Depuis le début de l’année, les annonces de cessation d’activités de commerces se succèdent à Luxembourg-Ville. Pit et Véronique Wanderscheid ont fermé leur boutique de la rue du Fossé et leur atelier gourmand de la rue du Curé. Tout près de là, Signorini Tartufi a baissé le rideau. La semaine dernière, la Table du Pain a fait faillite, laissant deux emplacements vides. Joslet a mis la clé de son local de la rue du Fort Neipperg sous la porte. Dans les mois qui ont précédé, on a vu des enseignes internationales comme Cop Copine, Riverwoods ou Side Steps fermer boutique. « La situation est difficile depuis le Covid et ne remonte pas autant qu’elle a baissé », analyse Fabrice Kreutz, agent immobilier spécialisé dans les commerces. Il dénonce en vrac, la concurrence des centres commerciaux et de la vente en ligne, les travaux, les rues fermées à la circulation ou les difficultés de recrutement. Nombre de commerçants se souviennent des heures noires de 2013 où vingt boutiques avaient fermé d’un coup à la suite de la faillite de Fred Castera et Pascal Einhorn (FCPE). Un traumatisme qui est encore dans les mémoires et que personne ne veut revivre. L’image de la capitale se trouve d’autant plus affectée par les fermetures que l’on a affaire à une sorte de cercle vicieux, les clients ayant tendance à délaisser les rues où ils ne trouvent pas assez de magasins pour faire leurs achats.
Le paysage de la capitale est aussi touché par le phénomène des franchises et chaînes internationales qui uniformise l’offre commerciale. La Grand-Rue ressemble à n’importe quelle rue piétonne de n’importe quelle ville moyenne. On y trouve les mêmes enseignes que partout. « Les propriétaires préfèrent louer à des groupes internationaux, réputés plus solides et plus sûrs financièrement », justifie l’agent immobilier. Il constate cependant que certains locaux ne trouvent pas preneurs, « quand ils ne correspondent pas aux standards imposés par les franchises ». Spécialiste du retail au sein du réseau JLL, Anouchka Defalque traite généralement avec des groupes internationaux. « Le marché reste actif, il y a toujours de la demande pour les adresses premium ». Elle calcule que les loyers se situent entre 120 et 180 euros du mètre carré dans les rues les plus demandées. Des prix bien trop élevés pour qui veut monter une nouvelle affaire. Les commerçants indépendants ou les jeunes entrepreneurs ont bien du mal à trouver des emplacements abordables et des propriétaires qui les prennent au sérieux.
Depuis fin 2019, la Ville de Luxembourg essaye d’apporter une réponse à ces deux aspects en proposant des pop-up stores à la location. « L’initiative a été lancée par Serge Wilmes quand il était Premier échevin et en charge du commerce », rappelle Maurice Bauer (CSV) qui lui a succédé. Le but est à la fois de revitaliser les commerces vides et de donner l’occasion à de nouveaux venus de se lancer dans une aventure commerciale en prenant peu de risques. « Cela permet aux jeunes entrepreneurs, aux start-ups ou aux créateurs de tester leur produit ou leur service et de voir s’ils sont bien faits pour ce métier », commente Francine Lies de la Cellule de développement économique et commercial de la Ville de Luxembourg. Elle présente le bilan chiffré de ces quatre années d’activités éphémères : 67 entrepreneurs ont profité d’un pop-up loué par la Ville, dont 26 en 2023, à travers seize emplacements. Le phénomène prend de l’ampleur puisque 109 candidats se sont manifestés pour dix espaces en 2023, contre 89 l’année précédente.
Le système séduit et fait même des émules, sans l’intervention de la Ville. Maïté van der Vekene a ouvert son septième pop-up cet hiver avec sa marque de bijoux et objets de décoration Makimba et Marilou. « J’ai bénéficié deux fois d’un local loué par la Ville, mais les autres fois, je me suis débrouillée seule. Quand je vois un local vide, je contacte le propriétaire et je propose un loyer pour un ou deux mois », détaille-t-elle. Elle essuie forcément des refus, surtout quand le local vient de se libérer, mais certains bailleurs la recontactent après coup. « Un magasin qui reste vide, ça le dévalorise et il risque de se dégrader. Moi, souvent, je donne un coup de peinture, je fais vivre le lieu. » Cela permet à la commerçante de passer du temps à l’étranger pour rechercher des artisans et des produits. « Je ne pourrais pas avoir une boutique à l’année, car je devrais embaucher quelqu’un quand je m’absente, et ça je ne peux pas me le permettre. »
Du côté des propriétaires aussi, la location à court terme apparaît comme une solution transitoire. « La vacance est redoutée par tous, surtout dans les centres commerciaux qui attirent par leur offre très large. On a vu des pop-up au Royal Hamilius ou à la Cloche d’Or. Cela permet de combler un vide locatif en attendant un occupant à long terme », souligne Anouchka Defalque de chez JLL. Elle a ainsi accompagné une marque belge de vêtements biologiques qui voulait tester le marché luxembourgeois. Après quelques mois dans un centre commercial, les responsables cherchent maintenant à s’implanter au centre-ville.
