Douche froide pour l’économie européenne. Le 8 juin, au lendemain même de la publication par l’OCDE de ses nouvelles prévisions économiques pour 2023, légèrement meilleures pour l’Europe que celles émises en mars dernier, l’organisme Eurostat, au prétexte d’une révision statistique, révélait que la zone euro était entrée en récession depuis fin mars, plombée par la situation économique de l’Allemagne. Ce qui laisse planer un doute sur la réalisation des prévisions de l’organisation basée à Paris. Mais au-delà de ses querelles de chiffres sur l’évolution conjoncturelle, des données structurelles laissent entrevoir un avenir inquiétant pour la croissance si des mesures correctives ne sont pas prises rapidement, notamment en Europe.
Le 7 juin, l’OCDE a affiné ses prévisions économiques pour 2023. Au niveau mondial, le taux de croissance prévu est désormais de 2,7 pour cent, contre 2,6 en mars dernier. Ce chiffre est tiré vers le haut par la Chine, l’Inde et l’Indonésie, toutes au-dessus de cinq pour cent tandis que les pays développés de l’Ouest se situent en-dessous du 1,6 pour cent prévu pour les États-Unis. La moyenne des membres de l’OCDE est de 1,4 pour cent et celle de la Zone euro de 0,9 pour cent. C’est bien maigre, mais mieux qu’en mars (0,8 pour cent). Et l’agrégat est surtout positif. Car le 8 juin, l’organisme statistique Eurostat a annoncé qu’au lieu de croître de 0,1 pour cent au premier trimestre, comme indiqué en avril, le PIB de la zone euro s’était finalement contracté de 0,1 pour cent pendant cette période. Comme il avait déjà reculé dans la même proportion au quatrième trimestre 2022, les conditions d’une récession (deux trimestres consécutifs de baisse) sont donc réunies. Les économistes qui n’avaient cessé de louer la résilience de l’économie européenne s’en sont trouvés décontenancés. Mais plusieurs experts ont relativisé l’impact de cette révision statistique.
D’une part, la « récession technique » ne se traduit toujours pas sur le marché du travail. Au contraire même, l’emploi a progressé de 0,6 pour cent au premier trimestre dans la zone euro, et le taux de chômage reste à son plus bas niveau historique (6,5 pour cent). D’autre part la baisse enregistrée est principalement due à l’Allemagne, qui a acté courant mai son entrée en récession, avec un recul de 0,2 pour cent au premier trimestre 2023 succédant à une baisse de 0,6 pour cent au dernier trimestre 2022. Se diffuse l’opinion selon laquelle son modèle économique serait en panne. « Elle fait moins bien que la France ou l’Italie sur la demande intérieure et moins bien que l’Espagne ou l’Italie sur les exportations, avec un recul de ses parts de marché en Chine », note un expert. L’activité économique de l’Allemagne reste inférieure à son niveau antérieur à la pandémie, alors que celle du reste du continent est bien au-dessus.
Au total huit pays de l’UE ont connu un recul de leur PIB au premier trimestre, notamment les Pays-Bas (- 0,7 pour cent) et surtout l’Irlande (- 4,6 pour cent), un pays qui avait pourtant connu une croissance de douze pour cent en 2022 ! En revanche près des trois-quarts des pays sont toujours sur une pente ascendante, avec une croissance trimestrielle parfois modeste comme en France (0,2 pour cent) ou plus tonique comme en Europe du Sud (Espagne 0,5 pour cent ; Italie 0,6 pour cent ; Portugal 1,6 pour cent). Mais les pays les plus dynamiques au premier trimestre sont plutôt à rechercher dans le Nord de l’Europe, avec en tête la Pologne (3,8 pour cent par rapport au dernier trimestre de 2002) et le Luxembourg (deux pour cent). Ces données somme toute favorables ne doivent pas faire oublier les nuages qui s’amoncellent sur la croissance à plus long terme, comme l’a révélé l’analyse historique publiée par l’OCDE début juin sur les facteurs de la croissance depuis plus de cinquante ans.
Si la croissance de la production a été divisée par deux entre la décennie 70-79 (3,4 pour cent par an en moyenne) et les treize dernières années (1,7 pour cent par an) c’est que tous ses moteurs ont ralenti, une évolution appelée à se poursuivre dans les années à venir si rien n’est fait. L’OCDE a identifié trois principales composantes du « taux de croissance de la production potentielle », l’investissement en capital productif, la population en âge de travailler et la productivité du travail. Il faut y ajouter le taux d’emploi, un facteur de moindre importance. La contribution de chaque composante a évolué avec le temps mais, à part le taux d’emploi, elles ont toutes connu un ralentissement au fil des années. Après s’être maintenu à un niveau correct jusqu’en 1999, le taux de croissance du capital productif a été divisé par 3,3 depuis le début du siècle pour atteindre le faible niveau de 0,42 pour cent par an.
