Cela fait exactement cent ans que paraissait le Manifeste du surréalisme, et le Centre Pompidou, à Paris, célébrera l’anniversaire dans une grande exposition au début du mois de septembre. Il s’est fait précéder d’une certaine façon dans cet exercice par sa « filiale » messine qui jusqu’au 2 septembre justement présente une exposition André Masson, Il n’y a pas de monde achevé. Bien sûr, lui n’est pas le plus connu des artistes au sein des surréalistes, c’est qu’il s’est trouvé des fois en marge, même à l’écart, les ruptures étaient chose courante dans le milieu, et peut-être qu’il était plus proche d’autres que de Breton, citons Aragon, Bataille, Leiris, n’empêche, son œuvre est d’une ampleur et d’une amplitude qui font de l’exposition de Metz un parcours exemplaire, de la descente des surréalistes dans les recoins les plus secrets, les plus cachés de l’homme, de leur face à face avec l’Histoire du vingtième siècle, les guerres, les deux mondiales, celle d’Espagne, et ne passons pas sous silence les colonies.
C’est tant de choses donc que la belle scénographie déploie quelque peu en éventail, à commencer par les premières toiles où est traduit toujours un héritage, de Cézanne aux cubistes, ainsi que l’expérience du chemin des Dames du soldat Masson. Il s’était engagé après avoir refusé la nationalité suisse, il s’était installé à l’étranger en rupture avec sa famille. Mais plus que sur la route de Picardie, ou dans le Cimetière tentaculaire, c’est ailleurs, dans les dessins, plume et encre noire, sanguine, qu’on saisit déjà ce que sera Masson jusqu’au bout. « Vous avez vu mes massacres et les inflexions amoureuses que la violence y donne aux corps », fait lui dire Bernard Noël dans un texte inédit en partie qui ouvre le gros et riche catalogue de l’exposition.
La violence, voilà le maître-mot. Non pas que Masson s’y complaise, lui fasse la part trop belle. Il la montre dans toute sa vérité, elle est là surtout qui anime, fouette sa ligne, et Masson se montre dans ce sens d’abord dessinateur, jusque dans ses toiles, avec leurs compositions prises de même dans de l’effervescence. On s’arrêtera ainsi, face à la bibliothèque restituée, et le lecteur du catalogue fera tout son bénéfice du texte de la directrice Chiara Parisi, devant telles peintures de sable où la ligne reste solitaire et dominante, et tellement enchanteresse. Elles datent des années vingt, d’autres suivront à la fin des années trente, comme cette Terre, nu féminin qu’on dirait répondre à Courbet.
Eros et Thanatos, Masson les a retrouvés tous deux en Espagne, dans la tauromachie. Les choses deviennent autres avec la guerre, et là encore, c’est le dessin qui prend le tranchant le plus acéré contre Franco et ses acolytes. La lame porte, mais elle ne peut pas grand-chose contre les stukas, Guernica en a payé un prix horrible. On sait que l’Espagne ne fut alors que le laboratoire, un terrain d’entraînement pour la guerre qui allait suivre. Et à laquelle tant d’artistes et d’intellectuelles échappèrent par l’exil.
Masson a renoué entretemps avec Breton, les deux, avant de rejoindre New York, font escale en Martinique. La forêt des Antilles se fait inspirante, la ligne toujours, fourmillante, qui atteint à des dimensions cosmiques, et dans les toiles lumière et luxuriance se conjuguent. Autre chose en relation avec l’exil, qui pèse dans l’histoire de l’art : les giclures de sable dans les années cinquante. Oui, il y a eu le dripping de Pollock, mais l’art n’est pas une épreuve où le chronomètre entre en jeu, et si souvent, à quelque distance, d’espace, de temps, il innove, comme si le moment appelait une rupture. Elle est pour ainsi dire dans l’air.
Une petite lubie pour conclure, on n’échappe jamais avec Masson à la littérature, voire à la mythologie. Finir parmi les tableaux par un seul, ce serait Gradiva, le lien est là également avec l’exposition qui vient de finir, sur Lacan et la psychanalyse. À partir du roman de Jensen et de l’analyse de Freud, une toile plus monumentale que ne le disent ses dimensions de 97 sur 130 cm. Et la jambe et le pied de la jeune femme, « la fille splendide dans sa marche », en position verticale en son milieu, alors que le jeune archéologue la surprend, la rêve sortant de sa tombe, y retournant. Il est dans cette toile une quiétude, d’une chair transformée en marbre, il est aussi l’éruption du volcan (nous sommes à Pompéi), bien plus, un fond rougeoyant de guerre. L’érotisme et la mort sont toujours coexistants, disait Masson.