionnelle. La Chambre du conseil de la Cour devrait statuer dans les mois qui suivent la rentrée judiciaire.
Mauro Mariani est un ami d’enfance de Gerard Lopez à Esch. Comme lui il a travaillé pour la maison d’investissement en private equity, Mangrove Capital Partners, qui a porté les succès Skype et Wix. Elle avait aussi investi dans Citee Car, start-up de location automobile dirigée par Mauro Mariani qui a fait faillite après avoir encaissé plusieurs centaines de milliers d’euros en provenance du patrimoine personnel du Grand-Duc Henri. Mauro Mariani a quitté la présidence du Fola en 2021 après son inculpation. À l’instar du trésorier Francois Delé. Gerard Lopez préside actuellement le club de football des Girondins de Bordeaux, en deuxième division française. Éric Lux œuvre lui notamment au développement du gigantesque projet immobilier eschois, Rout Lëns, 1 400 logements sur des friches industrielles.