Le Théâtre Ouvert Luxembourg a accueilli pour quelques soirées Pourquoi faire du théâtre en camionnette ? d’Isabelle Bonillo Il s’agit d’une écriture au plateau qui lie discours et espace théâtral. L’autrice assure aussi la mise en scène et joue en compagnie de deux comédiens. Cette femme-théâtre n’opte pas pour une salle fixe, implantée dans un lieu théâtral équipé mais pour un théâtre qui se déplace, une structure légère, un théâtre voyageur qui parcourt régulièrement certaines régions ou pays, de la Suisse – avec Lausanne comme siège – au Luxembourg en passant par la France.
Le projet renoue avec le nomadisme romantique, en allant au-devant ou à la recherche du public, en particulier des gens qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les salles de théâtre. C’est d’abord une démarche qui se situe dans le cadre de la démocratisation de la culture. Elle stimule aussi la curiosité de ceux qui se rendent régulièrement au spectacle et aiment découvrir une autre approche. La structure est assez légère, adaptable, installée sur un plateau ou en plein air avec la fameuse camionnette du titre en arrière-plan. La pièce met aussi en évidence un talent propre à la comédienne Bonillo, celui d’entrer en contact avec les gens, de les motiver pour « entrer » dans un lieu à découvrir et certes de mettre en valeur que le théâtre, pour vivre, a besoin de public.
Le don d’Isabelle Bonillo (qu’on ne peut guère se représenter sans son fameux accordéon) d’être à la fois dedans et dehors, dans l’histoire tout en abordant les spectateurs, pour les impliquer dans l’action théâtrale et leur montrer les possibilités et les charmes du théâtre en camionnette, ne lui ferme pas les possibilités de jouer dans un ensemble et dans un lieu plus traditionnel, comme dans Liliom ou la vie et mort d’un vaurien de Ferenc Molnar, mise en scène de Myriam Muller, un spectacle repris actuellement au Grand Théâtre.
Dans Pourquoi faire du théâtre en camionnette ? une pièce qui, malgré la formulation du titre, n’est pas un plaidoyer rigide ou une justification pour une telle expérience, mais bien une découverte stimulante à se rapprocher de ce qui se passe sur scène, de jeter un discret regard derrière les coulisses et d’entrer quelque peu dans le jeu, de se laisser capter par ce que les comédiens racontent.
Le spectacle démarre sur un fâcheux incident : la camionnette, indispensable pour se rendre d’un endroit à l’autre et qui rend possible l’utopie, ne démarre pas malgré les efforts pour mettre la mécanique en marche. Elle émet parfois un vague grognement. Pourtant elle est indispensable : pas de théâtre en camionnette sans la participation bienveillante de l’engin. À chacun son rôle.
Par le biais d’un récit choral à trois comédiens, dont l’un est en fait le témoin de sa propre histoire, le spectateur suit les étapes importantes d’une famille de comédiens, qui « prédestine » Isabelle à suivre la voie nomade de ses ancêtres, de faire la connaissance du métier de l’intérieur, notamment de passer par l’École du Théâtre National de Strasbourg, et de participer à la décentralisation théâtrale, se situant dans la tradition du ménestrel et du théâtre de foire. Ces expériences vécues directement ou par personnes interposées l’ont aidée à réaliser son utopie théâtrale à elle, le recours au Camion-Chapiteau, qui permet des spectacles en salle ou sous chapiteau, et de faire des tournées depuis 18 ans.
Un parcours illustré dans Pourquoi faire du théâtre en camionnette par divers épisodes, dans une scénographie de Gilbert Maire, sur le mode ludique, souvent avec deux comédiens qui l’accompagnent, tous les trois en costumes de Karine Dubois. Catia Machado est assez drôle, et Nicolas Ruegg, très convaincant dans ses diverses apparitions avec masques : des expériences personnelles significatives, mises en lumière de Christophe Kehrli, avec des passages plus descriptifs avec projections.
L’ensemble transpose le spectateur dans divers contextes, à différentes périodes, et fait naître éventuellement des allusions à d’autres personnages vus sur scène, stimule donc son imaginaire et montre en particulier l’importance des histoires racontées, qui provoquent d’autres souvenirs, tout en créant un univers qui fait rêver.