La semaine dernière, Patrick Majerus, président du conseil d’administration du Mudam, démissionnait de ses fonctions. Ni le musée, ni le ministère de la Culture n’ont commenté officiellement les raisons de ce « choix individuel ». Mais dans la lettre qu’il a envoyée au ministère de la Culture, dont le Land a pris connaissance, le démissionnaire précise : « Depuis décembre 2023, l’institution a fait face à des plaintes concernant la directrice, à un nombre préoccupant de départs au sein du personnel et à des défaillances dans la gestion interne du musée. Un nombre significatif de collaborateurs ont exprimé leur souffrance, ce qui a eu un impact sur la mission du musée. » Majerus ajoute qu’il a transmis, en juillet dernier, aux membres du conseil d’administration et au ministère de tutelle un épais dossier (« de quarante pages ») documentant les faits. Coincé entre une direction décrite comme défaillante et un ministère qui défend d’abord la stabilité des institutions, Patrick Majerus conclut : « Après plus de dix ans d’engagement auprès du Mudam, sous différentes fonctions, il m’est impossible de poursuivre mes responsabilités. Cette décision découle de la volonté de maintenir une cohérence avec les valeurs qui ont guidé mon action. »
L’histoire du Mudam est jalonnée de moments de tension où la relation entre le conseil d’administration et la direction s’est détériorée. Pendant tout son mandat, de 2000 à 2008, la première directrice, Marie-Claude Beaud a dû se battre contre un conseil d’administration, présidé par Jacques Santer (CSV) jusqu’en 2015. On la voyait comme une empêcheuse de tourner en rond. Son approche avant-gardiste plaçant toujours l’artiste au centre n’a pas toujours été comprise dans un Luxembourg de compromis où elle était vue comme une Parisienne intransigeante. Par la suite, en 2016, Enrico Lunghi a fait les frais de la frilosité du conseil d’administration qui l’a très peu soutenu après les incidents survenus devant les caméras de RTL. Un communiqué du CA disait déplorer « l’attitude déplacée de son directeur général et son emportement ». Se sentant désavoué, Lunghi avait démissionné, une décision jugée « regrettable », par le CA.
À l’époque, le conseil d’administration du Mudam (qui était encore une fondation et non un établissement public) était présidé par la princesse Stéphanie. Elle n’a jamais pris la parole publiquement concernant la gestion du musée et ni fait de commentaire sur les affaires qui secouaient le musée. (On pense au démantèlement de la Chapelle de Wim Delvoye ou une lettre anonyme dénonçant la charge de travail excessive, sous la direction de Suzanne Cotter). Philippe Dupont (collectionneur et associé chez Arendt et Medernach), était vice-président et c’est lui qui allait au front. À ses côtés, les administrateurs, certes désignés par le Gouvernement, siégeaient au conseil en leur nom personnel : des privés, collectionneurs ou managers et aucun représentant de l’État. En libéral pur jus, Xavier Bettel (DP), ministre de la Culture ne voulait pas de fonctionnaires dans ces organes d’administration. Difficile dès lors de défendre le musée auprès des ministères que ce soit la Culture ou les Bâtiments publics par exemple.
Avec la loi du 14 juillet 2023, transformant la fondation Musée d’art moderne Grand-Duc Jean en établissement public, la situation a évolué. Comme pour tous les nouveaux établissements publics nés à cette date, son conseil d’administration, nommé en janvier 2024 pour cinq ans, est constitué en majorité de représentants de l’État. « Les missions et activités revêtant un caractère de service public et la majeure partie de ses ressources financières étant issue d’une dotation étatique », justifie le texte de loi. Cela n’a manifestement pas suffi à prémunir le Mudam d’une situation compliquée et difficile à analyser. Particulièrement en vue, mais toujours en mal de définition, le musée jouit d’un prestige qui rejaillit sur la prétention des directeurs comme des administrateurs. Les leçons des crises du passé n’ont pas été tirées.
