Chaque jour, environ 123 000 personnes de l’Est de la France franchissent la frontière pour venir travailler au Grand-Duché. La montée inexorable du Rassemblement National en Lorraine choque d’autant plus les observateurs et suscite des inquiétudes quant à l’avenir des relations transfrontalières. Cette région, jadis représentée à l’Assemblée nationale par le père fondateur de l’UE, Robert Schuman, a connu des bouleversements économiques majeurs. Le bassin lorrain, ancien bastion des industries sidérurgiques et métallurgiques, connaît un déclin depuis des décennies, symbolisé par la fermeture des hauts fourneaux d’ArcelorMittal à Florange en 2012, et ce malgré les promesses électorales de François Hollande de tout faire pour empêcher cette fermeture. Cette dégradation économique, remarquée depuis le « plan d’acier 1984 » de Mitterrand, est perçue par beaucoup comme une « trahison de la gauche ».
Face au chômage croissant et à l’incertitude économique, le parti lepéniste a su exploiter le mécontentement. Deux ans après la fermeture de l’usine, Fabien Engelmann du RN est élu maire de Hayange, une position qu’il a consolidée depuis sa réélection en 2020. Cette présence locale, renforcée par des conseillers à Metz, Saint-Avold et Bitche, a considérablement accru l’influence du parti RN en Lorraine.
Cet enracinement a favorisé le candidat RN Laurent Jacobelli, qui a remporté 46,5 pour cent des suffrages, manquant de peu d’être élu dès le premier tour des législatives. Il affrontera dimanche prochain Céline Léger du Nouveau Front Populaire (NPF), qui a obtenu 29 pour cent des voix. À la suite de ces résultats, le maire de Florange, Rémy Dick, candidat Les Républicains, a déclaré donner son vote à titre personnel à Jacobelli pour « faire barrage à LFI », exprimant son inquiétude face à la « radicalité » de la candidate du NFP, affiliée à La France Insoumise, avec laquelle il n’a « aucun point d’accord, sur aucun sujet ».
Jacobelli, député de la 8e circonscription de Moselle depuis 2022, s’impose comme une figure nationale en devenant le porte-parole de Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National pour les élections européennes. Il n’est pas étranger à diverses polémiques. En octobre dernier, il a été mis en examen pour avoir qualifié Belkhir Belhaddad, député Renaissance, « d’espèce de racaille » et en l’accusant de « déposer des fleurs avec Madame Leduc (députée LFI) qui soutient le Hamas ».
Dans le département voisin de Meurthe-et-Moselle, dans la 3e circonscription incluant les cités frontalières de Longwy et Mont-Saint-Martin, Frédéric Weber, candidat du RN, a remporté le premier tour des législatives avec 43,5 pour cent des voix. Son ascension pourrait être attribuée moins à son affiliation au RN qu’à sa lutte emblématique contre la fermeture des hauts fourneaux à Florange. En tant qu’ancien syndicaliste de la CFDT, puis de FO, il a été un acteur clé de cette campagne locale prolongée.
À première vue, les résultats semblent fortement favorables à l’extrême droite, mais une analyse approfondie révèle des poches de résistance dans certaines villes limitrophes du Luxembourg telles que Villerupt, Longwy et Mont-Saint-Martin, où les électeurs ont soutenu Martine Etienne du NFP. Cela nuance l’image initialement perçue de résultats électoraux uniformes. Par exemple, à Villerupt, elle mène avec 38,9 pour cent, à Longwy avec 37,2 pour cent et à Mont-Saint-Martin avec 49,2 pour cent.
Dans la 9e circonscription de Moselle, comprenant les villes de Yutz et Thionville, Baptiste Philippo du RN arrive en tête avec 38,3 pour cent des voix, suivi de très près par la députée sortante Isabelle Rauch du camp présidentiel avec 35,1 pour cent. À peine 2 034 voix les séparaient au premier tour législatif. Les 14 067 électeurs de la gauche pourraient jouer un rôle décisif au second tour s’ils se mobilisent contre l’extrême droite. Rauch, connue pour ses initiatives en faveur des relations transfrontalières et de la mobilité, insiste sur l’importance de maintenir de bonnes relations avec le Luxembourg. Son programme électoral prône des avancées dans la mobilité, comme les travaux ferroviaires, et le futur réseau express métropolitain avec sept trains par heure et 22 000 places assises d’ici 2028. Quant à Philippo, qualifié d’« illustre inconnu sur le territoire » par Le Quotidien, il a occupé le poste de directeur des services à la mairie de Hayange.