« On n’écrit pas sur les trains qui arrivent à l’heure », dit un vieil adage journalistique. Il n’empêche que ces dernières semaines, la presse parle bien plus de fermetures de magasins que d’ouverture. Rien que dans le quartier Gare, les rideaux se baissent sur des enseignes telles que la boucherie Emo, le supermarché Alima, le magasin de vêtement Akabobuttek. Dernière en date, la boutique de prêt-à-porter féminin Bagatelle faisait un aveu de faillite le 27 mars dont la publication au registre du commerce et des sociétés a suivi le 3 avril. Le fait que sa propriétaire, Angélique Bartolini soit conseillère communale (CSV) à la Ville de Luxembourg n’est sans doute pas anodin quant à l’émoi suscité par la nouvelle. La Française, qui avait ouvert sa boutique en 2018, explique face au Land : « J’ai tout tenté, des réductions d’effectif, de la vente en ligne, de la seconde main. J’ai cherché dans la nouvelle loi sur la faillite les mesures pour préserver les entreprises. Mais avec une perte de trente pour cent de chiffre d’affaires en 2023, il était impossible de remonter la pente ».
Elle pointe divers facteurs qui ont eu raison de son commerce : le changement de circulation dans sa rue (la rue Dicks) et les importants travaux sur le coin, l’incendie du parking des Martyrs qui n’a toujours pas rouvert (« mes clientes venaient se garer, c’était plus facile pour elles pour faire du shopping avec leurs enfants en poussette »), augmentation du loyer et des charges, la concurrence des franchises, des centres commerciaux et l’inflation. Bagatelle suit de quelques jours la fermeture d’une autre boutique indépendante, au centre-ville cette fois, Manalena qui avait déjà jeté l’éponge avenue de la Liberté, espérant que la Grand-rue lui serait plus favorable. « Le secteur du textile en particulier, connaît une évolution difficile : entre la fast-fashion et le luxe, il n’y a plus de place », dénonce Angélique Bartolini.
Dans le baromètre économique de la Chambre de commerce pour le premier semestre 2023, le domaine du commerce apparaissait moins confiant dans ses perspectives que l’économie luxembourgeoise dans son ensemble. C’est un secteur directement lié au pouvoir d’achat de ses clients et où la prévisibilité est difficile.
Paru en février, le Retail report de l’Observatoire des PME mettait en évidence une évolution en demi-teinte. Au Luxembourg, une entreprise sur deux est un commerce, soit 7 600 entreprises, dont moins de la moitié (3 275) sont des commerces de détail. Leur nombre légèrement augmenté depuis 2019 (+2,4 pour cent) mais stagne en 2023. Dans le détail, on observe que les magasins d’alimentation, 21,1 pour cent de l’ensemble, ont connu une croissance de 17 pour cent entre 2019 et 2023, alors que dans le même temps, le nombre de boutiques de vêtements (20,5 pour cent des commerces), a baissé de 2,8 pour cent. Seuls les secteurs de la télécommunication, du textile de maison et des fleurs sont en moins bonne posture.
Autre phénomène notoire, et fustigé par de nombreux commerçants, plus de deux tiers des surfaces de vente sont utilisés par des succursales ou des franchisés, un chiffre en hausse de près de huit pour cent depuis 2019. Cela représente un peu plus de la moitié des commerces de détail en général. Sans surprise, la « succursalisation », touche particulièrement le secteur des vêtements où cette part grimpe à 61 pour cent. Cela dit, les franchises ne sont pas à l’abri des fermetures comme le montre les faillites récentes des boutiques Signorini Tartufi, du réseau de magasins de chaussures Minelli ou de vêtements pour enfants Sergent Major. En début de semaine, on apprenait que la marque de vêtements Esprit déposait son bilan en Belgique et fermait ses quinze magasins gérés en propre après avoir mis la clé sous la porte en Suisse et liquidé quarante magasins en Allemagne. Le sort de la demi-douzaine de magasins au Luxembourg n’était pas encore connu au moment du bouclage.