Y a-t-il un chemin quelque part ?

d'Lëtzebuerger Land vom 14.06.2024

Le Fundamental Monodrama Festival est de retour (jusqu’au 16 juin) à la Banannefabrik pour y déployer une quatorzième édition avec, comme de coutume, de belles découvertes et les sons insolites du So long Orchestra. Dimanche, nous avons partagé un beau moment de théâtre avec l’auteur dramatique, metteur en scène et comédien congolais Dieudonné Niangouna dont on se rappelle le magistral M’appelle Mohamed Ali avec Etienne Minoungou, découvert en 2013. Le revoilà avec De ce côté (2021), autofiction écrite, mise en scène et jouée par lui-même et produite par Les Bruits de la Rue, sa compagnie créée en 1997 à Brazzaville.

Il en va du récit de Dido, sorte de double de cet artiste engagé, paroles d’un comédien déraciné qui, depuis son bar-théâtre de l’exil, se raconte et se demande s’il y a un chemin quelque part. Il questionne le rôle de l’artiste et la place de « ce théâtre qui s’écroule dans le fleuve Congo » jusqu’au jour où on lui propose un rôle dans la pièce… « La fin de la colère ».

Mais Dido doit d’abord se défaire des cauchemars du passé : son théâtre pulvérisé par une bombe en pleine représentation, ces images de l’horreur qui reviennent sans cesse, les fausses accusations, la fuite précipitée laissant seuls camarades et famille, l’Afrique traversée à pied et « sur les routes les théâtres (qui) n’arrêtaient pas d’exploser ». Il raconte l’arrivée en Occident, l’exil, le « bar ouvert à crédit », ses stand-up au grand dam des « activistes afro-africains », son abandon de la scène, la solitude…

De ce côté est un texte fort et radical, un monologue qui est aussi essai sociologique, pamphlet politique, récit de vie. La langue est incisive, directe, parfois mélancolique, toujours poétique : « Je suis habité par un long poème fracassé ». La parole est fleuve, incandescente, exigeante, elle est celle d’un survivant. Les mots reviennent en boucle, ils disent la culpabilité autant que la douleur, le doute comme la nostalgie, l’effroi et l’impossibilité d’aller de l’avant, la mémoire à vif ou les images flottantes.

Sur scène, le comédien, tout de noir vêtu, est face au public, il bouge peu, ses gestes sont nets et précis, son regard est vif, il est habité par le flux des paroles, il est à la fois cri, colère et silence. Le bar de Dido, « repère d’exilés », prend vie à travers ses mots. Le plateau est vide, Dido est seul mais continue à parler de l’autre, avec des personnages réels ou fictifs, avec cette femme de 250 kg qui a mangé tous ses maris, cette mère qui disait à l’enfant de « transformer le fond en comble »…

La création lumière de Laurent Vergnaud offre de beaux contrastes mettant en perspective la présence du comédien. De chaque côté de la scène, quelques projecteurs et au milieu un rideau noir qui à la fin du spectacle accueillera des images vidéo en noir et blanc d’une immense explosion, d’autant plus sidérante que le son est absent. Quant à la musique, notes de jazz notamment, elle ponctue finement le spectacle, à quelques moments clés de ce récit privé… et public.

Work in progress

Programmé le 9 juin mais reporté à ce samedi 15, Le bal des égarés, est à découvrir dans le cadre du Monolabo, C’est un création du Nigérien Béto, un familier du festival. Il s’y est produit dès 2011 dans Tiens bon, Bonkano ! d’Alfred Dogbé, son mentor. Quelques mois plus tard ce dernier disparaissait. Béto reprennait alors les rênes de son Arène Théâtre et est venu présenter au Fundamental un premier opus très personnel créé en hommage à Alfred Dogbé, Les larmes du cœur. Depuis, les liens se sont renforcés avec Steve Karier et Béto revient régulièrement montrer ses works in progress ou ses spectacles, voire mettre en scène d’autres textes.

Ce samedi à 18h30, il proposera un travail de recherche en réaction au coup d’État qui a frappé le Niger le 26 juillet 2023. S’il y a « une impossibilité à tout dire », Béto revient sur l’histoire, évoque les putschs passés et celui-ci qui est « la goutte de trop » pour son pays et la région. Comment raconter ? Il évoque « l’euphorie » des premiers jours et « la jeunesse qui aime le renouveau » mais surtout nous dit les lendemains incertains et inquiétants, le rejet des anciennes alliances et la menace des nouvelles. Il s’inquiète pour la sécurité au Sahel, pour le quotidien de ses populations, pour le futur du théâtre et des artistes, pour la liberté d’expression et de création… Autant de questions qui traversent le récit de cet artiste engagé depuis 25 ans pour qui art et politique sont forcément liés. A la Banannefabrik, avec Ablassé, musicien qui l’accompagne de longue date, Béto témoignera.

Programme et réservations sur

Karine Sitarz
© 2024 d’Lëtzebuerger Land