« Les propositions législatives d’aujourd’hui sont les plus ambitieuses présentées depuis la mise en place de la réglementation financière de l’UE ». Rien de moins. Le 24 mai cette déclaration pleine d’emphase de l’Irlandaise Mairead McGuinness, commissaire aux services financiers, à la stabilité financière et à l’union des marchés des capitaux a suscité quelque perplexité parmi les professionnels de la finance.
D’une part, les mesures annoncées par la Commission européenne devront encore être avalisées par le Parlement et le Conseil européen et mettront un certain temps avant d’entrer en application. D’autre part, le « paquet » présenté comme « ambitieux et de grande ampleur » reste assez vague sur de nombreux points et, de l’avis général, ne va pas aussi loin que l’on pouvait s’y attendre.
La préoccupation majeure de la Commission, comme des autorités financières au niveau européen mais aussi national, est que les investisseurs particuliers ne sont pas assez présents sur les marchés de capitaux, autrement dit qu’ils ne souscrivent pas assez d’instruments financiers tels que les actions, les obligations et les parts d’OPC.
Alors même que le taux d’épargne moyen dans l’UE est toujours élevé – malgré une récente tendance à la baisse – les particuliers se portent en priorité sur des placements liquides peu ou pas rémunérés. Selon une étude de l’Observatoire de l’épargne européenne menée sur cinq pays de l’UE (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie), 46 pour cent du patrimoine financier était détenu sur des comptes comptes-courants et des comptes d’épargne fin 2022 et seulement 25 pour cent en actions, obligations et OPC, un chiffre très inférieur à celui des Etats-Unis (43 pour cent).
Cette « préférence pour la liquidité » est problématique sous l’angle macro-économique car elle nuit au financement de l’économie de l’UE dans son ensemble par les capitaux privés. « Notre stratégie vise à libérer le potentiel d’investissement de l’épargne » a déclaré Mairead McGuinness. C’est l’un des trois objectifs-clés de la Commission dans son plan d’action 2020 pour l’Union des marchés des capitaux.
Plusieurs raisons expliquent la situation actuelle. En moyenne, les ménages européens font preuve d’une « éducation financière » (financial literacy) médiocre. Ils ont une forte aversion au risque et manifestent une grande méfiance vis-à-vis des marchés financiers, en raison notamment de leur volatilité. Mais la Commission considère aussi que la performance des produits financiers qui leur sont proposés, en particulier les fonds, est insuffisante par rapport à celle de l’épargne bancaire.
« Si nous voulons renforcer la participation des investisseurs particuliers aux marchés des capitaux, nous devons veiller à ce que le rendement attendu des produits d’investissement ne soit pas affecté par des coûts indus », a déclaré mi-mai l’allemande Verena Ross, présidente de l’Autorité européenne des marchés financiers (surtout connue sous son acronyme en anglais, ESMA).
Plusieurs aspects sont à prendre à compte. À commencer par le rendement du fonds, qui dépend à la fois des marchés financiers (élément non contrôlable) et du savoir-faire du gérant d’actifs. Cet élément est contrôlable, tout comme le sont les frais de gestion qui viendront « grignoter » le rendement pour déterminer la performance finale. C’est donc sur les coûts qu’il faudra jouer en priorité pour améliorer la performance. Les investisseurs sont tout à fait disposés à payer, mais pas dans des proportions excessives et, de toute manière, en sachant exactement ce qu’ils paient et pourquoi.
Le principe du « good value for money », cher aux anglo-saxons, s’applique désormais totalement aux investisseurs européens. La présidente de l’ESMA enfonce le clou en déclarant qu’il est « encore plus important que les investisseurs en aient pour leur argent dans la situation actuelle du marché, marquée par une inflation accrue et un resserrement des conditions financières ».
La Commission était très attendue sur la question des rétrocessions. Cette pratique très répandue en Europe continentale, sauf aux Pays-Bas, consiste pour les gérants d’actifs à reverser aux distributeurs de produits financiers une partie des sommes qu’ils encaissent au titre de commissions. Elle conduit logiquement les distributeurs (banques, assurances et indépendants) à proposer en priorité à leurs clients les produits qui leur rapportent le plus, mais qui ne sont pas nécessairement les plus performants pour les investisseurs.
Plusieurs études ont montré que la faible pénétration des ETF auprès des particuliers en Europe était imputable à cette pratique. Ces fonds cotés n’intéressent pas les distributeurs en raison de leurs coûts réduits et donc des faibles commissions qu’ils peuvent générer pour eux.