L’évolution démographique générale est marquée par un vieillissement accéléré de la population. De ce fait les personnes en âge de travailler sont de moins en moins nombreuses. Le taux de croissance annuel de cette composante n’a cessé de se dégrader depuis le début des années 70 : divisé par trois, il est tombé à 0,3 pour cent. Cette tendance a été partiellement compensée par l’augmentation du taux d’emploi. Cela signifie que des personnes qui, il y a quelques décennies, n’étaient pas présentes sur le marché du travail (comme les femmes au foyer), s’y sont aujourd’hui positionnées. Le recul de l’âge de la retraite fait que davantage de personnes au-delà de soixante ans travaillent toujours. La combinaison de facteurs à l’évolution déclinante fait que leur résultante, la productivité du travail, a suivi la même pente, avec un rythme de croissance divisé par deux entre les Seventies et la décennie 2010-2022 (passant de 1,03 pour cent à 0,52 pour cent). Mais, selon l’OCDE, il augmenterait à nouveau depuis 2020, grâce au taux d’emploi, de sorte que la productivité pèse désormais quarante pour cent du taux de croissance de la production potentielle, huit points de plus que dans la décennie précédente.
Il s’agit de tendances lourdes appelées à se poursuivre et qui menacent la croissance économique à long terme, surtout en Europe, où le vieillissement de la population et la faible croissance du capital productif sont bien plus marqués que dans les autres pays membres. Pour la britannique Clare Lombardelli, économiste en chef de l’OCDE, « seules des réformes structurelles ambitieuses » peuvent les inverser et « améliorer durablement » la situation. Pour l’OCDE il faut continuer à booster le taux d’emploi, encore trop faible chez les jeunes, les travailleurs âgés et les femmes, les plus concernées. Favoriser leur accès au marché de l’emploi peut se faire par exemple en améliorant l’accès à des services de garde d’enfants abordables et de qualité, en incitant à un meilleur partage du congé parental entre les parents et en réformant les systèmes d’imposition et de prestations sociales. « Les investissements en faveur de l’égalité des genres représentent un levier important pour accroître le taux d’activité », relève l’organisation.
L’investissement public et privé doit être renforcé. La transition climatique offre une opportunité remarquable de l’augmenter avec par exemple les grands plans d’investissements décidés aux États-Unis (Inflation Reduction Act) et dans l’UE (Green Deal). Sur le plan structurel il importe de restaurer les conditions d’une vraie concurrence entre firmes. Depuis quelques années, elle a tendance à se réduire à la faveur des mouvements de fusions-acquisitions. Les situations d’oligopoles sont plus favorables aux marges qu’à l’investissement et à la productivité, tandis que la concurrence les stimule. Dans le même esprit, et fidèle à sa logique libérale, l’OCDE milite pour une réforme des régimes de faillites pour « faciliter la sortie » des entreprises les moins performantes et libérer des ressources pour les plus productives. Parmi les autres mesures préconisées, figurent des réformes fiscales, pour passer d’une fiscalité directe à une fiscalité plus indirecte avec un élargissement de l’assiette fiscale et une plus grande ouverture des marchés internationaux. Selon l’OCDE il y a là une source importante de prospérité à long terme et de croissance de la productivité pour l’ensemble des économies. Or, en 2022, plus de neuf pour cent des importations mondiales de marchandises étaient concernées par des mesures de restrictions à l’importation, contre seulement quatre pour cent en 2017.
Incertitude au Luxembourg
Selon l’OCDE, la croissance du PIB luxembourgeois ne devrait être que de 0,8 pour cent en 2023 contre 1,6 pour cent en 2022, ce qui n’était déjà pas folichon, mais remonterait à deux pour cent en 2024. En cela l’organisation installée à Paris est plus pessimiste pour l’année en cours que les résultats publiés par Eurostat pour le premier trimestre ne le laissent penser. La consommation intérieure soutiendrait l’activité, mais les exportations et surtout l’investissement privé seraient en berne en 2023 pour cause de durcissement des conditions financières envers les entreprises et les ménages. Par secteur, l’activité financière dans son ensemble serait en train de fléchir.
Pour l’OCDE, si les projections ont été revues à la baisse, c’est que « la correction qui s’annonce sur le marché du logement pourrait avoir un impact plus important que prévu sur la consommation privée. L’activité mesurée est très sensible aux prix et aux évolutions sur les marchés financiers ». L’organisation recommande aux autorités luxembourgeoises « de s’attacher en priorité à promouvoir la résilience ».
Sur le plan conjoncturel, « une légère expansion budgétaire pourrait se justifier pour soutenir la consommation à court terme » mais les aides, comme celles liées à l’énergie, devraient être supprimées à mesure que l’économie se redresse. Au niveau structurel, il importe de réformer le système de retraite pour garantir la viabilité budgétaire à long terme. Comme dans son rapport général, l’OCDE insiste sur la nécessaire augmentation du taux d’activité féminin en écrivant que « si le Luxembourg a réussi à combler l’écart salarial entre les genres, des politiques familiales consistant par exemple à harmoniser les congés de paternité et de maternité devraient être mises en place pour attirer davantage de femmes sur le marché du travail et rapprocher leur temps de travail moyen de celui des hommes ».