Outre les problèmes internes et inhérents au Mudam, la démission du président du conseil d’administration soulève des questions quant aux attributions et limites du pouvoir de ces organes dans les établissements publics. Les établissements publics sont considérablement développée depuis une trentaine d’années. Dans son livre Les établissements publics en droit luxembourgeois (Legitech, 2023), Jörg Gerkrath note que « la forme de l’établissement public est malléable », mais qu’ils « ont tous en commun de poursuivre des missions d’intérêt général ». Il relève une soixantaine d’organisme qui vont de la Spuerkess à la Radio 100,7, des chambres professionnelles à la Caisse nationale de Santé ou à l’Université. Le professeur de droit pointe l’absence d’une loi-cadre, « une tâche à laquelle les autorités ne veulent pas s’atteler » alors que de telles lois existent pour les associations et les fondations, les GIE, les sociétés commerciales, les communes et les syndicats intercommunaux.
Parmi la longue liste d’établissements publics, onze (plus Luxembourg Ticket, un GIE) sont placés sous tutelle du ministère de la Culture (dans l’ordre de création) : Fonds culturel national (1982), Neimënster (2001), Rockhal (2004), Philharmonie (2011), Film Fund (2014), KulturLX (2022), Casino Luxembourg, Rotondes, Théâtre national, Trois C-L et Mudam (2023). Chacun fait l’objet d’une loi spécifique qui précise au minimum les missions, la composition du CA, les ressources et l’organisation interne. Certains textes sont plus précis, notamment pour KulturLX ou le Film Fund, où le fonctionnement des attributions d’aides est aussi fixé.
La gouvernance des établissements publics est, en principe, organisée selon un schéma commun proposé en 2017. Cette instruction gouvernementale sans valeur normative constitue un simple guide pour la rédaction de projets de loi. Il précise qu’un établissement public « est géré par un conseil d’administration composé de représentants de l’État et, le cas échéant, de personnes qualifiées dans le domaine de spécialité de l’établissement ». En outre, ce texte prévoit que la gestion courante de l’établissement public « est confiée à un organe directeur composé soit d’un directeur général soit de plusieurs directeurs dont un portera le titre de directeur général ». Ce schéma bicéphale, basé sur un partage de responsabilités entre le conseil d’administration et un comité de direction se retrouve dans les lois organiques de la plupart des établissements culturels.
« Par tradition, la présidence est confiée à une personne issue de la société civile et la vice-présidence à un représentant du ministère de la Culture », explique Carl Adalsteinsson, Premier conseiller, face au Land. On trouve ainsi Françoise Poos (Neimenster), Pierre Ahlborn (Philharmonie), Delphine Munro (Casino Luxembourg), Joanne Goebbels (Rotondes), Luc Henzig (Rockhal), Odile Simon (TNL) ou Robert Bohnert (Trois C-L). Généralement, les CA comptent neuf membres. Les lois les plus récentes indiquent une volonté de parité (« le nombre de membres de chaque sexe ne peut être inférieur à quatre »). Un règlement grand-ducal fixe les indemnités et jetons de présence des administrateurs : Autour de 400 euros pour la présidence, 300 pour la vice-présidence et 200 pour les membres. « C’est symbolique et très peu par rapport à d’autres secteurs. Notre volonté est de réserver le plus possible l’argent public aux volets artistiques », justifie Carl Adalsteinsson.