Le projet déjà ancien de bannir les rétrocessions suscitait une importante inquiétude en menaçant le business model des sociétés de gestion et des distributeurs, mais aussi en déstabilisant des clients peu habitués (et sans doute peu disposés) à payer des honoraires de conseil. Certains grands pays comme la France et l’Allemagne étaient vent debout contre la perspective d’une interdiction possible des rétrocessions.
En reconnaissant qu’un arrêt brutal aurait été problématique, la Commission a finalement reculé, se bornant comme d’habitude à réclamer de la part des distributeurs une plus grande transparence sur le montant des rétrocessions, car ces « coûts de distribution » peuvent parfois représenter jusqu’à 70 pour cent des frais de gestion des fonds. Pour rendre les coûts plus transparents et comparables il est envisagé « d’imposer l’utilisation d’une présentation et d’une terminologie normalisées ».
L’interdiction des rétrocessions est finalement limitée aux « ventes de produits financiers sans conseil », une situation qui désigne les cas où la souscription est à la seule initiative du client mais dont les modalités et la fréquence ne sont pas précisées. Plusieurs professionnels pensent que cette interdiction pourra être facilement contournée.
Parmi les mesures contenues dans le paquet on trouve sans surprise plusieurs dispositions visant à améliorer l’information des investisseurs de détail et à mieux les protéger contre les pratiques commerciales trompeuses.
Une meilleure information passera notamment par la garantie « que tous les clients de détail reçoivent au moins une fois par an un relevé clair de la performance de leur portefeuille d’investissement » et par la fourniture de données répondant « à la préférence croissante des investisseurs pour la durabilité ».
En matière de pratiques commerciales trompeuses, sont directement visés les influenceurs qui sont, via les réseaux sociaux, de plus en plus nombreux à inciter à souscrire des produits financiers. De nombreux abus ont été constatés (voir d’Land du 11 février 2022). La Commission souhaite établir des règles telles que la publicité fasse clairement apparaître, et de manière neutre et équilibrée, les avantages mais aussi les risques des produits affichés. Faute de pouvoir agir directement sur les influenceurs, elle propose que les sociétés qui les emploient ou les rémunèrent soient considérées comme responsables en cas de problèmes et écopent d’amendes fixées par les autorités nationales de surveillance.
Plus généralement les intermédiaires financiers seront considérés comme pleinement responsables de l’utilisation, y compris abusive, faite de leur communication commerciale, surtout sur les médias sociaux.
La Commission insiste sur l’obligation de « maintenir des normes élevées en matière de qualification professionnelle des conseillers financiers ». Dans ce domaine des actions d’envergure ont été entreprises en Europe depuis 2010, mais plusieurs études montrent la persistance de lacunes dans la connaissance des produits financiers et des mécanismes de fonctionnement des marchés financiers, qui évoluent rapidement. La « fibre pédagogique » des conseillers doit aussi être développée.
Mais pour la première fois, la Commission met aussi l’accent sur l’importance de la culture financière des clients, comme condition pour leur permettre de prendre de meilleures décisions financières, et notamment de se porter davantage sur les marchés financiers. Les États membres sont invités à mettre en œuvre ou à développer des mesures nationales propres à rehausser le niveau d’éducation financière de leurs citoyens « quels que soient leur âge, leur milieu social et leur niveau d’instruction ». Une mission relativement facile à accomplir en direction des plus jeunes mais plus ardue, dans ses modalités, vis-à-vis de publics adultes (d’Land du 27 mai 2022 et du 31 mars 2023).
La Commission a déjà fait savoir qu’au terme d’un délai de trois ans, les mesures annoncées pourraient être rendues plus strictes si, après une évaluation de l’impact du paquet proposé, il apparaissait que les objectifs recherchés, à savoir une plus grande présence des épargnants sur les marchés financiers et une baisse des coûts d’investissement, n’étaient pas suffisamment atteints. Selon plusieurs experts cette annonce vise à préparer les esprits à une disparition progressive des rétrocessions.
Coûts indus
Le 17 mai, soit une semaine avant la publication du « paquet » l’ESMA avait adressé à la Commission un avis recommandant de clarifier la notion de « coûts indus » dans le droit des valeurs mobilières. Un « examen de conformité » mené par l’ESMA en 2021 avait révélé des disparités dans les réglementations encadrant les coûts des fonds sur différents marchés, ce qui selon le régulateur introduit des distorsions de concurrence au détriment des épargnants. Cela peut notamment conduire à différents niveaux de protection des investisseurs selon le lieu où un fonds ou un gestionnaire de fonds est domicilié. Une harmonisation des dispositifs permettrait de mieux les prémunir contre des coûts excessifs. De ce fait l’ESMA appelle à des modifications législatives des directives OPCVM et AIFM dont les textes commencent à dater.