Obligés de fermer lors de la pandémie, les restaurants et les bars ont d’abord perdu leurs clients, puis leur personnel, pour ensuite voir leurs marges rognées par l’augmentation du prix de l’énergie et des matières premières. À 35 ans, Steve Martellini a du pain sur la planche.
d’Land : Vous arrivez à la direction de l’Horesca après seize ans dans la gestion de restaurants. Que vous apporte cette expérience de terrain ?
Steve Martellini : C’est forcément un avantage de savoir de quoi on parle : la comptabilité, le personnel, les fournisseurs, les clients… Tous les aspects qui doivent être géré au jour le jour, je les connais et je peux en parler avec nos membres. Je suis vice-président de l’Horesca depuis 2020. François Koepp a annoncé en décembre qu’il voulait lever le pied. Alain Rix, notre président, m’a proposé au conseil d’administration, pour lui succéder, ce qui été accepté à l’unanimité.
Vous êtes aussi membre du DP, le même parti que les ministres de votre ressort, Lex Delles à l’Économie et Eric Thill au Tourisme. Vous avez l’impression d’être mieux entendu, mieux soutenu ?
Je ne pense pas que cela joue un rôle. Je n’ai pas de mandat au Parti démocratique. Je me suis engagé au DP parce qu’en tant qu’indépendant, c’était le parti qui me semblait le plus à même de défendre nos intérêts. Alors, bien sûr, je connais les deux ministres, mais ce ne sont pas les seuls avec qui je dois travailler. J’ai eu récemment un rendez-vous avec le ministre des Finances, Gilles Roth ou celui du Travail, Georges Mischo, tous les deux CSV.
L’Horesca, est une large fédération. Quelle est son degré de représentativité ?
On peut dire qu’environ la moitié des 2 400 entreprises du secteur sont membres1. En fin d’année, on sera sans doute à 1 350 ou 1 400 membres. Il faut dire que le secteur est très diversifié avec non seulement des hôtels et des restaurants mais aussi des snacks, des food trucks, de toutes petites entités. Mais, en fin de compte, quand on se bat pour nos membres, on œuvre pour toute la profession.
Pendant la période de la pandémie de Covid, beaucoup de restaurateurs ne se sentaient pas représentés, pas soutenus par l’Horesca. Pensez-vous que ce sentiment était justifié ?
À mon avis, on n’a sans doute pas assez communiqué sur ce qui a été fait. Car, en fin de compte, on a beaucoup travaillé et obtenu des aides bien supérieures à ce qui a été proposé dans d’autres pays. La communication avec les membres est une de mes priorités : aller sur le terrain, parler avec les gens, entretenir une relation avec eux. Je vais leur rendre visite, leur proposer de prendre rendez-vous pour discuter de leurs problèmes et réfléchir à des solutions pratiques, rapides avec eux.
L’Assemblée générale qui a eu lieu la semaine dernière a renouvelé une partie du Conseil d’administration. Il reste très luxembourgeois par rapport à un milieu qui est très international, où beaucoup d’étrangers sont salariés mais aussi beaucoup sont patrons. Cela n’expliquerait pas cette impression d’être peu représenté ?
C’est possible. Mais dans le CA, on ne cherche pas la nationalité, mais plutôt un mix des différents secteurs. On est ouverts pour tous ceux qui veulent travailler avec nous, par exemples à travers des groupes de travail spécifiques, ouverts sur des sujets précis.
La note de conjoncture du Statec estime que le chiffre d’affaires du secteur remonte au niveau d’avant-Covid. Le Retail Report parle de « relative robustesse ». Comment voyez-vous la santé du secteur ?
Le Covid a été très dur, surtout au début où il fallait fermer et que les aides n’étaient pas encore en place. Même avec les aides, c’était difficile pour beaucoup. Certains patrons ont payé les vingt pour cent de salaire que le chômage partiel ne couvrait pas, beaucoup ont dû s’acquitter de leurs loyers malgré tout… La crise énergétique nous est tombée dessus alors que les caisses étaient vides. Les prix des matières premières, de l’énergie ont énormément augmenté, et il y a eu plusieurs index à assumer. D’un côté, l’index est une bonne chose car avec du pouvoir d’achat, les clients vont plus au restaurant. Mais d’un autre côté, cela pèse très lourd dans les charges. Aujourd’hui, les clients reviennent, surtout les week-ends, mais les marges sont en baisse. Actuellement, on gagne entre trois et cinq pour cent de marge dans les restaurants et entre sept et dix pour les hôtels. Ce n’est pas assez pour investir dans le futur et ni pour gagner sa vie à long terme.
