Le 7 novembre dernier, l’Organisation internationale de la vigne et du vin publiait les premières statistiques de production de l’année 2023 : La production mondiale de vin a été la plus faible de ces soixante dernières années. Le climat extrême auquel ont été confrontés les vignobles de l’hémisphère Sud est la cause principale de cette baisse de production. La sonnette d’alarme est tirée : Avec le changement climatique, certaines régions du monde risquent de ne plus pouvoir produire de vin de façon rentable. À l’inverse, d’autres régions pourront se lancer dans une nouvelle activité viticole. En d’autres termes, « Le changement climatique modifie la géographie du vin, il y aura des gagnants et des perdants », résume Cornelis van Leeuwen, professeur de viticulture à Bordeaux Sciences Agro face de l’AFP.
Il a mené une étude, publiée dans la revue Nature Reviews Earth & Environment, synthétisant des informations existantes sur les effets du changement climatique – chaleur et sécheresses accrues, évolutions des parasites et des maladies. Il conclut à un risque « substantiel » pour au moins la moitié des régions de perdre l’aptitude à produire du vin de manière qualitative et rentable. D’un autre côté, entre dix pour cent et un quart des régions où la vigne est déjà implantée pourraient voir leur production s’améliorer, et de nouvelles régions viticoles pourraient émerger à des latitudes et altitudes plus élevées. Le chercheur cite la Grande-Bretagne ou la Belgique, où la viticulture est encore embryonnaire. Mais le Luxembourg est également de la partie.
Il y a à peine une quarantaine d’années, les raisins luxembourgeois avaient parfois du mal à atteindre des maturités suffisantes et les taux de sucre minimum imposés par la Marque nationale (qui diffèrent selon les cépages). Aujourd’hui, les vendanges sont nettement plus précoces et les raisins affichent jusqu’à deux fois plus de sucre que lors de ces mauvaises années. Les vins luxembourgeois seraient donc les gagnants du changement climatique – les étés chauds ayant un effet positif sur la qualité des vins. Mais de nouveaux défis apparaissent. Si le jus de raisin contient trop de sucre, la teneur en alcool du vin augmente, ce qui lui fait perdre la légèreté ainsi que l’acidité typique des vins de la Moselle luxembourgeoise. Quand des pics de sécheresse succèdent à des pluies torrentielles et incessantes, les maladies cryptogamiques (causées par des champignons : mildiou, oïdium et botrytis sur les feuilles et les fruits, esca sur le bois) se développent plus rapidement et nécessitent des traitements. L’Institut viti-vinicole (IVV) mène des recherches sur plusieurs fronts et de nombreux vignerons expérimentent des solutions techniques pour s’adapter aux défis.
« Il y a des réflexions à mener et des solutions à mettre en place tout au long de la vie de la vigne et du cycle de production du raisin, depuis l’encépagement, jusqu’aux vendanges en passant par la taille », entame Corinne Kox. Cette spécialiste de la biologie moléculaire a repris le domaine familial (Laurent et Rita Kox, à Remich) depuis 2019. Elle ne veut pas seulement considérer la vigne comme un lieu de production, mais y voir un véritable écosystème. Ainsi, en 2021, elle démarre le projet de vitiforesterie « Orchard ». Il s’agit de planter des arbres au milieu des rangs de vignes. Avec plusieurs cultures regroupées sur une même parcelle, la biodiversité est stimulée et la qualité du sol s’en trouve améliorée. Un projet de recherche pour évaluer les effets des arbres dans le vignoble sur le microclimat, la teneur en eau du sol et la physiologie de la vigne est mené avec le List. Des vignobles voisins, côté allemand, ont déjà montré que les arbres améliorent les ressources en eau et en nutriment. À terme, la canopée apportera aussi de l’ombre aux vignes.
Trois parcelles sont plantées avec des espèces différentes selon leurs spécificités. Une terrasse plein sud reçoit des figuiers et des herbes aromatiques, une pente bien exposée accueille des arbres fruitiers et un plateau orienté au nord se pare d’espèces locales, comme des cerisiers, des pruniers, des poiriers ou encore des pommiers. « Nous plantons d’autres arbre tous les ans. Cette charge de travail supplémentaire déterminera à quel rythme et à quels emplacements on pourra continuer », indique Corinne Kox.
La vitiforesterie est également à l’étude à l’IVV où une parcelle a été plantée d’arbres sélectionnés par l’Administration de la nature et des forêts. Pour répondre aux conditions météorologiques parfois extrêmes, l’IVV se penche aussi sur les problèmes liés au manque d’eau. L’absence de pluie pendant les mois d’été peut avoir une influence négative sur les rendements (les baies sont plus petites et contiennent donc moins de jus). L’irrigation est une option, notamment pour les jeunes vignes, plus vulnérables au stress hydrique car leurs racines s’enfoncent moins profondément dans le sol. Des bassins de récupération d’eau, remplis en hiver, serviraient de réservoirs en été. Dans les vignobles expérimentaux de l’IVV, il a aussi été testé d’enlever complètement les grappes de jeunes vignes à un moment précoce : une année sans production de raisin doit permettre de réduire l’impact de la sécheresse l’année suivante. L’effeuillage est aussi recommandé : si une vigne a moins de feuilles, son activité photosynthétique diminue et elle consomme moins d’eau. « Nous venons aussi de planter un vignoble d’essai avec des porte-greffes – c’est-à-dire des racines – de cépages méridionaux qui sont plus résistants contre la sécheresse. On les combine avec nos cépages traditionnels », explique Serge Fischer, le directeur de l’IVV au Land.
