Ticker du 07 octobre 2022

d'Lëtzebuerger Land vom 07.10.2022

Money Power Glory

Yuriko Backes (DP) s’est mélangée mardi après-midi à une myriade de stars de l’Union économique et monétaire (UEM). La ministre des Finances libérale a retrouvé dans le salon d’honneur de la Cour de justice de l’Union européenne (photo : Sven Becker) l’ancien Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV), dont elle a été la Sherpa, et celui qui l’a précédé aux 3 et 4 rue de la Congrégation, Georges Santer (de dos). Les trois ministres ont ensuite rejoints d’illustres pairs dans la salle d’audience voisine : rien de moins que tous les présidents de l’eurogroupe ont été réunis par l’association liée à la Banque centrale de Luxembourg, Bridge Forum Dialogue, pour discuter de la monnaie unique, de son passé et de son avenir. Hommage a aussi été rendu à Klaus Regling, vice-président de ladite association et directeur général du European Stability Mechanism (ESM), en instance de départ. L’ombre de Pierre Gramegna a plané sur la conférence puisque le prédécesseur de Yuriko Backes au « minfi » (2013-2022) a raté à deux occasions l’accession à la présidence de l’eurogroupe, malgré son ancienneté parmi les ministres des Finances des pays membres de la zone euro, et puisqu’il a tout récemment renoncé à succéder à Klaus Regling, les États membres ne s’entendant pas sur son nom ou sur celui de son concurrent portugais. Celui qui l’a précédé, Luc Frieden, actuel président de la Chambre de commerce, figurait lui bien aux premiers rangs du public. Le président de la BCL et de l’association organisatrice, Gaston Reinesch, était lui déjà parti vers Chypre pour le Conseil des gouverneurs de la BCE qui s’y tenait ce mercredi (alors que son homologue Mario Centeno, ancien président de l’eurogroupe, était bien présent).

L’histoire, pas toujours paisible, de l’euro a été brossée au cours d’une table ronde. Relevons les regrets de Jean-Claude Juncker qui a, en tant que président de l’eurogroupe, lancé le Fonds européen de stabilité financière (EFSF) et mis l’Espagne, l’Irlande et surtout la Grèce sous perfusion de ce qui est ensuite devenu l’ESM. « On n’a pas toujours respecté la dignité des pays qui bénéficiaient des programmes. (…) Les populations les plus pauvres en Grèce n’ont pas compris ce que nous, politiciens européens, voulions faire », a expliqué celui qui est ensuite devenu président de la Commission européenne. « We were too lazy to explain », a conclu le Luxembourgeois. Même le très rigide Jeroen Dijsselbloem (successeur de « JCJ » à l’eurogroupe et contemporain de Pierre Gramegna et Yanis Varoufakis) a concédé des regrets au sujet des réformes exigées de la Grèce : « It was too much at the same time in a very short period. It was unrealistic for the Greek government to deliver on. » Quelques anecdotes ont égayé les discussions parfois un peu arides et convenues. Jean-Claude Juncker aurait ainsi appelé Klaus Regling un soir de juin en 2010 en pleine crise de la dette alors que le haut-fonctionnaire international venait tout juste de revenir à Bruxelles pour exercer en tant que consultant indépendant « et faire de l’argent », comme le fait remarquer le Premier ministre luxembourgeois et président de l’eurogroupe de l’époque. Le lendemain, Klaus Regling était à Luxembourg pour un entretien d’embauche devant trois ministres afin de monter une institution qui occupera les fonctions de prêteur en dernier ressort dans l’UEM : « Je n’ai jamais eu un job aussi facilement », a souri l’intéressé. Sa succession est beaucoup moins évidente. pso