Commençons par les hôtels. De grands groupes internationaux comme Accor ou Marriott investissent à Luxembourg. Vous voyez cela d’un bon œil ?
Il est clair qu’il n’y a pas assez d’hôtels et qu’il faut augmenter les capacités, surtout dans les régions. Pour ouvrir un hôtel, il faut des fonds propres considérables. Seuls les grands groupes peuvent se permettre les investissements nécessaires. On peut donc se réjouir de ces apports internationaux. Pour les hôtels de famille, c’est plus difficile. Les marges étant basses, c’est compliqué de rester attractif, de se moderniser, de rénover les chambres. Les aides à l’investissement ne sont pas suffisantes quand on voit ce qui se fait ailleurs, en Autriche par exemple.
Le ministre du Tourisme vient de remettre les classifications aux hôtels. Quelle est l’importance de ces catégories ?
Je crois que ces classifications sont vraiment un bon outil qui exprime clairement le niveau de qualité. Il reste à faire en sorte que cet outil soit mieux connu et partagé. Par exemple, en Allemagne, ils se battent contre les plateformes comme Booking pour que les catégories officielles soient les seules à afficher des étoiles. Cela augmente la visibilité de ceux qui ont fait la démarche de classification.
Passons aux restaurants. Entre ouvertures et fermetures, quelle est la tendance du marché?
Je suis formateur à la House of Training qui propose des cours pour l’accès à la profession. Il y a environ 300 personnes par an qui suivent ces cours. Tous ne vont pas ouvrir un restaurant, mais ça montre la vitalité du secteur. En même temps, c’est de plus en plus compliqué de gérer un restaurant, surtout pour les questions administratives. Là où on passait une journée sur les dossiers administratifs, on a besoin de cinq jours maintenant. En plus, les hausses des prix dans tous les domaines touchent les restaurants alors qu’ils n’exercent aucune influence dessus. Ils n’ont plus de vis à tourner : On ne peut plus augmenter les prix des plats car les clients ne viendraient plus et on ne peut pas baisser les salaires. Pour tenir le coup, il faut être très attentif aux chiffres. Connaître ses coûts et ses rentrées au jour le jour. Avec des marges si réduites, chaque erreur peut être fatale. Certains restaurants ferment quelques jours par semaine pour réduire les frais et aussi parce qu’ils n’ont pas assez de personnel.
Les difficultés de recrutement persistent. Que pouvez-vous faire ?
L’Horeca est un des seuls secteurs qui recrute des gens non qualifiés. Bien sûr, on fustige les horaires, le travail le soir, les week-ends, mais on oublie d’autres secteurs où on travaille aussi comme ça, la santé ou la police par exemple. Il faut trouver des moyens pour améliorer l’équilibre avec la vie privée. De plus en plus de restaurants fonctionnent en continu pour éviter la coupure, ce qui est très difficile pour les petites entreprises. Nous avons eu un rendez-vous avec le ministre du Travail pour parler de la flexibilisation des heures de travail et du personnel en extra. On a notamment évoqué l’idée d’un compte épargne temps. Les heures supplémentaires pourraient être inscrites sur ce compte et servir au besoin. Ces heures ne seraient donc pas taxées. Une autre piste tourne autour du logement. C’est très difficile de faire venir des gens qui ne pourront pas se loger parce que c’est trop cher. Certains patrons ont la possibilité de proposer des chambres ou des appartements. C’est clairement un plus, notamment pour attirer les profils les plus qualifiés qui sont les plus difficiles à recruter.
Vaut-il mieux ouvrir un petit établissement avec peu de tables et peu de personnel ou des grands restaurants avec beaucoup de couverts ?
Je pense que les deux ont leur chance. On assiste aujourd’hui à une importante concentration, avec des groupes de plus en plus gros. C’est plus facile pour le personnel car on peut les faire passer d’un établissement à l’autre, en fonction des congés ou des maladies. Ils peuvent aussi travailler sans coupure ou prester les quarante heures sur quatre jours. À l’inverse, les toutes petites structures fonctionnent bien parce que les coûts, de main d’œuvre et de loyer, sont moindres. C’est entre les deux que c’est le plus difficile.