Les viticulteurs peuvent aussi adapter leurs techniques, notamment au moment de la taille. Suivant l’exemple de ce qui se fait au Sud-Tyrol, Corinne Kox adpote la « taille douce », basée sur le flux de la sève. « Plutôt que de couper simplement pour que la vigne aille droit, on réfléchit à couper pour laisser à la sève son trajet naturel, dans le respect du fonctionnement de la plante », détaille-t-elle. Cela demande une formation spécifique et un travail plus différencié de chaque pied. Mais, cette technique, plus respectueuse de la nature, permet d’éviter les « plaies de taille », donc le bois mort où se développe l’esca et les autres maladies du bois. La taille apporte aussi un feuillage plus homogène et moins dense où l’humidité est mieux répartie, ce qui fait baisser le risque de maladies cryptogamiques.
La floraison précoce liée aux hausses de température entraîne une phase de maturation plus courte. Par exemple, au cours des dix dernières années, la floraison du cépage Rivaner a débuté en moyenne treize jours plus tôt que dans les années 1970. Outre la précocité de la floraison, on a enregistré pour ce cépage une avance de 17 jours dans la maturation en dix ans. Mûrs plus rapidement et plus tôt, on peut craindre que les raisins n’aient pas développé tous leurs arômes. Surtout, la teneur en alcool du vin risque d’être trop élevée. Le risque est d’aller vers des vins plus lourds, qui manquent de finesse et de fraîcheur. « La vigne est une liane qui veut toujours monter plus haut », explique la vigneronne. Dans la mesure de la main d’œuvre disponible, elle essaye aussi de ne plus étêter les vignes, mais d’en faire des tresses. Cela a pour conséquence de décaler la phase de maturation, ce qui se traduit par une teneur moins élevée en sucre du raisin et une quantité moins importante d’alcool dans le vin.
L’encépagement est un des axes de recherche à long terme. Des cépages à maturation tardive comme le Grüner Veltliner, très répandu en Autriche, ou des rouges, tels que le Cabernet Sauvignon et le Zinfandel peuvent être récoltés plus tard, jusqu’à onze jours de décalage par rapport au Pinot noir, avec des densités du moût comparables. Les cépages plus méridionaux comme le merlot connaissent un succès grandissant à la Moselle luxembourgeoise où de nombreux domaines ont déjà franchi le pas (L&R Kox, Schumacher-Knepper, Schmit-Fohl, Desom, Leuck-Thull ou Vinsmoselle par exemple).
Les « nouveaux » cépages interspécifiques sont une autre piste de recherche. Il s’agit de cépages issus d’un croisement entre la vigne européenne (Vitis vinifera) et des espèces de vignes américaines (Vitis labrusca ou rupestris) ou asiatiques (Vitis amurensis par exemple). Ces dernières étant particulièrement résistante aux maladies cryptogamiques. Le recours à ces cépages résistants constitue le premier moyen de lutte contre ces maladies et un des principaux leviers agronomiques pour réduire l’usage des fongicides et autres produits phytosanitaires. Les premières variétés sont essentiellement originaires d’Allemagne ou de Suisse, la France étant toujours restée timide en la matière, surtout pour des raisons de cahier des charges. Citons en vrac, le Voltis (désormais admis pour les assemblages de champagne), le Bronner, le Johanniter, le Solaris, le Sauvignac, le Cabernet blanc ou le Pinotin.
« L’expression aromatique de ces cépages est relativement neutre. Ils sont plutôt à considérer dans des cuvées d’assemblage, notamment dans les crémants », indique Serge Fischer. Il note que l’IVV a planté du Bronner dès 1992 et montre les différents rangs soigneusement étiquetés aux noms insolites de ces hybrides. Pour le directeur de l’IVV, il n’est pas question de remplacer les vins de terroir, mais d’offrir des solutions innovantes. Le domaine L&R Kox a planté un hectare avec du Sauvignac, du Cabernet blanc et du Pinotin depuis 2010. « Ce n’est qu’un douzième de nos parcelles, mais les résultats sont prometteurs car elles nécessitent moins de travail et moins de traitement », s’enthousiasme Corinne Kox. Cependant, elle note une réticence de la part des clients et estime qu’un effort de communication et d’éducation doit être mené. « Au fil des années, l’expression du terroir se manifeste plus et nous pouvons vinifier ces cépages robustes sans les assembler. Il faut les goûter pour les aimer. »
Ces adaptations porteront leurs fruits à long terme : Un viticulteur plante toujours un vignoble dans le but de pouvoir l’exploiter pendant trente à quarante ans. Les recherches actuelles et futures, les stratégies d’adaptation vont aider à la prise de décision pour assurer l’exploitation durable des vignobles du pays dans des conditions climatiques changeantes.