Traite : le Luxembourg mauvais élève

Dans un rapport paru cette semaine, le Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (Greta) exhorte le Grand-Duché à fournir davantage d’efforts pour identifier et aider les victimes. En visite au Luxembourg à l’automne 2021, le collectif en charge du rapport a relevé un accroissement de la traite et un changement de type. Au cours de la période 2018-2021, le Greta a compté 68 victimes de traite présumées (contre 65 entre 2013 et 2017, seules vingt ont été formellement identifiées par la police). Elles étaient toutes de nationalité étrangère et venaient principalement de Roumanie (quatorze), de Chine (dix), d’Ukraine (huit) et du Portugal (sept)… ainsi que du Népal (trois). La majorité étaient des hommes, « soumis à la traite aux fins d’exploitation par le travail » (sur la précédente période, il s’agissait principalement de femmes). Est-ce par ce qu’ils ont été dépistés par les inspecteurs de l’ITM ? Les cas ont notamment été relevés dans l’horesca (quinze), la construction (quinze aussi) et le travail domestique (six). La mendicité forcée et l’exploitation sexuelle (anciennement la plus importante) sont les les autres types de traite recensés au Luxembourg par les services du Conseil de l’Europe.

Le Grand-Duché a modifié son code de procédure pénale pour lutter contre la traite, remarque le Greta. L’organe spécialisé du Conseil de l’Europe note néanmoins «  avec préoccupation » le faible taux de poursuites, l’absence de sanctions effectives et le faible recours à la saisie des biens des auteurs, « qui ont pour effet d’engendrer un sentiment d’impunité et de compromettre les efforts déployés pour encourager les victimes à témoigner contre les trafiquants ». Par ailleurs, l’extrême rareté des indemnisations des victimes par ceux qui les exploitaient participe au manque de sérieux de la politique luxembourgeoise de lutte, selon le Greta. Entre 2018 et 2020, onze personnes ont été condamnées pour des infractions de traite. Les sanctions fluctuent entre 9 et 48 mois d’emprisonnement, « et toutes étaient assorties d’un sursis », remarque le Greta qui qualifie les peines « d’extrêmement clémentes ».

L’audit du Greta a été relu et accepté par le gouvernement luxembourgeois. En fin de rapport, l’exécutif conteste toutefois le voeu formulé par le Greta de punir plus sévèrement l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et de clarifier les conditions d’octroi d’un titre de séjour à l’égard du renvoi aux frontières des ces personnes étrangères victimes de traite : « Cette recommandation semble davantage s’adresser à l’ITM », écrit la direction de l’Immigration. Cette dernière conteste néanmoins avoir mal agi dans le cas médiatisé d’un ressortissant de pays de tiers qui « aurait » dénoncé des faits de traite à la police et contre lequel un arrêté d’expulsion « aurait » été prononcé par les services de l’immigration. « Il s’agit d’un cas isolé qui s’est déroulé de façon malencontreuse », notamment à cause d’une mauvaise communication entre administrations. Mais tout est rentré dans l’ordre au final, rassure le ministère des Affaires étrangères. pso

Dream of intermediation

Les collaborateurs de la ministre des Finances et ancienne diplomate, Yuriko Backes, mettent les formes cette semaine pour répondre au député socialiste Mars Di Bartolomeo qui les interroge sur les taux appliqués par les banques sur les dépôts. « La hausse des taux d’intérêts sur les prêts accordés par les instituts bancaires à leurs clients commence à rapporter plus à ces mêmes banques et coûter plus cher aux emprunteurs. Logiquement, la hausse des taux d’intérêts devrait aussi profiter aux épargnants, » remarque le député LSAP. « Il n’appartient pas à la ministre des Finances de commenter ou de s’immiscer dans la politique tarifaire des banques de la Place » (sic), répond-on rue de la Congrégation. Le ministère des Finances renvoie néanmoins aux statistiques publiées par la BCL. Pour les sept premiers mois de 2022, les taux sur les dépôts à vue (donc la rémunération de l’argent déposé en banque et accessible à tout instant) sont restés « substantiellement inchangés », ils ont même baissé d’un point de pourcentage, passant de 0,03 à 0,02 pour cent. Idem pour les dépôts remboursables avec préavis. Ils restent à 0,03 pour cent. Les dépôts à terme culminent à 0,11 pour cent fin janvier et fin juillet, mais ont baissé jusqu’à 0,02 pour cent entretemps.