Quelles tendances observez-vous dans les types de cuisine ?
On voit fleurir de nouveaux concepts, comme les bowls ou les ramens, mais parallèlement, la cuisine traditionnelle, comme un cordon bleu ou une bouchée à la reine, a toujours du succès. La part qui a énormément augmenté, selon des statistiques récentes ce sont les fast-foods, surtout chez les jeunes. Il s’agit bien sûr de manger vite, mais c’est aussi une question de la puissance du marketing de ces enseignes. De l’autre côté, on observe que les restaurants de haut de gamme, gastronomiques, gardent de l’attractivité, mais les clients ont changé. Le ticket moyen a baissé : on choisit entrée ou dessert, on ne prend plus une deuxième bouteille de vin ou pas de digestif.
Seriez-vous favorable à plus de transparence sur les menus ?
Nous avons déjà créé le label Hausgemaach qui offre à la clientèle une certaine transparence. C’est une charte qui engage sur l’utilisation de produits locaux et saisonniers, la préparation des plats sans additifs et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais il reste toujours des clients qui râlent s’il n’y a pas de tomates en hiver ou qui veulent des moules toute l’année. C’est une éducation et une sensibilisation à faire. On a demandé un rendez-vous avec le ministère de l’Agriculture pour en discuter, pour voir comment valoriser les producteurs locaux et les restaurateurs qui travaillent leurs produits. D’un autre côté, il y a chez les fournisseurs des rayons entiers de plats déjà préparés ou de sauces toutes faites… Je comprends que c’est facile d’acheter un tel plat surtout pour les petites structures qui n’ont pas vraiment de main d’œuvre, une très petite cuisine et veulent quand même proposer un plat du jour : on le chauffe, on sait exactement le prix de revient, on n’a pas besoin de calculer grand-chose et on peut le vendre à un certain prix. Mais les clients sont plus exigeants.
Il y a de plus en plus de franchises internationales qui s’installent et moins d’indépendants locaux…
C’est vrai. C’est un phénomène qui existe dans toutes les grandes villes ou centres commerciaux. Ces groupes ont des moyens pour payer les loyers et s’attirent la confiance des propriétaires et promoteurs car ils sont connus. C’est particulièrement vrai à Luxembourg où les loyers ont augmenté énormément. La solution des pop-ups proposée par la Ville est une bonne idée, mais il faut en limiter la durée. Sinon, ça devient une concurrence déloyale.
Finalement, la dernière syllabe, c’est le café. Le nombre de cafés est en baisse continue depuis des années. Vous avez des propositions à ce sujet ?
C’est une bonne question. Les modes de vie ont changé. Par exemple l’apéritif du dimanche a presque disparu. Mais surtout, c’est très difficile de vivre de l’exploitation d’un café. Nous avons calculé que sur une bière vendue à 3,5 euros, il ne reste que 17 centimes de marge2. À côté, une carte de snacks ou de petite restauration, ça aide, mais pas beaucoup.
Le pouvoir des brasseries qui détiennent les licences de cabaretage est-il un frein au développement du secteur ?
Les brasseries ne sont pas les seules à les détenir. Il est aussi possible d’acheter une licence auprès du ministère des Finances. C’est très peu connu. Le ministre nous a promis une réponse rapide pour éclaircir et faciliter les choses et faire en sorte que les règles et les prix soient compris et communiqués. De plus en plus de communes mettent aussi des locaux à disposition avec un loyer plus bas. C’est une plus-value pour un village. Je pense qu’il faut que ce soit limité dans le temps et que les conditions d’attribution soient transparentes. Les grands groupes ne devraient pas pouvoir exploiter ces lieux par exemple, qui devraient être loués à de jeunes entrepreneurs.
La concentration des distributeurs et dépositaires va-t-elle changer la donne ?
Beaucoup de cafetiers nous ont exprimé leur peur de voir les prix augmenter. Munhowen nous a assuré que ce ne serait pas le cas. Les exploitants gardent leurs contrats et le choix de la bière ou de l’eau qu’ils vendent. Nous restons attentifs et en discussion pour observer les changements qui vont se produire.