Avec True Fictions, Paul di Felice, curateur des expositions et de la collections de photographies du cabinet d’avocats Arendt & Medernach, entame une nouvelle approche. L’idée vient de Claire di Felice. Le père – on rappellera qu’il est docteur en arts, enseignant de l’art moderne et contemporain à l’Université du Luxembourg, qu’il est à l’origine du Mois Européen de la Photographie Luxembourg (EMop) avec Pierre Stiwer, qu’il est curateur et que ses recherches portent sur les relations entre la photographie et l’art contemporain – et la fille – diplômée en droit, diplômée en art contemporain du Sotheby’s Institute of Art, Londres – travaillent désormais ensemble à un nouveau concept, partant d’une édition qu’ils viennent de créer, Lab by MAI.
En ces temps des visuels instantanés, aussi vite disparus qu’apparus sur les réseaux sociaux, le premier ouvrage prend la forme d’un coffret précieux. Cartonné, entoilé, il contient quarante-trois photographies de Marco Godinho (tirées sur papier Hahnemühle Fine Art et 211 petits cartons grand format carte de visite, portant chacun une des citations que l’on pouvait lire chaque jour sur le t-shirt du gardien tout au long de la durée de la Biennale de Venise 2019 : « See another sea to challenge chance, See another sea in memory of us, See another sea for a moment of humanity, etc ».
Marco Godinho, dont le travail porte sur les déplacements géographiques et culturels, le franchissement des frontières, est au centre de l’exposition, avec le shooting Left to their Own Faite (Odyssey) & See Another See series, travail préparatoire à la vidéo de Written by Water. On se souvient des papiers mouillés par la mer, séchés sous le soleil comme de vains appels au secours. Ici, on voit Fábio Godinho, son frère acteur, lire le voyage d’Ulysse sur les lieux même du récit d’Homère : Djerba l’île des Lotophages, sous un olivier vieux de quatre mille ans comme le texte mythique datant de la Grèce Antique, à Ceuta. C’est sur cette enclave, entre l’Afrique et l’Europe, que se rejoint le voyage mythologique et les tentatives de passage actuels des migrants.
Les collectionneurs des rares exemplaires de cette première publication précieuse des éditions Lab by MAI (trente coffrets photos et citations, cinquante coffrets les citations seules), en contemplant les photographies au format DIN A4 ou en mettant en exergue de chaque journée une citation différente sur le petit porte-photo de bois, savent-ils qu’ils créent autant de sens que de récits différents?
Si l’esthétique reste un facteur de la photographie en général, s’y ajoute dans la photographie contemporaine, l’alerte sociale et politique : parfaitement déroutante est en cela l’iconique photographie de Lisa Kohl de la tente de migrants photographiée dans une gare à l’abandon à la frontière franco-italienne où la lumière naturelle donne un chatoiement de soierie précieuse à l’abri de fortune ( Blindspot.). C’est aussi le cas, dans la décontextualisation voulue de la série voisine de Daniel Mayrit Autorized images series, où les silhouettes hors contexte – il est interdit de photographier des policiers en train de charger – prennent, découpées, sur fond blanc neutre, des allures de danseurs ou d’astronautes.
Une nouveauté de l’exposition True Fictions part du choix des photos de la collection. D’Anna Krieps, un portrait prémonitoire du métier d’actrice de sa sœur Vicky dans le rôle en apesanteur de la série Cosmic Dreams, de Tatiana Lecomte, la série B.B. .B.B. comme les initiales du camp de Bergen Belsen, dont il ne reste rien des atrocités nazies, sinon la forêt de bouleaux. Tatiana Lecomte, en scratchant la surface même de la pellicule, recrée l’incendie par les Alliés pour anéantir l’infestation par les poux et métaphoriquement, fait renaître les bras tatoués et les corps partis en cendres. Choisis parmi les 200 photographies de la collection, ces trois photographes (avec donc Daniel Mayrit), nouent, en rapport avec la thématique de l’exposition, un dialogue avec les récits réels ou fictionnels des photographes invités : Lisa Kohl déjà citée, Max Pinkers et la reconstitution avec les protagonistes rebelles survivants des luttes contre la colonisation britannique et l’apartheid dans les années 1960 (State of Emergency) Cristina de Middel, Bieke Depoorter.
La succession des différents sujets, habilement déroulée malgré la linéarité du lounge, fait qu’on a l’impression de voir les chapitres successifs d’une histoire ou de l’Histoire : celle qui habite les luttes, les révoltes, les défaites et les rêves des hommes. Espoirs des printemps arabes, commentés tel un langage codé, la dictature revenue (Bieke Depoorter, As it may be, Egypte. A la base du concept de Claire et Paul di Felice pour True Fictions, il y a « docufiction », contraction de photoreportage et photographie d’artiste. On finira donc sur une vraie aventure de pure fiction, improbable. The Afronauts, est le récit imagé, réel et fictif à la fois d’un projet de base spatiale en Zambie. Une réussite.