Les signes d’une crise économique se précisent. Les entreprises souffrent. Selon les données du Statec publiées cette semaine, le nombre de faillites augmente peu (de treize pour cent), mais les destructions d’emplois associées progressent de 44 pour cent. 1 338 personnes sont concernées au premier semestre, contre 927 un an plus tôt. Hors holdings et fonds d’investissement, le secteur le plus affecté est (sans surprise) la construction. 102 entreprises ont mis la clé sous la porte entre le 1er janvier et le 30 juin, soit un doublement par rapport à la même période en 2022, avec 470 postes supprimés. 62 sociétés de l’horesca ont elles baissé le rideau, soit 35 pour cent de plus pour 238 emplois perdus. 104 faillites ont aussi été déclarées dans le commerce (plus six pour cent) et une centaine de salariés se retrouvent sur le carreau.
Les ménages consomment moins. C’est exactement ce que souhaite la Banque centrale européenne. Obnubilés par leur mandat d’une inflation contrôlée autour de deux pour cent, les banquiers centraux poursuivent la hausse historique des taux directeurs entamée voilà un an, de -0,5 à 3,5 pour cent, pour juguler la demande et favoriser l’épargne. Francfort prévoit une inflation de 5,4 pour cent en 2023, trois pour cent en 2024 et 2,2 pour cent en 2025. La BCE constate l’efficacité de la « transmission ». « Les effets se font progressivement sentir dans l’ensemble de l’économie », écrit-elle dans son dernier bulletin économique. À Luxembourg, le mois dernier la membre du directoire de la BCE, Isabel Schnabel, a même verbalisé cet entêtement, en disant ne pas craindre « de pécher par excès, d’en faire trop plutôt que trop peu », avait rapporté le Quotidien. Une nouvelle augmentation est déjà pressentie pour le 27 juillet et la prochaine réunion du conseil des gouverneurs. D’autres pourraient suivre.
Au-delà des faillites, des ménages croulent sous le poids de leur emprunt immobilier où les taux variables sont courants, comme en Espagne, au Portugal, en Italie, en Suède, en Grèce et bien-sûr au Luxembourg. La conséquence de l’inflation sur les remboursements n’est ici pas encore documentée, mais le marché de l’immobilier est lui bien gelé à cause de prix élevés et du coût de l’endettement. À l’étranger, des voix commencent à s’élever contre l’acharnement des banquiers centraux. Le prix Nobel d’Économie, Paul Krugman, critique cet objectif des deux pour cent, d’un autre temps. L’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, interroge lui aussi sur le taux d’inflation à viser. En cette semaine d’Ecofin et d’Eurogroupe, des ministres d’État-membres montent au créneau. Par exemple, la ministre de l’Économie de l’Espagne, autrefois pressentie pour diriger l’Eurogroupe, Nadia Calvino, demande une pause dans la hausse des taux. Un tabou se brise. La conduite de la politique monétaire menée par la BCE est voulue « indépendante ». Rappelons quand même que la nomination de sa direction est le fruit d’un marchandage politique et que le mandat de l’institution (déterminé depuis 1998) tient aussi à des négociations entre les gouvernements.
De plus, l’augmentation des prix ne tient pas à une surchauffe de la demande, mais à des développements exogènes. Enfin et surtout, le renchérissement de l’endettement éloigne la perspective des investissements nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique. Une consommation décarbonée coûtera structurellement plus cher (du simple fait du rapprochement de la production par exemple) et y parvenir demande la mise en œuvre de stratégies onéreuses. Emprunter n’a rien coûté pendant dix ans et peu a été fait pour soutenir ces investissements. Il faudrait maintenant que les gouvernements témoignent d’une inventivité hors-norme en matière de politiques budgétaires et fiscales pour soutenir le déploiement d’une économie décarbonée. Franchement, on n’y croit guère, mais on veut bien se laisser surprendre. Il faut en tout cas compter sur les autres. Le Luxembourg financier s’accommode de la politique monétaire restrictive. D’abord, les banques engrangent les revenus d’intérêts par centaines de millions. Puis, plus fondamentalement, des taux d’inflation durablement élevés dévalorisent les collatéraux pour les tenants de l’ordolibéralisme. Pour rassurer l’électorat en cette année particulière, le gouvernement bricole des aides. Une bonification d’impôts par-ci (de 18 pour cent pour les investissements écologiques et digitaux, comme annoncé cette semaine, ou le crédit d’impôt conjoncturel) ou une augmentation du plafond de déductibilité des intérêts sur les prêts hypothécaires par là (de 2 000 à 3 000 euros). Cela suffira jusqu’au mois d’octobre, mais après ?