Le ministère de la Culture est toujours présent (« nos représentants sont nos yeux et nos oreilles au sein des CA », selon les mots de Carl Adalsteinsson), ainsi que l’Inspection générale des finances. Des fonctionnaires représentant d’autres ministères sont aussi nommés en fonction des spécificités et les missions des établissements : Éducation, Jeunesse, Bâtiments publics, Affaires étrangères... En observant les listes des membres des CA, on note quelques particularismes : par exemple, trois représentants de la Ville de Luxembourg aux Rotondes, un de la Ville d’Esch à la Rockhal. Le CA de KulturLX est doté de cinq représentants sectoriels qui ont été proposés par les fédérations professionnelles. « La composition du CA reflète l’histoire, encore jeune, de KulturLX. Le mélange de profils est bénéfique, à notre avis, pour tisser des dialogues constructifs et instaurer une meilleure compréhension des enjeux entre les ministères et le secteur culturel », justifient Valérie Quillez et Diane Tobes, les deux directrices.
Le cadre juridique définit les missions du CA : détermination de la politique générale de l’établissement, engagement et licenciement du directeur et du personnel dirigeant, adoption de l’organigramme, de la grille des emplois et leur classification ainsi que leur rémunération, approbation du budget et des comptes annuels, adoption du règlement d’ordre intérieur… Cela ne concerne en aucun cas la programmation et le contenu artistique. « Le programme artistique n’a pas vocation à refléter le goût du CA ou ses affinités personnelles avec tel ou tel artiste. Il nous faut embrasser les projets mis en place par la direction », affirme Françoise Poos, présidente de Neimënster. La gestion quotidienne reste du domaine de la direction, le CA n’étant sollicité que quand la limite du droit de signature, fixée dans le règlement d’ordre intérieur, est dépassée.
Reste les personnalités et caractères de chacun. « Le plus important est de construire une relation de confiance entre CA et direction », estiment-les directrices de KulturLX. « Notre CA affiche une bonne compréhension de ce que l’on fait et c’est très appréciable », ajoute Steph Meyers, le directeur des Rotondes. Il voit dans ses administrateurs des personnes qui « défendent nos projets avec enthousiasme et bienveillance ». Un mot que reprend Françoise Poos : « Notre rôle est d’épauler la direction dans ses choix de programme dans un esprit collégial et bienveillant. » Elle n’aime pas l’idée de « surveillance » et préfère le terme d’« accompagnement ».
Comme le nom l’indique, le conseil d’administration peut être amené à donner des… conseils : « Chaque membre du CA est une personne ressource potentielle sur certaines questions techniques ou spécifiques dont il ne faut pas se priver », affirment Valérie Quillez et Diane Tobes. Les administrateurs sont aussi consultés sur des sujets sensibles « s’il y a un risque de couac politique », ajoute le ministère de la Culture, sans pour autant donner d’exemple, « mais l’autonomie artistique doit prévaloir, dans les limites budgétaires ».
Les tâches des conseils d’administration demandent donc « de l’engagement et de la diplomatie », dixit Steph Meyers. Les membres issus des ministères sont appelés à suivre des formations auprès de l’Institut national d’administration publique (Inap) : Principes généraux de la gouvernance d’entreprise, Efficacité et impact du conseil, Spécificités financières et reporting… Mais les personnes privées, issues de la société civile, n’y sont, jusqu’ici, pas conviées.
Les questions de gouvernance des établissements publics n’ont pas fini de susciter débats et questionnements. Le ministère de la Culture a du pain sur la planche pour les prochains mois avec la révision de la loi sur le Film Fund, espérée avant l’été, puis celle du Focuna, plusieurs fois annoncée par le ministre Thill. Le plus gros dossier sera la mise en place des conventions pluriannuelles à objectifs, promises lors de l’instauration des derniers établissements public. L’idée est de « sécuriser le financement et donner de la prévisibilité sur quatre ans », détaille le premier conseiller au ministère de la Culture. Pour chaque établissement, des choix stratégiques, des objectifs quantifiables, des indicateurs de performance, des mesures des activités de promotion… seront fixés. Les moyens financiers et les effectifs en personnel nécessaires y seront aussi déterminés. « Tous ces termes feront l’objet de négociations avec chaque structure. Un calendrier a été fixé jusqu’en 2029 pour travailler avec chacune », détaille-t-il. KulturLX est le premier sur la liste.