Dans la liste des occupants temporaires on trouve quelques concepts originaux, comme la vente de vélos, de peluches ou d’accessoires pour animaux domestiques, mais « la mode et la décoration sont les secteurs les plus représentés, suivis par les bijoux et les produits artisanaux », détaille Maurice Bauer. Les critères de sélections valorisent pourtant le « caractère novateur » des propositions commerciales et « la complémentarité par rapport à l’offre existante », affirme le Premier échevin. Il espère ainsi diversifier l’offre et attirer une « clientèle intéressante ».
« Sur le papier, l’idée est séduisante, mais dans les faits, on voit souvent les mêmes noms, les mêmes types de magasin dans une sorte de carrousel qui, certes remplit ponctuellement les espaces vides, mais n’apporte pas de vitalité commerciale à long terme », regrette Maxime Miltgen, conseillère communale (LSAP). Maurice Bauer rétorque qu’un quart des commerçants qui se sont lancés dans un pop-up store ont pu s’établir sur le marché privé classique. C’est le cas de Debbie Kirsch et de sa boutique Devï avec ses kimonos, vestes et robes fabriqués par des femmes en Inde (lire son portrait dans d’Land 20.10.2023) ou de Liana Marinescu avec son Tipptopp un atelier créatif pour enfants. Des success stories montées en épingle par l’échevin chaque fois qu’il parle de commerce.
Tous n’ont pas eu cette chance. Avec sa marque de bijoux Romantico Romantico, Fanny Bervard espérait occuper durablement le pop-up du 26 rue des Capucins, un emplacement bien situé et une boutique à la taille qui lui convenait. Elle investit même un peu d’argent pour redonner du lustre à l’endroit, arrachant la moquette défraîchie et repeignant les murs qui étaient noirs. « J’ai longuement discuté avec le propriétaire qui semblait intéressé, mais en définitive il voulait continuer à louer à la Ville qui lui assure plus de sécurité ». Un cas de figure plusieurs fois entendu qui allègue une distorsion de concurrence et dévoie le principe de l’éphémère. Le Premier échevin estime plutôt qu’il s’agit pour les propriétaires de trouver un équilibre entre sécurité et rentabilité. « Le risque est de voir des bailleurs ne plus louer leurs locaux commerciaux à des personnes ou des entités privées dans l’espoir que la Ville les leur loue », fustige Maxime Miltgen. Elle critique aussi le risque de clientélisme et de dépendance des commerçants au bon vouloir de la politique de la Ville. « C’est un interventionnisme qui entraîne une concurrence déloyale puisque la Ville loue en dessous du prix du marché », dénonce l’agent immobilier Fabrice Kreutz. Le montant du loyer mensuel s’échelonne entre 650 et 2 250 euros et varie en fonction de la situation spécifique de l’entrepreneur ou du commerçant. Ceux qui débutent et n’ont pas d’autres locaux payent le moins alors que ceux qui veulent tester un second concept ou qui ont déjà plusieurs locaux s’acquittent d’un loyer supérieur. Fabrice Kreutz estime que le rôle des pouvoirs publics devrait se limiter à inciter les propriétaires à louer plus facilement, avec des lois protectrices. « Beaucoup de propriétaires ne veulent pas de pop-up car ils ont peur de ne pas pouvoir déloger leur locataire après le terme ou en cas de non-paiement ». En tant qu’agent, il voit aussi d’un mauvais œil ces contrats courts où il lui est impossible de demander une commission.
Certains commerçants déçus, qui n’ont pas obtenu le local pour lequel ils postulaient, estiment aussi qu’il y a un manque de transparence dans les attributions et que « les choses sont déjà décidées quand l’appel d’offre est lancé », comme nous confie l’un d’eux. Il veut rester anonyme « pour avoir une chance une autre fois ». Plus globalement, il constate que certains bâtiments appartenant à la Ville restent inoccupés et pourraient accueillir des commerces ou des restaurants. (Il cite l’ancienne maison des jeunes, place des Bains en exemple). « La commune compte actuellement 34 locaux, dont seulement onze, soit moins d’un tiers, sont des commerces de détail. Peu de nouveaux locaux ont été acquis ces dernières années », déplore de son côté le conseiller communal François Benoy (Déi Gréng) dans le Wort. Il pointe les réserves financières importantes de la commune qui pourraient permettre « une plus grande influence sur le développement de la ville ».
Malgré sa déception de ne pas (encore) avoir trouvé un magasin où s’implanter à long terme, Fanny Bervard salue l’initiative : « Les pop-up m’ont permis de me faire connaître et de connaître ma clientèle. J’ai pu développer ma marque. Je n’en serais pas là sans cela. » Avec quelques autres entrepreneuses, elle a listé les aspects qui devraient être améliorés. Elle cite « un niveau minimum de remise en état propre et neutre avant l’entrée d’un nouveau locataire » ou « un lieu fixe, assez grand, où plusieurs créateurs pourraient vendre leurs pièces, un peu comme les boutiques de musées ». De son côté, la Ville de Luxembourg voudrait proposer un accompagnement avant, pendant et après l’occupation du pop-up. « On peut s’inspirer de ce qu’offre la Ville de Bruxelles », lance Maurice Bauer comme s’il venait d’en avoir l’idée.