Publiés cette semaine sur le site de la Banque centrale du Luxembourg, les taux fixes pratiqués (ils sont communiqués par les banques) sur les nouveaux contrats s’établissent à 2,85 pour cent en moyenne (et ils sous-estiment largement la réalité commerciale, d’Land, 8.7.2022). Il s’agit d’un plus haut historique depuis le recensement des taux fixes en 2012 (2,75 pour cent alors). Ils s’établissaient à 1,44 pour cent en début d’année. Ils ont donc doublé. « Les banques font partie de la solution », avait inlassablement répété leur lobby, l’ABBL, au plus fort de la crise Covid-19, insistant également sur le fait qu’elles n’en étaient cette fois (en opposition avec la crise des subprimes en 2008) pas responsables. En marge de la dernière tripartite, le président de l’ABBL Guy Hoffmann (photo : sb) disait à Paperjam : « Les mesures qui ont été annoncées sont extrêmement favorables pour les ménages qui résident au Luxembourg. C’est une bonne nouvelle parce que ça va ôter énormément de soucis à la population, surtout à ceux qui sont les plus touchés par les polycrises que nous vivons ». pso

Mini sanction pour
J. Safra Sarasin

La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a fait preuve de mansuétude. Le régulateur a publié vendredi dernier la sanction administrative qu’il a adressée à la banque d’origine suisse J. Safra Sarasin le 3 août dernier pour manquement à la réglementation sur la lutte contre le blanchiment (Anti Money Laundering selon le sigle anglais). Il s’agit pour la première fois d’un blâme et il n’est pas associé à une amende. C’est le deuxième degré de sévérité (après l’avertissement) de l’arsenal réglementaire AML.

« Cette sanction a été imposée suite à un contrôle sur place que la CSSF avait débuté auprès de la Banque en 2019 et qui portait sur le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et contre le financement du terrorisme au cours duquel des faiblesses importantes ont été détectées, notamment au niveau des contrôles de type name matching et de la coopération avec les autorités », écrivent les services de Claude Marx dans leur communiqué. Mais la banque citée pour avoir accueilli des fonds litigieux de Shakira (d’Land, 10.11.2017) ou du fondateur des drogueries Müller (elle a été condamnée en novembre 2017 à l’indemniser à hauteur de 45 millions d’euros) avait déjà commencé à remédier à ses déficiences avant la visite de la CSSF et les avait corrigées, dit le régulateur, ensuite. D’où la mansuétude. pso

L’inflation se stabilise un peu

Le taux d’inflation annuelle augmente légèrement d’aout à septembre, passant de 6,8 à 6,9 pour cent, communique le Statec cette semaine. La hausse des prix pétroliers, notamment le diesel qui progresse de six pour cent et le mazout de sept, alimente l’effet haussier. Tout comme les légumes frais, qui prennent douze pour cent et les services postaux, 22 pour cent, soulignent les services de Serge Allegrezza, aussi président du groupe Post. L’entreprise publique avait communiqué en août des augmentations tarifaires « afin d’assurer la pérennité et la qualité du service universel dans un contexte de baisse structurelle continue des volumes de courrier et d’augmentation des coûts, notamment de main-d’oeuvre, d’infrastructure et de transport ». (À noter, la chute de trente pour cent des billets d’avion après la rentrée a ralenti l’envol de l’inflation)

Les prochaines publications de l’indice des prix à la consommation seront particulièrement scrutées. Si celles du 7 novembre n’informeront pas encore sur les décisions prises à la tripartite (notamment la baisse de la TVA et le paiement par l’État du surcoût énergétique) car elles n’ont pas encore été transposées dans une loi, les publications suivantes diront si le milliard dépensé pour retarder les indexations est un bon investissement (électoralement tout le moins, car écologiquement tel n’est pas le cas). pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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